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Le coin des sciences avec Robert64

Message » 13 Jan 2017 13:25

Analogeek a écrit:
Robert64 a écrit:Trop con! Cherche mieux.
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Je suis allé lire la page wiki, ben non, c'est exactement ça. Je vois pas où est la "perf", donc.

"Perf"..."ormance" ? :ane:
tfpsly
 
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Message » 13 Jan 2017 14:23

beb a écrit:Parce que le crible d’Ératosthène avec un nombre premier de ce type, va en falloir de la mémoire pour stocker le tableau :mdr:
Et même le crible c'est un poil plus que 3 lignes de codes.

Ouaip! Et en plus, pour avoir au final un résultat avec une précision meilleure que l'unité, va falloir calculer avec un nombre de chiffres significatifs...astronomique
La double précision, ça ne suffira pas.... :mdr:
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Robert64
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Message » 25 Jan 2017 23:04

J'avais envie de mettre ce texte dans le fil "topic des athlètes français qui brillent" mais ça aurait été malvenu.
Dans la mode actuelle d'auto dénigrement, on parle peu de l'école française de mathématiques, qui pourtant se défend plutôt bien.
(extrait du journal du CNRS)

Ce sont deux géants des mathématiques françaises : Cédric Villani, médaille Fields 2010, et Artur Ávila, lauréat franco-brésilien de la prestigieuse récompense en 2014, discutent à bâtons rompus avec Christoph Sorger, directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi) du CNRS. Un entretien publié dans le premier numéro de la revue «Carnets de Science».

Christoph Sorger : Cédric Villani1 et Artur Ávila2, le fait d’avoir reçu la médaille Fields a-t-il changé votre vie ?
Cédric Villani : Au début, quand on me posait cette question sur les plateaux de télévision, je répondais : « Il est encore trop tôt pour le dire, on verra bien. » Plusieurs années après, je peux affirmer que, oui, cela a changé ma vie, sans aucun doute possible. Bien au-delà de ma trajectoire professionnelle, la médaille Fields a été un tremplin social et médiatique qui a pris des proportions considérables. Elle m’a aussi permis de réaliser des opérations de communication et de faire avancer des projets qui auraient été impossibles à mener sans elle. Il est fréquent que les gens m’abordent dans la rue, viennent discuter de mathématiques, me dire qu’ils n’y comprennent rien mais qu’ils sont très heureux de m’entendre en parler ou qu’ils veulent absolument que je vienne faire un exposé dans leur école, dans leur université ou dans leur entreprise. On se rend compte, et cela a été la grosse leçon que j’ai tirée de ces années, à quel point tout le monde aime les chercheurs quand ils s’expriment et souhaite les voir prendre davantage de place dans l’espace public. Au fur et à mesure que je l’ai constaté, je me suis souvenu de ce que disait John Nash, l’un de mes héros en mathématiques3. J’ai la plus grande admiration pour ses travaux, en particulier ceux sur la régularité des équations de dérivées partielles. Il n’a pas été récompensé par la médaille Fields, mais ce qu’il a fait était nettement au-dessus de ce qu’il « suffit » d’accomplir pour l’obtenir ! Il n’a jamais digéré de ne pas l’avoir eue et répétait, longtemps après : « Cela aurait changé ma vie. » Quand j’ai lu cette phrase, je me suis dit que, quand même, Nash exagérait. C’était l’un des très rares scientifiques à avoir été le héros d’un film hollywoodien de son vivant. Mais, une fois qu’on a obtenu ce prix, on se rend compte que beaucoup d’attentes et de potentialités se cachent derrière, à l’extérieur de la communauté beaucoup plus qu’à l’intérieur.

Artur, cela fait moins longtemps que tu as reçu la médaille. C’était à Séoul, en août 2014. Comment l’as-tu vécu ?
Artur Ávila : Aussitôt après l’événement, évidemment, il y a eu un peu de pression pour s’exprimer, dans les médias notamment. J’ai l’impression que l’intérêt pour les mathématiques en France est bien plus grand que dans d’autres pays. C’est intéressant qu’ici on donne autant d’importance à un prix comme celui-ci. Je ne sais pas pourquoi ce n’est pas pareil ailleurs. Pour ma part, cela m’intéresse de profiter de cette occasion pour faire avancer les maths au Brésil, mon pays d’origine : là-bas, elles sont en bonne voie, mais il n’est pas gagné que les choses continuent dans ce sens. Le prochain Congrès international des mathématiciens (ICM) aura lieu en 2018, à Rio de Janeiro. Je vois un peu comme un devoir le fait de rester présent, selon mes possibilités car je n’ai pas de compétence particulière pour ce genre de choses, et de contribuer à ce que les mathématiques fassent davantage partie de l’imaginaire collectif.
Quand je suis revenu du Congrès de Séoul, des collègues d’autres disciplines m’ont interrogé : « Comment expliquer que les maths soient aussi bonnes en France ? »

C’est une question que les journalistes posent aussi régulièrement. Cédric, Artur, des réponses ?
C. V. : Je vais tout d’abord rebondir sur ce qu’Artur vient de dire. Il est certain qu’en France, l’intellectuel est toujours écouté. Certains se plaignent que cette voix ne porte plus assez dans l’espace public, mais s’ils vont aux États-Unis, ils constateront que la situation est bien pire là-bas. Chez nous, on associe un grand prestige à la recherche, en particulier aux mathématiques. Il y a quelque temps déjà, on classifiait les différentes disciplines scientifiques et on avait l’habitude de placer la mathématique au sommet. C’est resté dans l’esprit de beaucoup de gens. Même ceux qui n’ont aucune sympathie pour cette discipline ont en tête que c’est la plus illustre et la plus respectable de toutes. Il faut tenir compte du poids de l’histoire. En France, au XVIIIe siècle, la révolution des Lumières a eu un impact considérable au niveau mathématique et on a vu fleurir des légions de mathématiciens d’une très grande valeur. Puis ce fut la Révolution française, et avec elle beaucoup d’idéaux, le besoin de faire des choses absolues, de redéfinir les unités de mesure du temps et de l’espace, de tout réformer. Il y avait de nombreuses missions à confier aux mathématiciens. Ensuite, Napoléon est arrivé au pouvoir, le dirigeant mathématicien, de très loin le plus mathématicien qu’on ait jamais eu en tout cas, et il a fait tout ce qu’il pouvait pour favoriser la discipline. Nous sommes donc restés dans ce courant initial : la masse des savants mathématiciens, à Paris tout particulièrement, a continué à s’entretenir, peut-être jusqu’au désastre de la Première Guerre mondiale, qui a été le seul moment où la position française a été battue en brèche sur le plan international. Mais c’est aussi une question d’esprit et de culture. Quand mes collègues étrangers me demandent : « Qu’est-ce qui se passe avec vous ? », je leur réponds : « En mathématiques, il s’agit de chercher les vérités ultimes, les plus abstraites possibles, et d’expliquer au monde entier quelle est la solution, alors ce sont évidemment les Français, persuadés qu’ils ont raison, qui le font dans tous les domaines ! »

Ton avis, Artur, avec un point de vue brésilien ?
A. Á. : La question de la tradition est en effet importante. Le fait qu’il y ait une histoire des mathématiques en France attire les chercheurs de partout.
En France, les étudiants font des maths à un niveau plus élevé que dans les autres pays.
Il est évident que je suis venu ici parce qu’on trouve une grande école dynamique. Il faut que les mathématiques soient valorisées à plusieurs niveaux de la société, et c’est une caractéristique que je constate en France, notamment au niveau du processus de sélection. J’ai cru comprendre que la sélection est très axée sur cette discipline, de sorte que les étudiants font des maths assez difficiles, à un niveau plus élevé que dans les autres pays. Ils en font parce qu’ils le doivent pour aller là où ils veulent et, en rencontrant cette discipline, certains choisissent cette carrière.
Ailleurs, on peut prendre contact avec les mathématiques de diverses façons : les Olympiades, par exemple, marchent très bien dans les pays de l’Est ou au Brésil. En ce qui me concerne, ce sont elles qui m’ont aidé à faire la transition vers les études, alors qu’en France elles n’existent pas. Pour certains, les Olympiades sont juste un jeu, pour d’autres, c’est une passion ou la possibilité d’étudier à fond.

C. V. : Je confirme ce que dit Artur. Je n’ai jamais participé à des Olympiades ni même au concours général. C’est simplement le système qui m’a fait avancer : j’aimais bien « les maths », alors j’ai continué dans cette voie, j’ai fait une classe préparatoire puis, pour approfondir, l’École normale supérieure… Je ne me suis jamais posé de questions, je me suis contenté de suivre le processus. Et, dans une certaine mesure, cela a marché ! Cela fonctionne aussi parce qu’il y a tout un ensemble d’institutions. Bien entendu, le système des grandes écoles n’est pas étranger aux succès internationaux. Je ne dis pas que seules les grandes écoles sont importantes, loin de là – je suis moi-même professeur à l’université – mais, comme catalyseur des plus motivés, elles jouent un rôle considérable. Tous les médaillés Fields français, sauf Artur, sont passés par l’École normale supérieure. Avec l’Université de Princeton, c’est l’institution dans le monde qui a vu défiler le plus de médaillés Fields. Il faut noter par ailleurs que le milieu de la recherche mathématique français est extrêmement structuré : encadré localement par des règles que se fixent les chercheurs et globalement par l’action du CNRS. Je pense que c’est la discipline dans laquelle nous sommes les plus enclins à reconnaître le CNRS comme une autorité à suivre, et nous sommes tous très attachés au rôle de coordinateur de l’organisme. L’aménagement du territoire est bien pensé ; sur ce sujet mon exemple est presque idéal : j’ai fait ma carrière entre Paris et Lyon, et le fait que j’ai passé neuf ans à l’École normale supérieure de Lyon a joué un rôle déterminant dans la formation de mes intérêts scientifiques et de ma production mathématique. Enfin, les chercheurs ont pris un ensemble d’habitudes : on évite le recrutement local autant que possible, on est attentif à développer telle et telle discipline, à ne pas laisser se créer des chapelles et des spécialités, à permettre aux jeunes de bouger, ce qui fonctionne bien.

Je voudrais faire une remarque en résonance avec ce qu’a dit Artur sur l’internationalisation de la discipline. Il y a eu quatre médailles Fields et aucun des médaillés ne travaille dans le pays où il est né. L’Autrichien Martin Hairer travaille à l’université anglaise de Warwick, le Canadien Manjul Bhargava aux États-Unis et l’Iranienne Maryam Mirzakhani, la première femme à recevoir la médaille Fields, est professeure à l’université de Stanford. Je pense que, pour l’Iran, cette récompense était très importante ; le président iranien a même twitté une photo de la chercheuse. Qu’en est-il du Brésil, Artur ? Je crois que ta médaille a provoqué une grande joie à Rio de Janeiro…
A. Á. : Oui, elle représente quelque chose de spécial là-bas parce qu’il n’y a pas la même tradition de recherche. Les Brésiliens qui ne sont pas dans le milieu de la recherche se posent souvent la question de savoir si l’on peut faire des maths, de la science de haut niveau, au Brésil. C’est après les Olympiades que j’ai décidé de faire des mathématiques parce que cet événement m’a permis d’entrer en contact avec l’Institut de mathématiques pures et appliquées (IMPA) et ses excellents mathématiciens. Il y avait des échanges internationaux, on rencontrait des médaillés Fields assez facilement. C’est important que les Brésiliens sachent que des choses de haut niveau se passent dans leur pays. Cela peut les motiver à s’engager dans la voie des mathématiques, ce qui est peut-être la conséquence la plus importante. Y en aura-t-il d’autres ? Il est un peu plus délicat de prévoir ce qui va se passer dans le pays au niveau de l’éducation, parce que les difficultés sont nombreuses. On réussit à atteindre un très haut niveau en maths car cela ne demande pas beaucoup d’argent ou une organisation spéciale, et qu’on ne dépend pas de grands laboratoires. Les chercheurs travaillent souvent de manière isolée, en petits groupes. Les problèmes d’éducation, eux, sont bien plus compliqués à régler. Le Brésil est un immense pays dont les difficultés sont structurelles, mais j’ai un petit espoir que ma médaille motive les gens. J’ai lu quelque part qu’un peu plus d’étudiants en licence s’intéressent aux maths. On verra, c’est trop tôt pour le dire.

