Nikolai a écrit:Tu nies quand même beaucoup Sledge le pouvoir de l'acteur justement dans la production aujourd'hui.
Quand Tom Cruise aussi produit, c'est limite lui qui a la toute puissance sur la production, sur son image, sur le film, sur ce qu'il véhicule.
Brad Pitt emprunte ce même chemin et je pense que cette tendance se confirmera dans ses prochaines prods.
Euh, désolé, là, ça n'est plus de l'argumentation, c'est du simple procès d'intention.
Plutôt que de commenter ce film sur le fond et inscrire ton jugement sur de vrais éléments concrets, tu te mets à supposer que Brad Pitt va maintenant avoir une carrière à la Tom Cruise. Tout ça pour une apparition de cinq ou dix minutes dans un film bien particulier ! Ça n'est pas de la déduction, c'est du Didier Derlich...
Je te le demande, si tu ne savais pas que Brad Pitt avait produit le film, en quoi son apparition à l'écran te dérangerait ? Joue-t-il mal, joue-t-il faux ?
J'ai depuis feuilleté le livre en librairie, et le passage où Northup décrit ses conversations avec Bass est retranscrit très fidèlement à l'écran. Bass a clairement accompli aux yeux de Northup quelque chose d'héroïque. La séquence transposée par McQueen montre à quel point le simple fait de poster une lettre ou de rendre visite à des connaissances de Northup dans le nord, est à la fois capital pour Northup et relativement anodin pour quelqu'un d'aujourd'hui. L'angle est moins de magnifier l'héroïsme du personnage parce que c'est Brad Pitt qui le joue (où le voit-on affronter des dizaines de sudistes enragés avec son colt histoire d'accéder à une boîte à lettre ?) que de montrer à quel point l'idéologie de l'esclavage était puissante à l'époque, au point que poster une lettre est en soi un fait héroïque vu les risques encourus (le livre de Northup explique d'ailleurs que Bass aurait été lynché s'il était resté un jour de plus dans la région).
Pour te répondre sur ce qui me fait pouffer, c'est que c'est clairement un tout. C'est le rôle et lui dans sa façon de jouer, c'est quelque chose de parfaitement global. J'adore en général Brad Pitt hein, je trouve que c'est un acteur brillant, mais là c'est grotesque dans l'écriture de bout en bout. Que veux-tu que je te dise de plus ? Voir cette forme de supériorité voire d'autorité morale incarnée par le grand Brad Pitt avec son air à la cool, bâtisseur droit dans ses bottes, c'est pas crédible une seule seconde, on y croit pas et quand bien même il aurait été incarné par quelqu'un d'autre de plus anonyme, ça aurait été tout aussi ridicule. Et honnêtement on s'en fiche si c'est dans le bouquin ou pas, faut dissocier fait historique et traitement. Qu'il y ait un personnage comme cela dans le livre qui a sauvé Salomon, peut-être, que Fassbender est un personnage qui a sûrement existé, oui sûrement, là c'est juste une question de mise en scène et d'écriture.
Grosso modo, tu charges le film parce qu'il ne te plaît pas et du coup tu affirmes que non seulement Pitt est grotesque mais que la scène aurait de toute façon été grotesque avec un autre acteur que Pitt parce que le film est grotesque à tes yeux.
C'est une argumentation circulaire et régressive où il faudrait trouver que... parce que tu as décidé que... Comment veux-tu que je souscrive à ce genre de raisonnement ?
Au fait, j'attends toujours les nombreux films sur l'esclavage qui auraient couvert le sujet. Parce que la particularité du film, c'est qu'il n'y a curieusement pas eu tant que ça de films (ou même de récits) qui portaient directement sur l'esclavage.
"L'esclavage aurait été terminé plus vite grâce à des blancs courageux ayant nos valeurs politiquement correctes d'aujourd'hui comme Brad Pitt" on n'a pas vu le même film.
Euh non c'est pas ce que je dis bien sûr. De toute façon le film n'est traité ici que sous l'angle du fait divers à l'échelle de un personnage pour toucher à l'universel, sauf que l'universel on ne le sent jamais. Le film n'a aucune perspective globale, c'est un simple survival dans le contexte de l'esclavage. Sauf que pour être réellement universel il aurait fallu une écriture qui touche à une forme d'ensemble, que le calvaire ne se termine pas juste parce que lui a été sauvé. Il aurait fallu par exemple filmer le procès ou que sais-je, dépasser le cadre de la simple souffrance évidente.
