On veut du jazz burné. Mais moderne et raffiné. A la fois intuitif et intellectuel, direct et poétique, technique et émouvant! un mélange si étrange peut-il exister?
Oui, chez Kurt Elling !
(bon y avait pas trop de suspense c'était dans le titre).
Un cas à part si authentiquement génial qu'il me semblait urgent d'en parler plus longuement que je ne l'ai fait jusqu'ici.
J'ai entendu ce gars pour la première fois à la radio, sur le précieux Jazz à Fip, dans ma Super5 un soir de 1997 en rentrant du boulot pour être précis. Il chantait un fameux standard que tout le monde a repris, de George Benson à Kevin Mahogani pour ne citer que mes préférés: "Nature Boy".
Sauf que là j'ai fortement ralenti pour ne rien louper tellement c'était (d)étonnant, et surtout pas le nom de l'interprète que la dame ne manqua pas de désannoncer: "K U R T E L L I N G".
Ouch!
Je ne savais pas à l'époque que ce type de Chicago, ayant démarré le chant et le jazz sur le tard pendant un troisième cycle d'études de philo, avait une façon tellement personnelle de chanter, d'"envoyer cash" plutôt, de chercher des notes osées et pourtant évidentes, que son interprétation des standards rendaient les versions précédentes un peu ... palichonnes.
Sa voix unique est une sorte d'instrument à la tessiture peu ordinaire, au timbre brut, naturel, et pourtant ciselée, contrôlée à mort, contenant même une sorte de "growl" de gorge inédit et parfaitement contrôlé, à la façon d'un joueur de sax ténor!
Kurt le poète écrit aussi les textes des chansons, ils sont parait-ils assez spéciaux, dommage qu'ils m'échappent en grande partie.
Il lui arrive d'ailleurs d'improviser non seulement des notes, c'est la moindre des choses pour cet acrobate vocal accompli, mais aussi des paroles! Il raconte dans une interview de la revue JAZZMAN (N°93) que ça lui est venu quand il chantait dans les mariages: plutôt que de s'arrêter sur commande pour annoncer "il est temps maintenant de découper le gateau", le Kurt, il faisait ça en chantant sur le morceau en cours!
En résumé, un monstre génétiquement modifié tenant à la fois de Sinatra, d'un Selmer et de John Hendricks!
Pour ceux qui ne connaissent pas du tout Kurt, je dirais que tous ses albums sont bons, plus ou moins faciles d'accès cependant pour ne parler que de ceux que j'ai, de l'explosif "The Messenger" (débutant par le Nature Boy dont j'ai parlé, dont l'intro et l'impro scattée restera dans les annales!), au très crooner (et très bien arrangé) "Flirting With Twilight", en passant par le jazz sauvage du "Live In Chicago"...
Mais le dernier album sorti courant 2003, "MAN IN THE AIR", résume superbement tous les visages du chanteur, ambitieux mais particulièrement mélodique, c'est donc par lui que je conseillerais de commencer pour découvrir cet artiste authentique:
Cet album Blue-Note a une prise de son+mixage excellents, frisant la perfection, notamment sur la batterie (cymbales ahurissantes de finesse), la voix et le vibraphone (vraiment réussi le vibraphone, et c'est rare, donc ce CD est un must pour les amateurs de ce son compliqué à rendre); le rhodes est très très bon aussi, c'est bien un vrai; la (contre)basse un peu sourde à mon goût, et le sax soprano un poil maigrichon. Le piano (steinway) est magnifique, une image réellement stéréo, un beau timbre sombre.
A voir si on peut l'obtenir en Copy NON Controlled à l'étranger, j'ai fait l'erreur de l'acheter sur amazon.fr
, mais bon, pour le moment il passe très bien sur ma platine de salon.
L'album débute par un "tube" du guitariste Pat Metheny "Minuano". Comment peut-on chanter des paroles là où il n'y avait que choeurs et guitare planante? et bien sa version est tout simplement inoubliable! Pour ce morceau, il a rappelé tant qu'à faire son ancien batteur qui a été justement aussi celui de Metheny, Paul Wertico, au son si particulier et inimitable.
http://www.kurtelling.com/music/mita-01.ram
Rebelote osée: la ballade de Joe Zawinul "Time To Say Goodbye" que tous les amateurs de Weather Report reconnaitront dès l'intro pourtant acoustique! il fallait y penser, et c'est sublime! les pépites du jazz électrique des années 70 constituent donc un vivier de standards intemporels! Génial M. Elling!
http://www.kurtelling.com/music/mita-04.ram
Entre ces deux chef-d'oeuvres que je me passe en boucle, il y a "In The Winelight", vous savez le genre de morceau pour se décontracter en bonne compagnie
, ça se boit sans soif à la première écoute. Mais c'est compter sans le vibraphone de Stefon Harris qui rappelle ce qu'est un bon chorus de jazz, passionnant de bout en bout, étonnant quand il donne la réplique au clavier qui lui cherche des noises sur la fin après l'avoir accompagné comme il faut.
Je ne connaissais pas ce musicien, il est à suivre!
Quant au chat chanteur qui sait bien faire patte de velour, il a aussi un swing d'enfer le salaud, funky juste ce qu'il faut...
Beaucoup, beaucoup mieux que l'original tout ça!
http://www.kurtelling.com/music/mita-02.ram
Le titre "Man In The Air" très convaincant (avec une particularité rythmique très "énervante" dans le refrain
, un peu comme celle du Spain de Corea) est co-signé par son compère pianiste habituel, son alter-ego en fait, l'extraordinaire Laurence Hobgood. Very good indeed. Et un chorus de Rhodes Fender comme je les aime, un!
Les amateurs de jazz moderne se régaleront également avec le vibraphone dans la ballade "A Secret I" de H. Hancock.
"Higher Vibe" du sax anglais Courtney Pine (à aller voir sur scène celui-là!) est un hit en puissance si seulement ça passait en radio, inclassable avec son gimmick de piano et la voix traitée façon stratosphérique. Et encore des chorus piano électrique puis sax bien inspirés!
http://www.kurtelling.com/music/mita-09.ram
Je n'oublie pas le morceau de bravoure "Resolution", attention! il y a longtemps que Kurt l'interprète sur scène, et la veuve de Coltrane a fini par autoriser l'enregistrement. Elle a eu raison. Comme je le disais, il y a du roseau d'anche de sax dans le larynx du vocaliste, et du bien taillé. Chorus périlleux, seul avec le batteur (Frank Parker Jr), en attendant que les renforts arrivent, au climax. Superbe!
cdlt,
GBo.
mais ça donne une bonne idée, musicalement parlant.