Il faudra effectivement un peu de recul. Quand on parle de ton domaine, Artur, les systèmes dynamiques, qui est aussi un point fort au Brésil, on pense à Henri Poincaré : vois-tu une continuité entre tes travaux et les siens ?
A. Á. : Poincaré est sûrement l’un des fondateurs des systèmes dynamiques. À l’IMPA, on raconte toujours la même histoire. Il avait écrit un mémoire pour tenter de remporter le prix du roi Oscar II de Suède et, ce faisant, avait réalisé des avancées formidables dans le domaine de la mécanique céleste. Après avoir gagné, il a continué à étudier le sujet et remarqué qu’il avait commis une erreur. Comme son mémoire avait été imprimé, il a demandé à ce qu’on le retire de la circulation. Je ne connais pas les détails de cette histoire mais, apparemment, il a dû payer pour le faire et, au final, le prix Oscar II ne lui a pas rapporté d’argent. Poincaré a compris que les systèmes dynamiques étaient beaucoup plus compliqués que ce qu’il imaginait ; il a découvert l’existence des « points homoclines ». C’est une chose difficile à expliquer et il a lui-même constaté qu’il n’y arrivait pas ! Je ne vais donc pas exprimer en un mot ce qu’il n’est pas parvenu à décrire dans son mémoire… Actuellement, nous sommes toujours en train de faire des découvertes liées à ces points. Je pourrais dire qu’il y a une continuité assez naturelle entre cela et les attracteurs de noms, les dynamiques d’applications quadratiques, qui étaient le sujet de ma thèse, et toutes les dynamiques qu’on étudie maintenant.

Oui, en effet, c’est une vraie continuité. Et pour toi, Cédric ?
C. V. : Je vais compléter les propos d’Artur. Gösta Mittag-Leffler, le grand complice suédois de Poincaré, a récupéré tous les exemplaires de la revue Actes mathématiques dans laquelle avaient été publiés ces résultats et les a passés au pilon, sauf deux ou trois qui sont aujourd’hui conservés à l’Institut Mittag-Leffler4. Poincaré a payé les frais de destruction, ce qui lui a coûté plus cher que ce que lui avait rapporté le prix du roi Oscar II. On aime bien l’histoire quand elle comporte de tels rebondissements et des erreurs : elle montre que Poincaré était faillible, comme tout un chacun, alors qu’il était certainement le plus grand mathématicien de son époque ! Pour ma part, je ne retiendrai pas tellement l’aspect système dynamique, mais sa volonté de développer dès le départ la physique et la mathématique. Au début du XXe siècle, il a esquissé des programmes assez visionnaires sur ce qu’allait devenir l’étude des équations aux dérivées partielles. En fait, comme il a travaillé sur tout, à peu près n’importe quel mathématicien peut trouver une connexion avec lui. Poincaré avait ce côté rassembleur de toute la communauté scientifique, il étudiait mathématique et physique, il était ingénieur, il pratiquait la philosophie. Et tout le monde le connaissait, il avait ce côté universel. Un autre aspect dans lequel je peux me reconnaître, c’est l’importance qu’il attachait à communiquer : il a écrit des textes de science et participé à des ouvrages pour expliquer la science aux enfants, dans une démarche qui paraît toujours aussi moderne. C’est pourquoi à l’Institut Henri-Poincaré, inauguré en 1928 mais « refondé » il y a un peu plus de vingt ans, on anime la recherche mathématique dans toutes ses facettes : d’abord par le contact avec des invités qui viennent d’un peu partout sur des thématiques sans cesse renouvelées ; ensuite par le soutien logistique aux associations et institutions de promotion des mathématiques françaises ; enfin, en communiquant auprès de tous les segments de la société. Pour prendre un exemple lié aux concours de type Olympiades, nous sommes associés au concours Kangourou afin que les lauréats puissent rencontrer des chercheurs reconnus, des médailles Fields…

Nous sommes très attachés à diffuser une culture mathématique. C’est important pour notre société où l’on voit dans les trente dernières années une émergence de cette discipline en interaction avec les autres sur des questions importantes. Cédric, à Séoul, nous avions assisté à un exposé sur une application étonnante : l’imagerie médicale.
C. V. : Le Français Emmanuel Candès, qui est en poste à Stanford, nous a raconté comment ses recherches en statistique et intelligence artificielle, en l’occurrence les méthodes de parcimonie, avaient des applications remarquables. C’était à la fois étonnant d’un point de vue mathématique et important du point de vue médical. L’IRM fait partie de ces opérations de tous les jours qui reposent sur un principe mathématique, même si on n’en a pas conscience.

L’IRM fait partie de ces opérations de tous les jours qui reposent sur un principe mathématique, même si on n’en a pas conscience.
Lors d’une IRM, l’exploration s’effectue à l’aide de rayons qui réalisent une image. Celle-ci s’apparente à une transformée de Fourier, un objet bien connu des mathématiciens. Il s’agit ensuite d’inverser cette transformée de Fourier pour reconstituer l’image des organes. À l’heure actuelle, la collecte des données demande deux minutes, pendant lesquelles le patient doit rester complètement immobile. Deux minutes pour un enfant malade, cela peut être vraiment très compliqué. Emmanuel Candès nous a expliqué comment, lors d’une collaboration avec des médecins, il avait pu mettre à profit son expertise en reconstitution d’informations manquantes pour ramener ces deux minutes à seulement quinze secondes avec des avantages évidents. Dans ses travaux avec divers collaborateurs dont Terence Tao, il a montré que, le plus souvent, pour constituer une image pertinente, on a besoin de beaucoup moins que la totalité de l’information.
Dans certains cas, avec seulement 2 % des données, vous parvenez à reconstituer l’information utile. Avec des exemples comme celui-ci, on saisit l’un des drames du monde actuel : l’information est perdue dans les données, et le problème est de parvenir à trouver celle qui compte.

En quinze secondes, les médecins réalisent des scanners qu’ils ne pouvaient pas réaliser auparavant, c’est un vrai progrès… Voici un autre exemple, qui date de l’Antiquité : à l’époque, on ne se posait pas la question de savoir si la Terre était plate ou ronde, on savait qu’elle était ronde, mais on se demandait comment faire pour calculer sa circonférence.
C. V. : On doit la réponse à Ératosthène, l’un des cinq mathématiciens de l’Antiquité grecque qui ont donné le ton pendant des millénaires en termes de références culturelles. Il avait appris que certains jours de l’année, le Soleil se reflétait exactement à la verticale dans un certain puits. Il en a déduit, par l’application des règles élémentaires de trigonométrie, la mesure de la circonférence de la Terre. Le calcul était malin, précis, avec une erreur de moins de 2 %. Grâce à lui, on voit bien comment, par un raisonnement et un calcul mathématiques, on peut changer la représentation que l’on a du réel. Sa démarche montre aussi que le plus important n’est pas la technique mathématique mais l’intuition. Cet exemple extrêmement marquant prouve que, en combinant une certaine dose de technologie mathématique avec la bonne intuition, on parvient à des résultats qui, sans aller jusqu’à dire qu’ils changent votre vie de tous les jours, changent quand même ce que l’on sait, ce que l’on voit de notre environnement. Cela nous rappelle que les sciences mathématiques ont été créées pour résoudre des problèmes du monde qui nous entoure.

Artur, pour obtenir la médaille Fields, il faut avoir moins de 40 ans. L’idée sous-jacente est qu’il s’agit d’honorer un début de carrière fracassant. Quelles recherches souhaites-tu poursuivre ?
A. Á. : Je n’aime pas trop penser à de futurs projets grandioses parce qu’en général, je vois les choses surgir de façon bien plus naturelle, en travaillant au jour le jour.

Ce n’est sûrement pas en se focalisant directement sur les gros problèmes qu’on fait des découvertes.
On étudie, on essaye de comprendre mieux, on rencontre de petits problèmes, on les regarde… Et c’est en faisant ce travail quotidien que, parfois, on découvre quelque chose qu’on peut reconnaître comme utile dans un contexte différent. Donc ce n’est sûrement pas en se focalisant directement sur les gros problèmes qu’on fait des découvertes. En regardant ailleurs, on repère d’autres objets mathématiques et ils deviennent les sujets de la recherche. Je n’ai jamais réussi à prévoir cinq ans à l’avance où je serais.
Je pense – du moins j’espère – que la médaille Fields ne changera rien à ma manière de faire. Je continue à tenter de mieux comprendre les objets qui m’intéressent tout en étant prêt à identifier, quand cela pourra être utile, d’autres problèmes importants. Je discute en permanence avec des collègues qui me font découvrir des choses intéressantes.

En effet, les mathématiciens n’aiment pas beaucoup dire à l’avance ce qu’ils vont démontrer parce qu’ils ne le savent pas. Souvent, on travaille sur un sujet, puis c’est un autre qui arrive… et on constate alors que ce qu’on est en train de faire permet de le résoudre. Sauf que, l’année précédente, on ne le savait pas encore, parce qu’on n’était pas encore confronté à ce problème-là. C’est une réponse tout à fait habituelle pour des mathématiciens ! Et ce n’est pas toujours facile pour nous, quand on écrit des projets, d’établir à l’avance ce que nous allons faire. Une dernière question me paraît importante, elle a trait au renouvellement des maths. Quel message faire passer aux élèves et aux étudiants ?

Comment peut-on les inciter à s’orienter vers ce domaine en plein développement ?
C. V. : Artur et moi avons l’air de bien nous porter… Je n’ai jamais regretté de m’être lancé dans cette carrière et cela n’a pas l’air d’être le cas d’Artur non plus. D’une manière générale, la recherche est un domaine satisfaisant intellectuellement, où vous êtes sans arrêt confronté à des surprises. Cela mène à beaucoup de choses. Si devenir chercheur est une fin en soi, cela peut être aussi un tremplin vers d’autres carrières, on le comprend bien mieux aujourd’hui, et c’est même l’enjeu qui sous-tend les manifestations organisées autour de l’innovation. On sait que la thèse développe des qualités utiles à toutes sortes de métiers, notamment celui d’entrepreneur. C’est aussi utile pour la société ! Il y a quelque temps est parue une étude du cabinet Deloitte qui a surpris beaucoup de monde : elle estimait qu’environ 16 % du PIB anglais était directement dépendant de la recherche mathématique. Cette étude a été refaite en France : elle est arrivée à un montant sensiblement équivalent. Les disciplines mathématiques dans leur ensemble ont actuellement un impact important et qui augmente. Cela peut motiver à se lancer dans la carrière. Cela dit, pour beaucoup, ce qui va les inciter, c’est juste de leur dire : « Vous aimez les maths, alors continuez, approfondissez, il y a vraiment de belles choses à faire. »

A. Á. : Personnellement, je ne suis pas très motivé par les applications… Je dirais qu’il est important de valoriser la notion de créativité. On peut présenter les maths de plusieurs façons. Cette matière peut paraître morte, assez dure, avec des règles qui sont juste des règles. Mais ce sont elles qui permettent d’être créatif. La partie mécanique, tout le monde sait le faire, il n’y a pas besoin d’être un bon mathématicien pour y parvenir. Ce qui fait la différence entre une recherche qui aboutit et une qui n’aboutit pas, c’est la créativité. En mathématique, nous n’avons pas les contraintes de la réalité, c’est donc une discipline beaucoup plus proche du domaine artistique que de sciences dures comme la physique.