C'est n'importe quoi. Dans le film (et c'est apparemment différent dans le livre), McQueen fait bien plus un portrait de la mentalité blanche dans la région que de l'histoire particulière de Northup. Northup est présenté dans le film comme un Monsieur-tout-le-monde, histoire surtout de permettre l'identification rapide du spectateur avec lui, et indique que les mauvais traitements infligés à Northup étaient monnaie courante dans la région. C'est en partie un récit de survie, parce que la survie y est montrée comme la seule solution, et Northup est surtout l'intermédiaire du spectateur, un témoin présenté comme fiable pour décrire ses maîtres successifs. C'est donc un angle assez différent du Pianiste de Polanski, qui est beaucoup plus un récit de survie, même si les deux films insistent sur le rôle de la chance à l'intérieur d'un système, et ne tentent pas de présenter leur protagoniste respectif comme un héros, ou une figure christique révélée par ses souffrances.
McQueen part toutefois de ce récit pour élaborer beaucoup sur les motivations des différents maîtres, sur leur mentalité sous-jacente et la corruption des esprits qu'inflige l'esclavage. Un exemple frappant, c'est que Ford (Benedict Cumberbatch) est présenté en des termes clairement positifs dans le récit de Northup. Le personnage de Northup dans le film lui est très reconnaissant, mais l'adaptation le montre d'emblée comme un "salaud" au sens sartrien du terme, le type qui pourrait faire plus, qui pourrait avoir une conscience plus juste de ce qui se passe et agir en conséquence, mais qui préfère rester dans une zone intermédiaire qui lui permet de détourner les yeux et de dormir tranquille. Il ne veut pas séparer la mère de son enfant, mais pas au point de ne pas acheter ensuite la mère. Il se doute que Northup est un ingénieur doué et expérimenté, et qu'il a été un homme libre, mais il fait pourtant du recel.
Et, bien entendu, le personnage le plus mémorable et fascinant du film, celui sur lequel l'adaptation insiste, c'est Epps. Autant Northup (et délibérément) n'a pas une personnalité développée, autant Epps est l'objet d'une série d'études qui en révèlent les différentes facettes. Et sur ce plan, McQueen est dans la lignée de Hunger ou de Shame. Le film est encore une étude d'un personnage incarné par Fassbender.
Donc, "récit de survie" quand la moitié des scènes montre l'impact de l'idéologie dans l'esprit des esclavagistes, c'est une affirmation pour le moins saugrenue... La scène clé du film c'est le récit du contremaître déchu qui explique que le choix qu'il a, c'est de picoler ou de trouver une pseudo-justification pour ce qu'il fait au quotidien. Et le film se concentre sur la pseudo-justification, plus que sur le chemin de croix de Solomon.
C'est le regard coloriste de McQueen, sa façon de tout réduire à la simple souffrance manichéenne qui me gêne.
Tu as raison le film est binaire et n'a aucune ambiguïté, c'est tout blanc ou tout noir. Aucune forme de gris dans ce film. Aucune réelle nuance. Aucune ampleur dramatique, c'est relaté littéralement un calvaire avec la libération comme finalité pour soulager. Personnellement le film ne me fait jamais réfléchir, ne m’apporte rien tant les effets sont éculés pour arriver à ses fins. Sur un thème aussi complexe, je le redis, ça ne m'intéresse que peu surtout quand ici c'est bourré de tics (musique, cadrages, facilité dans l'écriture, personnages etc..).
Il y a des situations où on ne peut pas faire dans l'ambiguïté simplement parce que toi ou d'autres spectateurs seriez convaincus que l'ambiguïté fait forcément un meilleur film. Prends un film sur les SS (au lieu des soldats allemands enrôlés dans la Wehrmacht), les Khmers rouges ou d'autres personnes qui ont existé et qui ont perpétré de leur plein gré des atrocités réelles, le fait de les montrer sous un jour non entièrement négatif ne rajoute pas de l'ambiguïté. Comme ici, ça fait surtout ressortir la monstruosité du reste de leurs actions : ce sont des hommes libres qui ont malgré tout pris ces décisions. Et, comme ici, la question de ce qu'ils ont fait est moins pertinente que ce qui les a amené à agir en monstres.