C. V. : Je crois qu’Artur a raison : ces dernières années, les deux sujets sur lesquels on m’a le plus souvent demandé d’intervenir sont l’innovation et la créativité. Pour beaucoup de gens, interroger un mathématicien est le moyen de faire surgir des idées sur la créativité. Et je vais terminer en citant Poincaré, comme il se doit : « C’est par la logique que nous démontrons, mais c’est par l’intuition que nous découvrons ; sans elle, le géomètre serait comme un écrivain qui serait ferré sur la grammaire, mais qui n’aurait pas d’idées. »



Publié dans le premier numéro de la revue Carnets de science (link is external), cet entretien est une retranscription, adaptée et mise à jour avec les intervenants, de l’émission de radio « Villani-Avila, la rencontre au sommet ».
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Un vaccin pour Ebola

Message » 28 Jan 2017 17:37

L'OMS a annoncé le succès incontestable d'un essai vaccinal de grande ampleur sur plus de 5000 personnes, en 2015 en Guinée. La dernière épidémie en Afrique de l'ouest avait tué 11300 personnes entre 2013 et 2016.
A.M. Heao-Restrepo et al. The Lancet
doi: 10.1016/S0140-6736(16)32621-6, 2016
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A la recherche de la dissymétrie matière/antimatière

Message » 28 Jan 2017 17:42

C'est raté!
L'expérience Alpha, au CERN avait pour but de rechercher une éventuelle dissymétrie qui expliquerait la présence de matière dans l'univers.
La mesure de la différence entre deux niveaux d'énergie de l'anti hydrogène n'a montré aucune différence avec les niveaux similaires de l'hydrogène ordinaire.
Il faudra chercher ailleurs.
M.Ahmadi et al., Nature http://dx.doi.org/10.138/nature/21040, 2016
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Les plus vieux hommes?

Message » 28 Jan 2017 17:56

On définit aujourd'hui l'apparition du genre Homo à -2,8 Ma, évolution de la branche Hominines. C'est le consensus actuel.
Une équipe de chercheurs vient de mettre à jour au Kenya des outils datés à -3,3 Ma.
Qui les a fabriqués ?
Deux possibilités:
Kenyanthropus platyops ou Australopithecus afaransis (les potes à Lucy)
Pour l'instant, mystère.
T. Proffitt, Nature, 559, 85, 2016
doi:10.1038/nature20112
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L'infini, c'est long!

Message » 12 Fév 2017 0:20

Réédition d'un bouquin de 2005 "De l'infini", "Horizons cosmiques, multivers et vide quantique" (DUNOD)
Écrit par deux grands astrophysiciens, J.P LUMINET. et M. LACHIEZE-REY.
"Entièrement révisée à la lumière des derniers résultats de la recherche, cette nouvelle édition retrace quelques grandes étapes des "histoires paralleles" de l'infini en cosmologie , en mathématiques et en physique fondamentale. Les notions d'horizon cosmique et d'univers multiples sont abordées."
Un très bel exercice de vulgarisation, sur un sujet qui ne s'y prête pas vraiment.
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Message » 12 Fév 2017 0:39

Tu as lu la première édition ? La seconde ?
à ton avis quel niveau pour comprendre les principes abordés dans le livre ?
Bac général scientifique ? En dessous de ce niveau ? Au dessus ?
Boc21
 
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Message » 12 Fév 2017 0:52

Boc21 a écrit:Tu as lu la première édition ? La seconde ?
à ton avis quel niveau pour comprendre les principes abordés dans le livre ?
Bac général scientifique ? En dessous de ce niveau ? Au dessus ?

Je ne connaissais pas la première édition. C'est en lisant la dernière que je l'ai découverte.
Je pense que ce qui est développé ne demande pas de connaissances scientifiques particulière, un niveau bac devrait être suffisant.
Toutefois, certains développements de topologie sur les possibles formes de l'univers demandent de la réflexion quand le nombre de dimensions augmente, de même que certains aspects de la relativité générale. Mais c'est plus une question d'agilité d'esprit que de connaissances. Perso, j'ai toujours du mal avec certains raisonnement alambiqués à propos du temps. Sacré Albert!
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Pour Boc 21

Message » 22 Fév 2017 19:24

Platon et la psychologie
Olivier Houdé a revisité l’histoire de la psychologie pour la collection «Que sais-je ?». Bousculant joyeusement l'ordre des chapitres, le chercheur explique pourquoi, selon lui, les débuts de la psychologie ne remontent pas au XIXe siècle mais à... l'Antiquité ! Un entretien paru dans le premier numéro de la revue «Carnets de science».

Alfred Binet y a développé les célèbres tests de quotient intellectuel et jeté les bases de la psychométrie. Un bon siècle plus tard, le laboratoire de psychologie expérimentale se niche toujours au quatrième étage du bâtiment historique de la Sorbonne, au cœur du Quartier latin, à Paris. Olivier Houdé, qui occupe aujourd’hui le fauteuil de son illustre prédécesseur, y cultive la même passion pour l’étude du cerveau. Ce grand amateur de peinture, né à Bruxelles il y a cinquante-trois ans, s’est vu confier par les Presses universitaires de France la mise à jour de leur « Que sais-je ? » sur l’histoire de la psychologie.

Votre nouvelle histoire de la psychologie n’a plus grand-chose à voir avec les éditions précédentes…
Olivier Houdé1 : C’est le principe de cette collection de faire appel à des auteurs successifs pour traiter une même thématique. Je prends ici la suite de Maurice Reuchlin, professeur de psychologie différentielle à Paris Descartes, qui avait publié un premier « Que sais-je ? » sur le sujet en 1957. Son livre s’appuyait sur un découpage par grands courants de la psychologie (expérimentale, animale, sociale, génétique ou développementale ) et, surtout, il en faisait débuter l’histoire au XIXe siècle, très précisément en 1889, date du premier Congrès international de psychologie réuni à Paris et considéré comme l’acte de naissance officiel de la discipline. Lorsque les Presses universitaires de France m’ont demandé d’en écrire une nouvelle édition, j’ai d’abord pensé à refuser, car je ne suis pas historien. De plus, mon approche est totalement différente de celle de Reuchlin. Les questions qui sont au cœur de la psychologie, cela fait deux millénaires que les penseurs se les posent. Si on veut en retracer l’histoire complète, il faut donc partir de l’Antiquité. Ce qui voulait dire beaucoup de travail et du temps à y consacrer.

(Olivier Houdé dirige le laboratoire de psychologie expérimentale du CNRS à la Sorbonne, le premier de France, créé en 1889. Alfred Binet y inventa la psychométrie et les tests du quotient intellectuel.)

Pourquoi avez-vous finalement accepté de l’écrire ?
O. H. : Parce que je dirige le laboratoire CNRS de psychologie de la Sorbonne, qui fut le tout premier de France, créé à la fin du XIXe siècle, là où Alfred Binet a inventé la psychométrie et les tests du quotient intellectuel. Un siècle plus tard, j’ai la chance de pouvoir utiliser des techniques beaucoup plus modernes que lui, notamment l’imagerie cérébrale, et de travailler avec une trentaine de jeunes collègues scientifiques. En définitive, nous avons aujourd’hui à notre disposition les outils dont rêvaient déjà Platon et les médecins grecs pour comprendre les mécanismes du cerveau. Voilà pourquoi je ne pouvais refuser de retracer une si belle histoire !

Nous avons aujourd’hui les outils dont rêvaient déjà Platon et les médecins grecs pour comprendre les mécanismes du cerveau.
Platon psychologue, vous n’y allez pas un peu fort ?

O. H. : Je lance un pavé dans la mare, c’est vrai. Je dis que la psychologie était déjà à l’œuvre dans la pensée dès l’Antiquité, mais qu’elle a été longtemps masquée par la philosophie. Ne pas l’admettre reviendrait à prétendre aussi que, dans l’étude des mécanismes de la vie, tout ce qui précède la biologie moléculaire relève exclusivement de la philosophie ! J’ai la conviction qu’au cours du XXe siècle, les philosophes se sont sentis en danger face à ces psychologues de plus en plus scientifiques et envahissants, jusqu’à menacer de prendre leur place. Dans les milieux universitaires, il y a alors eu un pacte implicite selon lequel chacun restait sur son territoire sans marcher sur les plates-bandes de l’autre. Les psychologues ont dit : « Reconnaissez-nous comme une discipline scientifique nouvelle et, en échange, nous laissons à la philosophie toute la réflexion qui précède. »

Les choses n’ont jamais été formulées de manière aussi explicite, bien sûr, mais il y a bien eu, de fait, une sorte d’« arrangement épistémologique » de ce type. Cet état d’esprit est toujours présent de nos jours et cela explique pourquoi beaucoup de mes collègues ont été très surpris à la lecture de mon livre, surtout venant d’un scientifique, qui plus est neuroscientifique. Un psychologue ne touche pas à la philosophie ni à cette longue histoire qui l’alimente ! De quoi se mêle-t-il ?

Oublions donc 1889. À quand remontent alors les débuts de la psychologie ?

O. H. : S’il fallait vraiment fixer un repère dans le temps, je dirais au XXXIIe siècle avant Jésus-Christ ! À cette période, on voit apparaître dans la mythologie égyptienne un homme à tête de chien penché sur une momie, le dieu Anubis qui pèse les âmes des morts pour décider de leur sort dans l’au-delà. On retrouve l’exacte réplique de la psychostasie – le terme qui désigne la pesée des âmes – jusque dans le christianisme, où l’archange saint Michel est souvent représenté avec une balance. Lui aussi est censé peser les âmes, le jour du Jugement dernier. Mesurer les âmes : voilà bien des manifestations de la psychologie qui résonnent avec nos études actuelles. Comment faire plus contemporain ?

Dans la mythologie égyptienne, le dieu Anubis à tête de chien (que l'on voit ici sur une fresque de Louxor) pèse les âmes des morts pour décider de leur sort dans l'au-delà.

Et la psychologie en tant que discipline scientifique, quand commence-t-elle ?

O. H. : Pour moi, son histoire débute dès l’instant où l’on s’interroge sur les rapports entre l’esprit et le cerveau. J’ai insisté pour faire figurer en couverture de ce livre un tableau de François-Édouard Picot, L’Amour et Psyché. Ce mythe de Psyché est le plus vieux récit de l’histoire de l’âme. Psyché, qui est fille de roi, est un être humain, donc mortel, matériel. Par son mariage avec Éros, elle devient un personnage divin. Avec Psyché, on est déjà dans la psychologie ainsi que dans cette double dimension, avec le monde matériel, visible, biologique d’un côté et l’esprit invisible, éthéré de l’autre. Du mythe, la civilisation grecque est passée à l’âge du rationalisme et Platon, le premier, s’est posé des questions sur les origines et les mécanismes de la pensée. J’ouvre mon histoire avec lui, parce qu’on entre là au cœur de la psychologie. Comment se construisent nos connaissances au-delà des apparences ? Où se logent-elles ? Ce sont bien les mêmes questions qui guident nos recherches les plus avancées en sciences cognitives.

Les recherches neuroscientifiques sur les erreurs de jugement s’appuient sur des travaux de Descartes, dont on trouve des antécédents au IVe siècle chez saint Augustin.
Le platonisme serait-il donc toujours d’actualité dans les laboratoires de psychologie ?

O. H. : En effet. Platon suppose que nos idées sont innées, un peu comme si l’homme possédait un stock cognitif, un capital de départ, qu’il va chercher à réactiver, notamment par l’apprentissage et le travail mental. À l’époque des Lumières, Kant reprendra, après Descartes, cette conception de l’innéisme platonicien. De nos jours, c’est le cas d’une chercheuse en psychologie cognitive et comportementale comme Elizabeth Spelke, qui travaille à l’université de Harvard sur des programmes d’observation de très jeunes enfants, et même de bébés. Si l’on montre un objet à un bébé de quelques mois à peine, puis qu’on le dissimule, il va rechercher l’objet des yeux. Sans aucun apprentissage explicite, il « sait » que l’objet ne s’est pas volatilisé, qu’il existe toujours. On peut en conclure que la notion de permanence de l’objet est une forme de connaissance presque innée. D’autres expériences révèlent la présence de notions physiques ou même protomathématiques.


On imagine que Platon n’a pas inspiré à lui seul toute la recherche psychologique ?

O. H. : En réalité, j’ai identifié deux grandes filiations. La première, innéiste, part de Platon et passe par Descartes et Kant. La seconde, empiriste, démarre avec Aristote, dont le traité De l’âme peut être considéré comme le premier ouvrage complet de psychologie. Chez lui, les idées ne sont pas innées : pour bien comprendre le monde, écrit-il, il faut établir un lien logique et rigoureux entre les choses et les mots. C’est le début de la psychologie du raisonnement, dont les prémisses s’appuient toujours sur le monde réel. Ses prolongements seront la logique médiévale des syllogismes, qui s’est un peu perdue dans le raisonnement à vide, puis le courant empiriste, incarné notamment par Locke et Hume, philosophes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. L’empirisme, qui s’attache d’abord à l’observation des faits extérieurs, a inspiré lui-même la psychologie du comportement, le béhaviorisme, et jusqu’à l’imagerie cérébrale actuelle, qui cherche en quelque sorte à « calculer » nos raisonnements en observant l’activité du cerveau.
Là encore, je bouscule un peu la vision classique de l’histoire de la psychologie, néanmoins je récuse tout soupçon d’anachronisme. Quand on sait, par exemple, que des recherches neuroscientifiques sur les erreurs de jugement et sur le doute s’appuient sur des travaux de Descartes, dont on trouve déjà des antécédents au IVe siècle chez saint Augustin (« Si je me trompe, je suis », écrivait-il), j’affirme que cette approche transhistorique est légitime et pertinente. Quand il s’agit de l’essentiel, c’est-à-dire des invariants cognitifs du cerveau, il ne faut pas avoir peur de comparer et de rapprocher les courants de pensée.

Le mythe de Psyché est le plus vieux récit de l’histoire de l'âme. Psyché est fille de roi, donc mortelle. Par son mariage avec Éros, elle devient un personnage divin. On est déjà dans la psychologie et dans la double dimension des mondes matériel et éthéré (tableau de François-Édouard Picot)

Une histoire linéaire et chronologique, décrivant l’évolution des théories ou les progrès des connaissances, n’a donc pas de sens selon vous ?

O. H. : Je reconnais avoir été surpris, en travaillant pour ce livre, de découvrir une forme de simplicité ou, j’aurais envie de dire, de « simplexité ». Je pensais pouvoir décrire comment les thématiques s’étaient renouvelées au fil du temps, or j’ai dû constater qu’en réalité, les mêmes questions étaient là dès l’origine et reviennent en permanence : l’innéisme, l’empirisme, les liens avec le cerveau… Ces interrogations ont traversé toute l’histoire. Cela peut surprendre les lecteurs, qui s’attendent à un récit chronologique, alors que je montre surtout les résonances entre les époques. Pour la clarté pédagogique du livre, je suis toutefois la linéarité des siècles et des grandes périodes historiques : Antiquité, Moyen Âge, Renaissance et Lumières, XIXe et XXe siècles.

Vous mettez également en lumière deux principes permanents, inhérents à la recherche sur l’esprit…

O. H. : Oui, il s’agit de la présomption de rationalité et du souci de la vérité dans le cerveau. Depuis toujours, la psychologie s’appuie sur un présupposé : le cerveau est logique, même si on ne l’observe pas forcément dans toutes ses tâches. Le monde est constitué d’objets multiples, uniques et permanents, y compris les êtres humains, et notre cerveau traite ces objets soit selon leur nombre – et cette action conduit aux mathématiques – soit selon leur qualité. Il classe alors ces objets par catégories – leur forme, leur couleur, etc. – et on entre là dans le domaine des taxinomies. La troisième étape du raisonnement logique ou formel intervient lorsque ce traitement porte sur des concepts ou des objets abstraits. Ce que nous appelons le domaine des hypothèses nouvelles : la science, l’art, etc.

Je pensais décrire comment les thématiques s’étaient renouvelées dans le temps, or j’ai constaté que les mêmes questions étaient là dès l’origine.
Et le souci de la vérité ?
O. H. : Dans l’Antiquité, il fallait lutter contre les sophistes, ces orateurs très habiles qui manipulaient les raisonnements et contre les responsables politiques qui s’en servaient pour manipuler le peuple. L’arme contre cela fut les syllogismes d’Aristote, dont on connaît le plus célèbre : « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. » Le syllogisme était vraiment le moyen de garantir la justesse des raisonnements. Ce souci de la vérité était étroitement lié à la volonté de faire quelque chose d’utile pour la société. Plus tard, Montaigne a poursuivi le même idéal d’établir des règles simples pour une bonne éducation de l’esprit, suivi par Descartes et sa méthode. C’est un invariant dans l’histoire de la psychologie que je montre : comment apprendre les raisonnements logiques solides, parce que la vérité est le rempart contre tous les excès intellectuels, idéologiques ou autres. Dans nos recherches, nous sommes exactement sur la même ligne.

La psychologie scientifique n’a-t-elle pas permis des progrès décisifs ?

O. H. : Il serait plus juste de parler d’une accélération, spectaculaire, qui s’est amorcée au XIXe siècle et ne s’est pas démentie depuis. À l’origine, les premières théories de Franz Joseph Gall, un neurologue allemand né au XVIIIe siècle, ont pu paraître un peu farfelues : il supposait qu’à tel moment et pour telle action, une partie bien précise du cerveau, visible par une bosse du crâne, expliquait les dispositions ou les facultés des individus, la « bosse des maths » par exemple. Malgré toutes les utilisations fantaisistes, pour ne pas dire néfastes, qu’on a faites à l’époque de la phrénologie, comme l’avait baptisée Gall, cette intuition de la localisation cérébrale était géniale et elle a permis de fixer deux principes majeurs de la neuropsychologie : toute fonction repose sur un organe, conformément aux lois de la biologie alors naissante ; et ces fonctions sont observables. Paul Broca, un neurochirurgien français, en apportera la preuve pour la première fois en 1861, en localisant chez un patient décédé l’aire du cerveau spécialisée dans le langage, la fameuse aire de Broca. On sait aujourd’hui que le problème est bien plus complexe et que le cerveau fonctionne par réseaux, mais les neurosciences et l’imagerie cérébrale que nous pratiquons avec des personnes vivantes sont le prolongement, beaucoup plus rigoureux en termes scientifiques, de l’intuition de Gall.

Le philosophe anglais John Locke (1632-1704) incarne le courant empiriste, qui s'attache à l'observation des faits extérieurs. Avec David Hume (1711-1776), il a notamment inspiré la psychologie du comportement (behaviorisme).

En quoi l’apparition de la biologie a-t-elle contribué à la science psychologique ?

O. H. : Le terme « biologie » est apparu au XIXe siècle avec Darwin notamment, mais l’idée d’une histoire naturelle libérée des croyances religieuses a été émise par Buffon un siècle plus tôt. Après lui, Lamarck a envisagé l’évolution des êtres vivants en prenant le point de vue de leur transformation au fil du temps. Darwin a repris cette perspective, mais en expliquant l’évolution des espèces par la sélection naturelle : ce processus, appelé aussi phylogenèse, se mesure en millions d’années. Cette hypothèse marque une étape très importante dans l’histoire de la psychologie parce qu’elle a permis d’introduire l’idée d’une autre évolution naturelle, celle de l’intelligence animale et humaine, à l’échelle de chaque individu, reprise au XXe siècle sous le nom d’ontogenèse par Jean Piaget.


Avec la biologie, la psychologie s'inscrit dans une double échelle de temps : celle de l’évolution d’une espèce et celle de l’évolution à l’échelle d’une vie.
Dès lors, la psychologie peut s’inscrire dans une double échelle de temps : celle de l’évolution d’une espèce (phylogenèse) et celle de l’évolution à l’échelle d’une vie (ontogenèse), depuis les premiers jours du nourrisson jusqu’à l’âge adulte. Avec le développement des neurosciences, nous avons ajouté une troisième notion : la microgenèse du cerveau. On ne se situe plus à l’échelle d’une vie, mais dans des séquences très courtes, de l’ordre de quelques minutes, au cours desquelles on peut observer et mesurer des évolutions du système cérébral, qui apprend et s’adapte à une tâche cognitive. On peut aussi comparer le cerveau à différents âges de l’ontogenèse. Par ailleurs, si le darwinisme a engendré des théories fumeuses, voire dangereuses, il a rendu possibles de vraies avancées scientifiques. En l’occurrence, quand on a voulu, comme Spencer, sélectionner les individus les plus aptes, il a fallu se donner les moyens de les identifier. C’est ainsi qu’est né à Londres, au début du XXe siècle, le premier laboratoire de psychologie différentielle : on comparait les individus avec des méthodes statistiques et on les classait par rapport à une moyenne. Ce furent, en Angleterre, les premiers pas de la psychométrie et des statistiques modernes.

Et les débuts d’une psychologie « mesurable » ?

O. H. : Là, il faut se tourner vers les premiers laboratoires de psychologie expérimentale en Allemagne. Au milieu du XIXe siècle, Gustav Fechner était convaincu que des liens unissent l’esprit à la matière, autrement dit que psychologie et physique sont liées en une « psychophysique » : à une sensation perçue doit correspondre la stimulation qui la provoque. Fechner rêvait de pouvoir mesurer l’intensité de l’une et de l’autre. Son héritier, Wilhelm Wundt, a voulu s’en donner les moyens scientifiques et a fondé un laboratoire à Leipzig. En supposant qu’un fait psychologique se traduit par un fait nerveux, il mesurait les temps de réaction entre un stimulus sensoriel administré à un sujet et sa réaction motrice. Wundt a ensuite étendu ce dispositif à toutes sortes de sensations, mais aussi aux raisonnements ou aux affects. Ses expériences ont eu un énorme retentissement et ont attiré des chercheurs et des étudiants du monde entier.

Notamment des Français ?

O. H. : Oui, en particulier Théodule Ribot qui publiera un ouvrage sur la psychologie allemande contemporaine en 1879, avant d’occuper la première chaire de psychologie au Collège de France et d’être l’instigateur du premier laboratoire français de psychologie à la Sorbonne, que je dirige aujourd’hui. Ce laboratoire a aussi été dirigé par Alfred Binet, qui, dans les premières années du XXe siècle, y utilisait les instruments les plus modernes pour répondre à une demande pressante de la société : c’est l’époque où se met en place l’école publique et obligatoire et où l’on cherche à dépister le plus tôt possible les enfants exposés à un handicap intellectuel. Binet met au point des tests pour mesurer l’âge mental, qui deviendront quelques années plus tard le fameux QI, le quotient intellectuel inventé par l’Allemand William Stern.

Jean Piaget (1896-1980), psychologue, a voulu comprendre comment se construisent les connaissances au fil de la vie à partir de données présentes dès la naissance. C'est la théorie du constructivisme.