McQueen a commencé par deux films tout sauf manichéens. Il est capable de nuance et de subtilité. Et là, il ne renonce pas à cette ambiguïté parce que Brad Pitt ou Hollywood le lui auraient demandé, c'est assumé clairement par le scénario, avec cette thèse qu'il n'y a pas vraiment de "bon" maître, simplement une mentalité ou une idéologie justifiant de façon perverse un système inhumain. Epps est un monstre, sans ambiguïté. C'est la thèse posée explicitement par le film. Mais ça n'est pas un monstre caricatural. Il est tiraillé entre ses valeurs, une femme qui ne l'aime pas (et qui partage une bonne partie des mêmes valeurs, et le désir qu'il éprouve envers Patsey. Au fond, c'est lui le vrai personnage tragique du film. Pour Northup, l'esclavage a été un état. Pour Epps, l'esclavagisme est la seule façon qu'il a trouvée pour se définir et exister.
Je suis ressorti avec les mêmes idées que j'avais au départ, je lui reproche clairement de ne jamais dépasser les scènes évidentes et attendues, les lieux communs pour créer une simple indignation facile.
Tu sembles surtout être ressorti avec les mêmes préjugés. Pour ma part, je suis ressorti avec l'impression que je n'avais jusque là pas vraiment saisi l'ampleur du problème et de l'impact que l'esclavage a encore aujourd'hui dans les états du Sud ou dans la communauté noire.
gotonin a écrit:Très déçu par ce film communautariste où le blanc, bouhh il est méchant et que le noir bah il est super gentil... Bref, du vomi manichéen !
Qu'est-ce que tu sous-entends par "communautariste" ?
Steve McQueen est un réalisateur britannique. Chiwetel Ejiofor est un acteur britannique. Lupita Nyong'o est d'origine kenyane et a la nationalité mexicaine. Six des neuf premiers acteurs dans la distribution sont blancs (Fassbender, Cumberbatch, Dano, Giamatti, Paulson et Brad Pitt). En dehors d'Alfre Woodard (qui joue une épouse affranchie) et du scénariste, il n'y a en fait même pas d'afro-américains dans les noms majeurs du générique !
Si tu veux des films communautaristes, les Afro-Américains en ont un paquet, notamment toutes les productions de Tyler Perry, non distribuées en France. Ce sont des films qui parlent de tout sauf de l'esclavage ou de la ségrégation (en fait la "communauté" n'a pas du tout envie de revivre ce qui a été sa condition pendant près de deux siècles). Ça y parle surtout des affreuses bonnes femmes qui se croient supérieures à leur mari parce qu'elles ont fait des études et c'est très régressif. Un film comme 12 Years A Slave avec son protagoniste noir plutôt passif qui n'arrive pas à se libérer par ses seules ressources, c'est donc tout sauf le message que cette communauté aime entendre.
C'est vraiment préoccupant que "communautariste" devienne un terme équivoque voire un simple prétexte pour des allusions racistes sur certains forums non modérés comme ceux de Yahoo. "Communautariste", c'est comme "bobo", un terme qui sert surtout à décrédibiliser l'objet dont on parle. Là, c'est un film qui n'est pas fait par les descendants d'esclaves américains, mais on l'appréhende comme si Oprah Winfrey était derrière le projet...
Si tu veux voir à quoi sert aujourd'hui un mot comme "communautariste", va jeter un coup d'œil aux actus de Yahoo, ouvertes aux commentaires et absolument pas nettoyées par une modération quasi-inexistante, notamment l'actu faits divers ou "people". "Communautariste", ça fait partie des euphémismes utilisés par certaines personnes sur le forum, à côté de "chances pour la France" ou de "sionistes", par opposition aux gens qui seraient implicitement les "bons" Français, les Français de souche. Et je continue d'ailleurs à trouver curieux que, du fait de mes origines juives, j'appartiendrais à des "communautaristes" alors que ma famille est installée dans le nord-est de la France depuis 170 ans, soit plus longtemps que nombre de ces Français non-communautaristes. À croire que c'est plus facile de prendre souche quand on est un gland.