Puis vient Piaget et son approche constructiviste, celle-là même qui inspire vos propres travaux ?
O. H. : En réalité, la psychologie s’est ramifiée en différentes branches au XXe siècle, comme celle de l’étude expérimentale de la conscience, née aux États-Unis avec William James et reprise par les neurosciences cognitives aujourd’hui, et celle de la psychopathologie française, initiée par Pierre Janet, qui ouvrira la voie à Freud et à la théorie psychanalytique de l’insconscient – selon laquelle le patient peut libérer, en verbalisant ses pensées et associations d’idées, ce qui est refoulé dans l’inconscient et crée des névroses comme les obsessions, les angoisses ou les phobies.
Quant à Piaget, il s’est surtout employé à comprendre comment se construisent les connaissances au fil de la vie à partir de données présentes dès la naissance. Cette théorie du constructivisme compte beaucoup à mes yeux parce qu’elle est la première à faire la synthèse des deux grandes filiations évoquées plus haut : l’innéisme et l’empirisme. C’est une formidable synthèse, même si les recherches actuelles montrent que Piaget n’avait qu’en partie raison : la logique des raisonnements élaborés qui lui était chère se révèle être en compétition avec les automatismes rapides, que nous appelons heuristiques. On reconnaît, avec le Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, que le système qui utilise les heuristiques domine, même chez l’adulte, parce que c’est celui que le cerveau utilise le plus souvent et qu’il est en général efficace. Mais dans certains cas, il faut apprendre à savoir bloquer ces heuristiques pour activer les bons raisonnements.
Ces recherches sont très utiles dans les problématiques liées aux formes de pensée extrême, comme c’est le cas aujourd’hui de la radicalisation idéologique ou religieuse conduisant au terrorisme que j’étudie avec mon équipe, ici même au laboratoire de psychologie de la Sorbonne. Nous n’avons pas la prétention d’y apporter des solutions miracles, mais si l’on peut observer comment un raisonnement logique ou moral est fragilisé par des automatismes trop simples de pensée, on peut envisager certaines corrections. Cela conduit à une forme de neuro-éducation. Nous poursuivons d’ailleurs un grand programme de recherche avec 150 enfants observés en imagerie cérébrale, à qui nous apprenons à contrôler ces erreurs d’automatismes cognitifs sur des tablettes numériques et donc à être moins perméables aux influences. On retrouve ainsi les thématiques de Montaigne ! Les technologies sont nouvelles, mais les préoccupations fondamentales sur la fragilité de l’esprit sont les mêmes.


Cet article a été publié dans le premier numéro de Carnets de Science, la revue d’information scientifique du CNRS destinée au grand public. En vente dans les librairies et Relay, ainsi que sur le site Carnets de science (link is external).


CNRS Editions


08.02.2017, par Francis Lecompte
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Message » 22 Fév 2017 22:57

Flippant cet article...sincèrement très très très flippant.
Surtout la fin.
Boc21
 
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Message » 22 Fév 2017 23:53

Robert64 a écrit:Platon et la psychologie
Olivier Houdé a revisité l’histoire de la psychologie pour la collection «Que sais-je ?». Bousculant joyeusement l'ordre des chapitres, le chercheur explique pourquoi, selon lui, les débuts de la psychologie ne remontent pas au XIXe siècle mais à... l'Antiquité ! Un entretien paru dans le premier numéro de la revue «Carnets de science».

Alfred Binet y a développé les célèbres tests de quotient intellectuel et jeté les bases de la psychométrie. Un bon siècle plus tard, le laboratoire de psychologie expérimentale se niche toujours au quatrième étage du bâtiment historique de la Sorbonne, au cœur du Quartier latin, à Paris. Olivier Houdé, qui occupe aujourd’hui le fauteuil de son illustre prédécesseur, y cultive la même passion pour l’étude du cerveau. Ce grand amateur de peinture, né à Bruxelles il y a cinquante-trois ans, s’est vu confier par les Presses universitaires de France la mise à jour de leur « Que sais-je ? » sur l’histoire de la psychologie.

Votre nouvelle histoire de la psychologie n’a plus grand-chose à voir avec les éditions précédentes…
Olivier Houdé1 : C’est le principe de cette collection de faire appel à des auteurs successifs pour traiter une même thématique. Je prends ici la suite de Maurice Reuchlin, professeur de psychologie différentielle à Paris Descartes, qui avait publié un premier « Que sais-je ? » sur le sujet en 1957. Son livre s’appuyait sur un découpage par grands courants de la psychologie (expérimentale, animale, sociale, génétique ou développementale ) et, surtout, il en faisait débuter l’histoire au XIXe siècle, très précisément en 1889, date du premier Congrès international de psychologie réuni à Paris et considéré comme l’acte de naissance officiel de la discipline. Lorsque les Presses universitaires de France m’ont demandé d’en écrire une nouvelle édition, j’ai d’abord pensé à refuser, car je ne suis pas historien. De plus, mon approche est totalement différente de celle de Reuchlin. Les questions qui sont au cœur de la psychologie, cela fait deux millénaires que les penseurs se les posent. Si on veut en retracer l’histoire complète, il faut donc partir de l’Antiquité. Ce qui voulait dire beaucoup de travail et du temps à y consacrer.

(Olivier Houdé dirige le laboratoire de psychologie expérimentale du CNRS à la Sorbonne, le premier de France, créé en 1889. Alfred Binet y inventa la psychométrie et les tests du quotient intellectuel.)

Pourquoi avez-vous finalement accepté de l’écrire ?
O. H. : Parce que je dirige le laboratoire CNRS de psychologie de la Sorbonne, qui fut le tout premier de France, créé à la fin du XIXe siècle, là où Alfred Binet a inventé la psychométrie et les tests du quotient intellectuel. Un siècle plus tard, j’ai la chance de pouvoir utiliser des techniques beaucoup plus modernes que lui, notamment l’imagerie cérébrale, et de travailler avec une trentaine de jeunes collègues scientifiques. En définitive, nous avons aujourd’hui à notre disposition les outils dont rêvaient déjà Platon et les médecins grecs pour comprendre les mécanismes du cerveau. Voilà pourquoi je ne pouvais refuser de retracer une si belle histoire !

Nous avons aujourd’hui les outils dont rêvaient déjà Platon et les médecins grecs pour comprendre les mécanismes du cerveau.
Platon psychologue, vous n’y allez pas un peu fort ?

O. H. : Je lance un pavé dans la mare, c’est vrai. Je dis que la psychologie était déjà à l’œuvre dans la pensée dès l’Antiquité, mais qu’elle a été longtemps masquée par la philosophie. Ne pas l’admettre reviendrait à prétendre aussi que, dans l’étude des mécanismes de la vie, tout ce qui précède la biologie moléculaire relève exclusivement de la philosophie ! J’ai la conviction qu’au cours du XXe siècle, les philosophes se sont sentis en danger face à ces psychologues de plus en plus scientifiques et envahissants, jusqu’à menacer de prendre leur place. Dans les milieux universitaires, il y a alors eu un pacte implicite selon lequel chacun restait sur son territoire sans marcher sur les plates-bandes de l’autre. Les psychologues ont dit : « Reconnaissez-nous comme une discipline scientifique nouvelle et, en échange, nous laissons à la philosophie toute la réflexion qui précède. »

Les choses n’ont jamais été formulées de manière aussi explicite, bien sûr, mais il y a bien eu, de fait, une sorte d’« arrangement épistémologique » de ce type. Cet état d’esprit est toujours présent de nos jours et cela explique pourquoi beaucoup de mes collègues ont été très surpris à la lecture de mon livre, surtout venant d’un scientifique, qui plus est neuroscientifique. Un psychologue ne touche pas à la philosophie ni à cette longue histoire qui l’alimente ! De quoi se mêle-t-il ?

Oublions donc 1889. À quand remontent alors les débuts de la psychologie ?

O. H. : S’il fallait vraiment fixer un repère dans le temps, je dirais au XXXIIe siècle avant Jésus-Christ ! À cette période, on voit apparaître dans la mythologie égyptienne un homme à tête de chien penché sur une momie, le dieu Anubis qui pèse les âmes des morts pour décider de leur sort dans l’au-delà. On retrouve l’exacte réplique de la psychostasie – le terme qui désigne la pesée des âmes – jusque dans le christianisme, où l’archange saint Michel est souvent représenté avec une balance. Lui aussi est censé peser les âmes, le jour du Jugement dernier. Mesurer les âmes : voilà bien des manifestations de la psychologie qui résonnent avec nos études actuelles. Comment faire plus contemporain ?

Dans la mythologie égyptienne, le dieu Anubis à tête de chien (que l'on voit ici sur une fresque de Louxor) pèse les âmes des morts pour décider de leur sort dans l'au-delà.

Et la psychologie en tant que discipline scientifique, quand commence-t-elle ?

O. H. : Pour moi, son histoire débute dès l’instant où l’on s’interroge sur les rapports entre l’esprit et le cerveau. J’ai insisté pour faire figurer en couverture de ce livre un tableau de François-Édouard Picot, L’Amour et Psyché. Ce mythe de Psyché est le plus vieux récit de l’histoire de l’âme. Psyché, qui est fille de roi, est un être humain, donc mortel, matériel. Par son mariage avec Éros, elle devient un personnage divin. Avec Psyché, on est déjà dans la psychologie ainsi que dans cette double dimension, avec le monde matériel, visible, biologique d’un côté et l’esprit invisible, éthéré de l’autre. Du mythe, la civilisation grecque est passée à l’âge du rationalisme et Platon, le premier, s’est posé des questions sur les origines et les mécanismes de la pensée. J’ouvre mon histoire avec lui, parce qu’on entre là au cœur de la psychologie. Comment se construisent nos connaissances au-delà des apparences ? Où se logent-elles ? Ce sont bien les mêmes questions qui guident nos recherches les plus avancées en sciences cognitives.

Les recherches neuroscientifiques sur les erreurs de jugement s’appuient sur des travaux de Descartes, dont on trouve des antécédents au IVe siècle chez saint Augustin.
Le platonisme serait-il donc toujours d’actualité dans les laboratoires de psychologie ?

O. H. : En effet. Platon suppose que nos idées sont innées, un peu comme si l’homme possédait un stock cognitif, un capital de départ, qu’il va chercher à réactiver, notamment par l’apprentissage et le travail mental. À l’époque des Lumières, Kant reprendra, après Descartes, cette conception de l’innéisme platonicien. De nos jours, c’est le cas d’une chercheuse en psychologie cognitive et comportementale comme Elizabeth Spelke, qui travaille à l’université de Harvard sur des programmes d’observation de très jeunes enfants, et même de bébés. Si l’on montre un objet à un bébé de quelques mois à peine, puis qu’on le dissimule, il va rechercher l’objet des yeux. Sans aucun apprentissage explicite, il « sait » que l’objet ne s’est pas volatilisé, qu’il existe toujours. On peut en conclure que la notion de permanence de l’objet est une forme de connaissance presque innée. D’autres expériences révèlent la présence de notions physiques ou même protomathématiques.


On imagine que Platon n’a pas inspiré à lui seul toute la recherche psychologique ?

O. H. : En réalité, j’ai identifié deux grandes filiations. La première, innéiste, part de Platon et passe par Descartes et Kant. La seconde, empiriste, démarre avec Aristote, dont le traité De l’âme peut être considéré comme le premier ouvrage complet de psychologie. Chez lui, les idées ne sont pas innées : pour bien comprendre le monde, écrit-il, il faut établir un lien logique et rigoureux entre les choses et les mots. C’est le début de la psychologie du raisonnement, dont les prémisses s’appuient toujours sur le monde réel. Ses prolongements seront la logique médiévale des syllogismes, qui s’est un peu perdue dans le raisonnement à vide, puis le courant empiriste, incarné notamment par Locke et Hume, philosophes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. L’empirisme, qui s’attache d’abord à l’observation des faits extérieurs, a inspiré lui-même la psychologie du comportement, le béhaviorisme, et jusqu’à l’imagerie cérébrale actuelle, qui cherche en quelque sorte à « calculer » nos raisonnements en observant l’activité du cerveau.
Là encore, je bouscule un peu la vision classique de l’histoire de la psychologie, néanmoins je récuse tout soupçon d’anachronisme. Quand on sait, par exemple, que des recherches neuroscientifiques sur les erreurs de jugement et sur le doute s’appuient sur des travaux de Descartes, dont on trouve déjà des antécédents au IVe siècle chez saint Augustin (« Si je me trompe, je suis », écrivait-il), j’affirme que cette approche transhistorique est légitime et pertinente. Quand il s’agit de l’essentiel, c’est-à-dire des invariants cognitifs du cerveau, il ne faut pas avoir peur de comparer et de rapprocher les courants de pensée.

Le mythe de Psyché est le plus vieux récit de l’histoire de l'âme. Psyché est fille de roi, donc mortelle. Par son mariage avec Éros, elle devient un personnage divin. On est déjà dans la psychologie et dans la double dimension des mondes matériel et éthéré (tableau de François-Édouard Picot)

Une histoire linéaire et chronologique, décrivant l’évolution des théories ou les progrès des connaissances, n’a donc pas de sens selon vous ?

O. H. : Je reconnais avoir été surpris, en travaillant pour ce livre, de découvrir une forme de simplicité ou, j’aurais envie de dire, de « simplexité ». Je pensais pouvoir décrire comment les thématiques s’étaient renouvelées au fil du temps, or j’ai dû constater qu’en réalité, les mêmes questions étaient là dès l’origine et reviennent en permanence : l’innéisme, l’empirisme, les liens avec le cerveau… Ces interrogations ont traversé toute l’histoire. Cela peut surprendre les lecteurs, qui s’attendent à un récit chronologique, alors que je montre surtout les résonances entre les époques. Pour la clarté pédagogique du livre, je suis toutefois la linéarité des siècles et des grandes périodes historiques : Antiquité, Moyen Âge, Renaissance et Lumières, XIXe et XXe siècles.

Vous mettez également en lumière deux principes permanents, inhérents à la recherche sur l’esprit…

O. H. : Oui, il s’agit de la présomption de rationalité et du souci de la vérité dans le cerveau. Depuis toujours, la psychologie s’appuie sur un présupposé : le cerveau est logique, même si on ne l’observe pas forcément dans toutes ses tâches. Le monde est constitué d’objets multiples, uniques et permanents, y compris les êtres humains, et notre cerveau traite ces objets soit selon leur nombre – et cette action conduit aux mathématiques – soit selon leur qualité. Il classe alors ces objets par catégories – leur forme, leur couleur, etc. – et on entre là dans le domaine des taxinomies. La troisième étape du raisonnement logique ou formel intervient lorsque ce traitement porte sur des concepts ou des objets abstraits. Ce que nous appelons le domaine des hypothèses nouvelles : la science, l’art, etc.

Je pensais décrire comment les thématiques s’étaient renouvelées dans le temps, or j’ai constaté que les mêmes questions étaient là dès l’origine.
Et le souci de la vérité ?
O. H. : Dans l’Antiquité, il fallait lutter contre les sophistes, ces orateurs très habiles qui manipulaient les raisonnements et contre les responsables politiques qui s’en servaient pour manipuler le peuple. L’arme contre cela fut les syllogismes d’Aristote, dont on connaît le plus célèbre : « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. » Le syllogisme était vraiment le moyen de garantir la justesse des raisonnements. Ce souci de la vérité était étroitement lié à la volonté de faire quelque chose d’utile pour la société. Plus tard, Montaigne a poursuivi le même idéal d’établir des règles simples pour une bonne éducation de l’esprit, suivi par Descartes et sa méthode. C’est un invariant dans l’histoire de la psychologie que je montre : comment apprendre les raisonnements logiques solides, parce que la vérité est le rempart contre tous les excès intellectuels, idéologiques ou autres. Dans nos recherches, nous sommes exactement sur la même ligne.

La psychologie scientifique n’a-t-elle pas permis des progrès décisifs ?

O. H. : Il serait plus juste de parler d’une accélération, spectaculaire, qui s’est amorcée au XIXe siècle et ne s’est pas démentie depuis. À l’origine, les premières théories de Franz Joseph Gall, un neurologue allemand né au XVIIIe siècle, ont pu paraître un peu farfelues : il supposait qu’à tel moment et pour telle action, une partie bien précise du cerveau, visible par une bosse du crâne, expliquait les dispositions ou les facultés des individus, la « bosse des maths » par exemple. Malgré toutes les utilisations fantaisistes, pour ne pas dire néfastes, qu’on a faites à l’époque de la phrénologie, comme l’avait baptisée Gall, cette intuition de la localisation cérébrale était géniale et elle a permis de fixer deux principes majeurs de la neuropsychologie : toute fonction repose sur un organe, conformément aux lois de la biologie alors naissante ; et ces fonctions sont observables. Paul Broca, un neurochirurgien français, en apportera la preuve pour la première fois en 1861, en localisant chez un patient décédé l’aire du cerveau spécialisée dans le langage, la fameuse aire de Broca. On sait aujourd’hui que le problème est bien plus complexe et que le cerveau fonctionne par réseaux, mais les neurosciences et l’imagerie cérébrale que nous pratiquons avec des personnes vivantes sont le prolongement, beaucoup plus rigoureux en termes scientifiques, de l’intuition de Gall.

Le philosophe anglais John Locke (1632-1704) incarne le courant empiriste, qui s'attache à l'observation des faits extérieurs. Avec David Hume (1711-1776), il a notamment inspiré la psychologie du comportement (behaviorisme).

En quoi l’apparition de la biologie a-t-elle contribué à la science psychologique ?

O. H. : Le terme « biologie » est apparu au XIXe siècle avec Darwin notamment, mais l’idée d’une histoire naturelle libérée des croyances religieuses a été émise par Buffon un siècle plus tôt. Après lui, Lamarck a envisagé l’évolution des êtres vivants en prenant le point de vue de leur transformation au fil du temps. Darwin a repris cette perspective, mais en expliquant l’évolution des espèces par la sélection naturelle : ce processus, appelé aussi phylogenèse, se mesure en millions d’années. Cette hypothèse marque une étape très importante dans l’histoire de la psychologie parce qu’elle a permis d’introduire l’idée d’une autre évolution naturelle, celle de l’intelligence animale et humaine, à l’échelle de chaque individu, reprise au XXe siècle sous le nom d’ontogenèse par Jean Piaget.


Avec la biologie, la psychologie s'inscrit dans une double échelle de temps : celle de l’évolution d’une espèce et celle de l’évolution à l’échelle d’une vie.
Dès lors, la psychologie peut s’inscrire dans une double échelle de temps : celle de l’évolution d’une espèce (phylogenèse) et celle de l’évolution à l’échelle d’une vie (ontogenèse), depuis les premiers jours du nourrisson jusqu’à l’âge adulte. Avec le développement des neurosciences, nous avons ajouté une troisième notion : la microgenèse du cerveau. On ne se situe plus à l’échelle d’une vie, mais dans des séquences très courtes, de l’ordre de quelques minutes, au cours desquelles on peut observer et mesurer des évolutions du système cérébral, qui apprend et s’adapte à une tâche cognitive. On peut aussi comparer le cerveau à différents âges de l’ontogenèse. Par ailleurs, si le darwinisme a engendré des théories fumeuses, voire dangereuses, il a rendu possibles de vraies avancées scientifiques. En l’occurrence, quand on a voulu, comme Spencer, sélectionner les individus les plus aptes, il a fallu se donner les moyens de les identifier. C’est ainsi qu’est né à Londres, au début du XXe siècle, le premier laboratoire de psychologie différentielle : on comparait les individus avec des méthodes statistiques et on les classait par rapport à une moyenne. Ce furent, en Angleterre, les premiers pas de la psychométrie et des statistiques modernes.

Et les débuts d’une psychologie « mesurable » ?

O. H. : Là, il faut se tourner vers les premiers laboratoires de psychologie expérimentale en Allemagne. Au milieu du XIXe siècle, Gustav Fechner était convaincu que des liens unissent l’esprit à la matière, autrement dit que psychologie et physique sont liées en une « psychophysique » : à une sensation perçue doit correspondre la stimulation qui la provoque. Fechner rêvait de pouvoir mesurer l’intensité de l’une et de l’autre. Son héritier, Wilhelm Wundt, a voulu s’en donner les moyens scientifiques et a fondé un laboratoire à Leipzig. En supposant qu’un fait psychologique se traduit par un fait nerveux, il mesurait les temps de réaction entre un stimulus sensoriel administré à un sujet et sa réaction motrice. Wundt a ensuite étendu ce dispositif à toutes sortes de sensations, mais aussi aux raisonnements ou aux affects. Ses expériences ont eu un énorme retentissement et ont attiré des chercheurs et des étudiants du monde entier.

Notamment des Français ?

O. H. : Oui, en particulier Théodule Ribot qui publiera un ouvrage sur la psychologie allemande contemporaine en 1879, avant d’occuper la première chaire de psychologie au Collège de France et d’être l’instigateur du premier laboratoire français de psychologie à la Sorbonne, que je dirige aujourd’hui. Ce laboratoire a aussi été dirigé par Alfred Binet, qui, dans les premières années du XXe siècle, y utilisait les instruments les plus modernes pour répondre à une demande pressante de la société : c’est l’époque où se met en place l’école publique et obligatoire et où l’on cherche à dépister le plus tôt possible les enfants exposés à un handicap intellectuel. Binet met au point des tests pour mesurer l’âge mental, qui deviendront quelques années plus tard le fameux QI, le quotient intellectuel inventé par l’Allemand William Stern.

Jean Piaget (1896-1980), psychologue, a voulu comprendre comment se construisent les connaissances au fil de la vie à partir de données présentes dès la naissance. C'est la théorie du constructivisme.

Puis vient Piaget et son approche constructiviste, celle-là même qui inspire vos propres travaux ?
O. H. : En réalité, la psychologie s’est ramifiée en différentes branches au XXe siècle, comme celle de l’étude expérimentale de la conscience, née aux États-Unis avec William James et reprise par les neurosciences cognitives aujourd’hui, et celle de la psychopathologie française, initiée par Pierre Janet, qui ouvrira la voie à Freud et à la théorie psychanalytique de l’insconscient – selon laquelle le patient peut libérer, en verbalisant ses pensées et associations d’idées, ce qui est refoulé dans l’inconscient et crée des névroses comme les obsessions, les angoisses ou les phobies.
Quant à Piaget, il s’est surtout employé à comprendre comment se construisent les connaissances au fil de la vie à partir de données présentes dès la naissance. Cette théorie du constructivisme compte beaucoup à mes yeux parce qu’elle est la première à faire la synthèse des deux grandes filiations évoquées plus haut : l’innéisme et l’empirisme. C’est une formidable synthèse, même si les recherches actuelles montrent que Piaget n’avait qu’en partie raison : la logique des raisonnements élaborés qui lui était chère se révèle être en compétition avec les automatismes rapides, que nous appelons heuristiques. On reconnaît, avec le Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, que le système qui utilise les heuristiques domine, même chez l’adulte, parce que c’est celui que le cerveau utilise le plus souvent et qu’il est en général efficace. Mais dans certains cas, il faut apprendre à savoir bloquer ces heuristiques pour activer les bons raisonnements.
Ces recherches sont très utiles dans les problématiques liées aux formes de pensée extrême, comme c’est le cas aujourd’hui de la radicalisation idéologique ou religieuse conduisant au terrorisme que j’étudie avec mon équipe, ici même au laboratoire de psychologie de la Sorbonne. Nous n’avons pas la prétention d’y apporter des solutions miracles, mais si l’on peut observer comment un raisonnement logique ou moral est fragilisé par des automatismes trop simples de pensée, on peut envisager certaines corrections. Cela conduit à une forme de neuro-éducation. Nous poursuivons d’ailleurs un grand programme de recherche avec 150 enfants observés en imagerie cérébrale, à qui nous apprenons à contrôler ces erreurs d’automatismes cognitifs sur des tablettes numériques et donc à être moins perméables aux influences. On retrouve ainsi les thématiques de Montaigne ! Les technologies sont nouvelles, mais les préoccupations fondamentales sur la fragilité de l’esprit sont les mêmes.


Cet article a été publié dans le premier numéro de Carnets de Science, la revue d’information scientifique du CNRS destinée au grand public. En vente dans les librairies et Relay, ainsi que sur le site Carnets de science (link is external).


CNRS Editions


08.02.2017, par Francis Lecompte

Merci Robert. Malheureusement je suis au regret de dire que la lecture de cette publication m'a donné la nausée. Vraiment. Je ne partage strictement rien de ce qui y est écrit. Tous ces psychologues qui n'ont même pas fait médecine, comment dire.... Dangereux. Olivier Houdé... :hein: :ohmg:
alain_38
 
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Message » 23 Fév 2017 9:19

alain_38 a écrit:....
Merci Robert. Malheureusement je suis au regret de dire que la lecture de cette publication m'a donné la nausée. Vraiment. Je ne partage strictement rien de ce qui y est écrit. Tous ces psychologues qui n'ont même pas fait médecine, comment dire.... Dangereux. Olivier Houdé... :hein: :ohmg:

Je trouve la démarche un peu surprenante, mais elle ne me choque pas plus que ça. Pourrais-tu prendre quelques minutes pour nous expliquer en quelques lignes ce qui te semble inacceptable, afin d'éclairer la lanterne des néophytes que nous sommes?
Et si Boc pouvait commenter aussi, je suis intéressé.
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Robert64
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Message » 23 Fév 2017 10:26

Robert64 a écrit:Platon et la psychologie
Olivier Houdé a revisité l’histoire de la psychologie pour la collection «Que sais-je ?». Bousculant joyeusement l'ordre des chapitres, le chercheur explique pourquoi, selon lui, les débuts de la psychologie ne remontent pas au XIXe siècle mais à... l'Antiquité ! Un entretien paru dans le premier numéro de la revue «Carnets de science».

Alfred Binet y a développé les célèbres tests de quotient intellectuel et jeté les bases de la psychométrie. Un bon siècle plus tard, le laboratoire de psychologie expérimentale se niche toujours au quatrième étage du bâtiment historique de la Sorbonne, au cœur du Quartier latin, à Paris. Olivier Houdé, qui occupe aujourd’hui le fauteuil de son illustre prédécesseur, y cultive la même passion pour l’étude du cerveau. Ce grand amateur de peinture, né à Bruxelles il y a cinquante-trois ans, s’est vu confier par les Presses universitaires de France la mise à jour de leur « Que sais-je ? » sur l’histoire de la psychologie.

Votre nouvelle histoire de la psychologie n’a plus grand-chose à voir avec les éditions précédentes…
Olivier Houdé1 : C’est le principe de cette collection de faire appel à des auteurs successifs pour traiter une même thématique. Je prends ici la suite de Maurice Reuchlin, professeur de psychologie différentielle à Paris Descartes, qui avait publié un premier « Que sais-je ? » sur le sujet en 1957. Son livre s’appuyait sur un découpage par grands courants de la psychologie (expérimentale, animale, sociale, génétique ou développementale ) et, surtout, il en faisait débuter l’histoire au XIXe siècle, très précisément en 1889, date du premier Congrès international de psychologie réuni à Paris et considéré comme l’acte de naissance officiel de la discipline. Lorsque les Presses universitaires de France m’ont demandé d’en écrire une nouvelle édition, j’ai d’abord pensé à refuser, car je ne suis pas historien. De plus, mon approche est totalement différente de celle de Reuchlin. Les questions qui sont au cœur de la psychologie, cela fait deux millénaires que les penseurs se les posent. Si on veut en retracer l’histoire complète, il faut donc partir de l’Antiquité. Ce qui voulait dire beaucoup de travail et du temps à y consacrer.

(Olivier Houdé dirige le laboratoire de psychologie expérimentale du CNRS à la Sorbonne, le premier de France, créé en 1889. Alfred Binet y inventa la psychométrie et les tests du quotient intellectuel.)

Pourquoi avez-vous finalement accepté de l’écrire ?
O. H. : Parce que je dirige le laboratoire CNRS de psychologie de la Sorbonne, qui fut le tout premier de France, créé à la fin du XIXe siècle, là où Alfred Binet a inventé la psychométrie et les tests du quotient intellectuel. Un siècle plus tard, j’ai la chance de pouvoir utiliser des techniques beaucoup plus modernes que lui, notamment l’imagerie cérébrale, et de travailler avec une trentaine de jeunes collègues scientifiques. En définitive, nous avons aujourd’hui à notre disposition les outils dont rêvaient déjà Platon et les médecins grecs pour comprendre les mécanismes du cerveau. Voilà pourquoi je ne pouvais refuser de retracer une si belle histoire !

Nous avons aujourd’hui les outils dont rêvaient déjà Platon et les médecins grecs pour comprendre les mécanismes du cerveau.
Platon psychologue, vous n’y allez pas un peu fort ?

O. H. : Je lance un pavé dans la mare, c’est vrai. Je dis que la psychologie était déjà à l’œuvre dans la pensée dès l’Antiquité, mais qu’elle a été longtemps masquée par la philosophie. Ne pas l’admettre reviendrait à prétendre aussi que, dans l’étude des mécanismes de la vie, tout ce qui précède la biologie moléculaire relève exclusivement de la philosophie ! J’ai la conviction qu’au cours du XXe siècle, les philosophes se sont sentis en danger face à ces psychologues de plus en plus scientifiques et envahissants, jusqu’à menacer de prendre leur place. Dans les milieux universitaires, il y a alors eu un pacte implicite selon lequel chacun restait sur son territoire sans marcher sur les plates-bandes de l’autre. Les psychologues ont dit : « Reconnaissez-nous comme une discipline scientifique nouvelle et, en échange, nous laissons à la philosophie toute la réflexion qui précède. »

Les choses n’ont jamais été formulées de manière aussi explicite, bien sûr, mais il y a bien eu, de fait, une sorte d’« arrangement épistémologique » de ce type. Cet état d’esprit est toujours présent de nos jours et cela explique pourquoi beaucoup de mes collègues ont été très surpris à la lecture de mon livre, surtout venant d’un scientifique, qui plus est neuroscientifique. Un psychologue ne touche pas à la philosophie ni à cette longue histoire qui l’alimente ! De quoi se mêle-t-il ?

Oublions donc 1889. À quand remontent alors les débuts de la psychologie ?

O. H. : S’il fallait vraiment fixer un repère dans le temps, je dirais au XXXIIe siècle avant Jésus-Christ ! À cette période, on voit apparaître dans la mythologie égyptienne un homme à tête de chien penché sur une momie, le dieu Anubis qui pèse les âmes des morts pour décider de leur sort dans l’au-delà. On retrouve l’exacte réplique de la psychostasie – le terme qui désigne la pesée des âmes – jusque dans le christianisme, où l’archange saint Michel est souvent représenté avec une balance. Lui aussi est censé peser les âmes, le jour du Jugement dernier. Mesurer les âmes : voilà bien des manifestations de la psychologie qui résonnent avec nos études actuelles. Comment faire plus contemporain ?

Dans la mythologie égyptienne, le dieu Anubis à tête de chien (que l'on voit ici sur une fresque de Louxor) pèse les âmes des morts pour décider de leur sort dans l'au-delà.

Et la psychologie en tant que discipline scientifique, quand commence-t-elle ?

O. H. : Pour moi, son histoire débute dès l’instant où l’on s’interroge sur les rapports entre l’esprit et le cerveau. J’ai insisté pour faire figurer en couverture de ce livre un tableau de François-Édouard Picot, L’Amour et Psyché. Ce mythe de Psyché est le plus vieux récit de l’histoire de l’âme. Psyché, qui est fille de roi, est un être humain, donc mortel, matériel. Par son mariage avec Éros, elle devient un personnage divin. Avec Psyché, on est déjà dans la psychologie ainsi que dans cette double dimension, avec le monde matériel, visible, biologique d’un côté et l’esprit invisible, éthéré de l’autre. Du mythe, la civilisation grecque est passée à l’âge du rationalisme et Platon, le premier, s’est posé des questions sur les origines et les mécanismes de la pensée. J’ouvre mon histoire avec lui, parce qu’on entre là au cœur de la psychologie. Comment se construisent nos connaissances au-delà des apparences ? Où se logent-elles ? Ce sont bien les mêmes questions qui guident nos recherches les plus avancées en sciences cognitives.

Les recherches neuroscientifiques sur les erreurs de jugement s’appuient sur des travaux de Descartes, dont on trouve des antécédents au IVe siècle chez saint Augustin.
Le platonisme serait-il donc toujours d’actualité dans les laboratoires de psychologie ?

O. H. : En effet. Platon suppose que nos idées sont innées, un peu comme si l’homme possédait un stock cognitif, un capital de départ, qu’il va chercher à réactiver, notamment par l’apprentissage et le travail mental. À l’époque des Lumières, Kant reprendra, après Descartes, cette conception de l’innéisme platonicien. De nos jours, c’est le cas d’une chercheuse en psychologie cognitive et comportementale comme Elizabeth Spelke, qui travaille à l’université de Harvard sur des programmes d’observation de très jeunes enfants, et même de bébés. Si l’on montre un objet à un bébé de quelques mois à peine, puis qu’on le dissimule, il va rechercher l’objet des yeux. Sans aucun apprentissage explicite, il « sait » que l’objet ne s’est pas volatilisé, qu’il existe toujours. On peut en conclure que la notion de permanence de l’objet est une forme de connaissance presque innée. D’autres expériences révèlent la présence de notions physiques ou même protomathématiques.


On imagine que Platon n’a pas inspiré à lui seul toute la recherche psychologique ?

O. H. : En réalité, j’ai identifié deux grandes filiations. La première, innéiste, part de Platon et passe par Descartes et Kant. La seconde, empiriste, démarre avec Aristote, dont le traité De l’âme peut être considéré comme le premier ouvrage complet de psychologie. Chez lui, les idées ne sont pas innées : pour bien comprendre le monde, écrit-il, il faut établir un lien logique et rigoureux entre les choses et les mots. C’est le début de la psychologie du raisonnement, dont les prémisses s’appuient toujours sur le monde réel. Ses prolongements seront la logique médiévale des syllogismes, qui s’est un peu perdue dans le raisonnement à vide, puis le courant empiriste, incarné notamment par Locke et Hume, philosophes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. L’empirisme, qui s’attache d’abord à l’observation des faits extérieurs, a inspiré lui-même la psychologie du comportement, le béhaviorisme, et jusqu’à l’imagerie cérébrale actuelle, qui cherche en quelque sorte à « calculer » nos raisonnements en observant l’activité du cerveau.
Là encore, je bouscule un peu la vision classique de l’histoire de la psychologie, néanmoins je récuse tout soupçon d’anachronisme. Quand on sait, par exemple, que des recherches neuroscientifiques sur les erreurs de jugement et sur le doute s’appuient sur des travaux de Descartes, dont on trouve déjà des antécédents au IVe siècle chez saint Augustin (« Si je me trompe, je suis », écrivait-il), j’affirme que cette approche transhistorique est légitime et pertinente. Quand il s’agit de l’essentiel, c’est-à-dire des invariants cognitifs du cerveau, il ne faut pas avoir peur de comparer et de rapprocher les courants de pensée.

Le mythe de Psyché est le plus vieux récit de l’histoire de l'âme. Psyché est fille de roi, donc mortelle. Par son mariage avec Éros, elle devient un personnage divin. On est déjà dans la psychologie et dans la double dimension des mondes matériel et éthéré (tableau de François-Édouard Picot)

Une histoire linéaire et chronologique, décrivant l’évolution des théories ou les progrès des connaissances, n’a donc pas de sens selon vous ?

O. H. : Je reconnais avoir été surpris, en travaillant pour ce livre, de découvrir une forme de simplicité ou, j’aurais envie de dire, de « simplexité ». Je pensais pouvoir décrire comment les thématiques s’étaient renouvelées au fil du temps, or j’ai dû constater qu’en réalité, les mêmes questions étaient là dès l’origine et reviennent en permanence : l’innéisme, l’empirisme, les liens avec le cerveau… Ces interrogations ont traversé toute l’histoire. Cela peut surprendre les lecteurs, qui s’attendent à un récit chronologique, alors que je montre surtout les résonances entre les époques. Pour la clarté pédagogique du livre, je suis toutefois la linéarité des siècles et des grandes périodes historiques : Antiquité, Moyen Âge, Renaissance et Lumières, XIXe et XXe siècles.

Vous mettez également en lumière deux principes permanents, inhérents à la recherche sur l’esprit…

O. H. : Oui, il s’agit de la présomption de rationalité et du souci de la vérité dans le cerveau. Depuis toujours, la psychologie s’appuie sur un présupposé : le cerveau est logique, même si on ne l’observe pas forcément dans toutes ses tâches. Le monde est constitué d’objets multiples, uniques et permanents, y compris les êtres humains, et notre cerveau traite ces objets soit selon leur nombre – et cette action conduit aux mathématiques – soit selon leur qualité. Il classe alors ces objets par catégories – leur forme, leur couleur, etc. – et on entre là dans le domaine des taxinomies. La troisième étape du raisonnement logique ou formel intervient lorsque ce traitement porte sur des concepts ou des objets abstraits. Ce que nous appelons le domaine des hypothèses nouvelles : la science, l’art, etc.

Je pensais décrire comment les thématiques s’étaient renouvelées dans le temps, or j’ai constaté que les mêmes questions étaient là dès l’origine.
Et le souci de la vérité ?
O. H. : Dans l’Antiquité, il fallait lutter contre les sophistes, ces orateurs très habiles qui manipulaient les raisonnements et contre les responsables politiques qui s’en servaient pour manipuler le peuple. L’arme contre cela fut les syllogismes d’Aristote, dont on connaît le plus célèbre : « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. » Le syllogisme était vraiment le moyen de garantir la justesse des raisonnements. Ce souci de la vérité était étroitement lié à la volonté de faire quelque chose d’utile pour la société. Plus tard, Montaigne a poursuivi le même idéal d’établir des règles simples pour une bonne éducation de l’esprit, suivi par Descartes et sa méthode. C’est un invariant dans l’histoire de la psychologie que je montre : comment apprendre les raisonnements logiques solides, parce que la vérité est le rempart contre tous les excès intellectuels, idéologiques ou autres. Dans nos recherches, nous sommes exactement sur la même ligne.

La psychologie scientifique n’a-t-elle pas permis des progrès décisifs ?

O. H. : Il serait plus juste de parler d’une accélération, spectaculaire, qui s’est amorcée au XIXe siècle et ne s’est pas démentie depuis. À l’origine, les premières théories de Franz Joseph Gall, un neurologue allemand né au XVIIIe siècle, ont pu paraître un peu farfelues : il supposait qu’à tel moment et pour telle action, une partie bien précise du cerveau, visible par une bosse du crâne, expliquait les dispositions ou les facultés des individus, la « bosse des maths » par exemple. Malgré toutes les utilisations fantaisistes, pour ne pas dire néfastes, qu’on a faites à l’époque de la phrénologie, comme l’avait baptisée Gall, cette intuition de la localisation cérébrale était géniale et elle a permis de fixer deux principes majeurs de la neuropsychologie : toute fonction repose sur un organe, conformément aux lois de la biologie alors naissante ; et ces fonctions sont observables. Paul Broca, un neurochirurgien français, en apportera la preuve pour la première fois en 1861, en localisant chez un patient décédé l’aire du cerveau spécialisée dans le langage, la fameuse aire de Broca. On sait aujourd’hui que le problème est bien plus complexe et que le cerveau fonctionne par réseaux, mais les neurosciences et l’imagerie cérébrale que nous pratiquons avec des personnes vivantes sont le prolongement, beaucoup plus rigoureux en termes scientifiques, de l’intuition de Gall.

Le philosophe anglais John Locke (1632-1704) incarne le courant empiriste, qui s'attache à l'observation des faits extérieurs. Avec David Hume (1711-1776), il a notamment inspiré la psychologie du comportement (behaviorisme).

En quoi l’apparition de la biologie a-t-elle contribué à la science psychologique ?

O. H. : Le terme « biologie » est apparu au XIXe siècle avec Darwin notamment, mais l’idée d’une histoire naturelle libérée des croyances religieuses a été émise par Buffon un siècle plus tôt. Après lui, Lamarck a envisagé l’évolution des êtres vivants en prenant le point de vue de leur transformation au fil du temps. Darwin a repris cette perspective, mais en expliquant l’évolution des espèces par la sélection naturelle : ce processus, appelé aussi phylogenèse, se mesure en millions d’années. Cette hypothèse marque une étape très importante dans l’histoire de la psychologie parce qu’elle a permis d’introduire l’idée d’une autre évolution naturelle, celle de l’intelligence animale et humaine, à l’échelle de chaque individu, reprise au XXe siècle sous le nom d’ontogenèse par Jean Piaget.


Avec la biologie, la psychologie s'inscrit dans une double échelle de temps : celle de l’évolution d’une espèce et celle de l’évolution à l’échelle d’une vie.
Dès lors, la psychologie peut s’inscrire dans une double échelle de temps : celle de l’évolution d’une espèce (phylogenèse) et celle de l’évolution à l’échelle d’une vie (ontogenèse), depuis les premiers jours du nourrisson jusqu’à l’âge adulte. Avec le développement des neurosciences, nous avons ajouté une troisième notion : la microgenèse du cerveau. On ne se situe plus à l’échelle d’une vie, mais dans des séquences très courtes, de l’ordre de quelques minutes, au cours desquelles on peut observer et mesurer des évolutions du système cérébral, qui apprend et s’adapte à une tâche cognitive. On peut aussi comparer le cerveau à différents âges de l’ontogenèse. Par ailleurs, si le darwinisme a engendré des théories fumeuses, voire dangereuses, il a rendu possibles de vraies avancées scientifiques. En l’occurrence, quand on a voulu, comme Spencer, sélectionner les individus les plus aptes, il a fallu se donner les moyens de les identifier. C’est ainsi qu’est né à Londres, au début du XXe siècle, le premier laboratoire de psychologie différentielle : on comparait les individus avec des méthodes statistiques et on les classait par rapport à une moyenne. Ce furent, en Angleterre, les premiers pas de la psychométrie et des statistiques modernes.

Et les débuts d’une psychologie « mesurable » ?

O. H. : Là, il faut se tourner vers les premiers laboratoires de psychologie expérimentale en Allemagne. Au milieu du XIXe siècle, Gustav Fechner était convaincu que des liens unissent l’esprit à la matière, autrement dit que psychologie et physique sont liées en une « psychophysique » : à une sensation perçue doit correspondre la stimulation qui la provoque. Fechner rêvait de pouvoir mesurer l’intensité de l’une et de l’autre. Son héritier, Wilhelm Wundt, a voulu s’en donner les moyens scientifiques et a fondé un laboratoire à Leipzig. En supposant qu’un fait psychologique se traduit par un fait nerveux, il mesurait les temps de réaction entre un stimulus sensoriel administré à un sujet et sa réaction motrice. Wundt a ensuite étendu ce dispositif à toutes sortes de sensations, mais aussi aux raisonnements ou aux affects. Ses expériences ont eu un énorme retentissement et ont attiré des chercheurs et des étudiants du monde entier.

Notamment des Français ?

O. H. : Oui, en particulier Théodule Ribot qui publiera un ouvrage sur la psychologie allemande contemporaine en 1879, avant d’occuper la première chaire de psychologie au Collège de France et d’être l’instigateur du premier laboratoire français de psychologie à la Sorbonne, que je dirige aujourd’hui. Ce laboratoire a aussi été dirigé par Alfred Binet, qui, dans les premières années du XXe siècle, y utilisait les instruments les plus modernes pour répondre à une demande pressante de la société : c’est l’époque où se met en place l’école publique et obligatoire et où l’on cherche à dépister le plus tôt possible les enfants exposés à un handicap intellectuel. Binet met au point des tests pour mesurer l’âge mental, qui deviendront quelques années plus tard le fameux QI, le quotient intellectuel inventé par l’Allemand William Stern.

Jean Piaget (1896-1980), psychologue, a voulu comprendre comment se construisent les connaissances au fil de la vie à partir de données présentes dès la naissance. C'est la théorie du constructivisme.

Puis vient Piaget et son approche constructiviste, celle-là même qui inspire vos propres travaux ?
O. H. : En réalité, la psychologie s’est ramifiée en différentes branches au XXe siècle, comme celle de l’étude expérimentale de la conscience, née aux États-Unis avec William James et reprise par les neurosciences cognitives aujourd’hui, et celle de la psychopathologie française, initiée par Pierre Janet, qui ouvrira la voie à Freud et à la théorie psychanalytique de l’insconscient – selon laquelle le patient peut libérer, en verbalisant ses pensées et associations d’idées, ce qui est refoulé dans l’inconscient et crée des névroses comme les obsessions, les angoisses ou les phobies.
Quant à Piaget, il s’est surtout employé à comprendre comment se construisent les connaissances au fil de la vie à partir de données présentes dès la naissance. Cette théorie du constructivisme compte beaucoup à mes yeux parce qu’elle est la première à faire la synthèse des deux grandes filiations évoquées plus haut : l’innéisme et l’empirisme. C’est une formidable synthèse, même si les recherches actuelles montrent que Piaget n’avait qu’en partie raison : la logique des raisonnements élaborés qui lui était chère se révèle être en compétition avec les automatismes rapides, que nous appelons heuristiques. On reconnaît, avec le Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, que le système qui utilise les heuristiques domine, même chez l’adulte, parce que c’est celui que le cerveau utilise le plus souvent et qu’il est en général efficace. Mais dans certains cas, il faut apprendre à savoir bloquer ces heuristiques pour activer les bons raisonnements.
Ces recherches sont très utiles dans les problématiques liées aux formes de pensée extrême, comme c’est le cas aujourd’hui de la radicalisation idéologique ou religieuse conduisant au terrorisme que j’étudie avec mon équipe, ici même au laboratoire de psychologie de la Sorbonne. Nous n’avons pas la prétention d’y apporter des solutions miracles, mais si l’on peut observer comment un raisonnement logique ou moral est fragilisé par des automatismes trop simples de pensée, on peut envisager certaines corrections. Cela conduit à une forme de neuro-éducation. Nous poursuivons d’ailleurs un grand programme de recherche avec 150 enfants observés en imagerie cérébrale, à qui nous apprenons à contrôler ces erreurs d’automatismes cognitifs sur des tablettes numériques et donc à être moins perméables aux influences. On retrouve ainsi les thématiques de Montaigne ! Les technologies sont nouvelles, mais les préoccupations fondamentales sur la fragilité de l’esprit sont les mêmes.


Cet article a été publié dans le premier numéro de Carnets de Science, la revue d’information scientifique du CNRS destinée au grand public. En vente dans les librairies et Relay, ainsi que sur le site Carnets de science (link is external).


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08.02.2017, par Francis Lecompte
Très intéressant. J'y souscris pleinement. Tout ce que j'écris en général ici pourrait se rapporter d'une façon ou d'une autre à cet interview...
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Message » 23 Fév 2017 23:45

Robert64 a écrit:
alain_38 a écrit:....
Merci Robert. Malheureusement je suis au regret de dire que la lecture de cette publication m'a donné la nausée. Vraiment. Je ne partage strictement rien de ce qui y est écrit. Tous ces psychologues qui n'ont même pas fait médecine, comment dire.... Dangereux. Olivier Houdé... :hein: :ohmg:

Je trouve la démarche un peu surprenante, mais elle ne me choque pas plus que ça. Pourrais-tu prendre quelques minutes pour nous expliquer en quelques lignes ce qui te semble inacceptable, afin d'éclairer la lanterne des néophytes que nous sommes?
Et si Boc pouvait commenter aussi, je suis intéressé.
A+

Je n'aurais pas la prétention d'éclairer la lanterne des "néophytes", terme dont je déplore l'emploi et que je regrette d'avoir sollicité par mon intervention.
Je vais, quand j'aurai 5 minutes, vous expliquer ce qui me choque dans les concepts, analyses, préconisations d'encadrement, etc. évoqués dans cette publication. A moins qu'il s'agisse d'une mauvaise compréhension de ma part. Il reste que j'ai toujours été préoccupé par les tentatives de normalisation, d'évaluation et de cadrage du processus développement intellectuel et psychologique de l'enfant. Encore une fois sauf erreur de am part, il y a, à plusieurs reprises des références à l'inné qui sont, de mon point de vus, inquiétantes.
Quand au QI, on aimerais voir préciser le référentiel. :grad: Je reviens vers vous pour une réponse plus complète.
alain_38
 
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