carbo a écrit:Gilles R a écrit:...
Dans ces longues œuvres (d'une durée d'une journée) le compositeur entretient un seul son dont la durée virtuelle ne vise rien d'autre que l'éternité.
...
Gilles
Tu veux dire que pendant une journée entière, ce compositeur n'a joué que la même note (ou le même son) ?
Loin de moi l'intention de polémiquer ou de dénigrer ce compositeur, mais à quel moment parle-t-on encore de génie avant de basculer dans le "se moquer du monde" ?
J'aimerai vraiment que tu m'expliques cette frontière qui me parait si ténue
Un exemple : en peinture, Yves Klein a un jour mélangé 6 ou 7 bleus différents pour en créer un 8ème qu'il a modestement baptisé "bleu Klein" (je crois même que ce bleu est "breveté"). Il a ensuite peint une immense toile (4 x 2 mètres) avec ce bleu, de façon uniforme, sans relief ni dégradé ...... et les gens ont crié "au génie" !!!
, là où moi, j'aurais tendance à crier "au scandale"
. Pour moi, Yves Klein se moque du monde et je cherche toujours son génie !
Malheureusement, il y a des gens pour cautionner ce genre d'oeuvre, peut-être par sincérité, mais j'ai un peu tendance à croire que c'est surtout par snobisme !
Dans ton exemple, je dois reconnaitre que j'ai également de la peine à comprendre l'intérêt d'une telle oeuvre. Et surtout, je n'arrive pas à m'expliquer que si moi, il me venait l'idée de jouer une seule et même note toute la journée, je deviendrais illico la risée de mon auditoire, alors que manifestement, il n'en est pas de même pour LaMonte Young ?
Une explication s'impose !!!
(et je le répète, c'est sans intention de polémique, simplement je ne comprends pas).
Merci,
Carbo
Mon cher Christophe,
J'aime la fraicheur de ta révolte. Elle a la qualité des idées exprimées et qui ne restent pas coincées dans le mépris silencieux et pourri de certitudes.
D'autres part LaMonte young ne s'est pas mis du jour au lendemain, à jouer des sons d'une journée. C'est la suite d'une démarche qui évidemment parait ridicule auprès de personne n'ayant eu aucun contact avec des expériences spirituelles extrèmes. Parce qu'en ce qui concerne LaMonte Young, c'est de cela dont il s'agit.
Je ne vais pas chercher à te convaincre, que cette pièce ou que cette démarche sont géniales ou non.
Personne et rien, à part ton expérience et l'épreuve de ta sensibilité devant une œuvre d'art ne pourra t'éclaircir au sens artistique de cette œuvre et à cette démarche.
Mais je peux t'en dire deux mots tout de même, sans chercher dans des livres des réponses toutes prêtes, puisque durant mon parcours j'ai un peu fréquenté de près le cercle de John Cage et en pariculier David Tudor.
Tout d'abord, cette génération de compositeurs (vers les années 1958) n'avaient absolument pas la même notion d'œuvre musicale que nous en avons… et c'est vrai encore aujourd'hui.
Nous voyons l'œuvre d'art comme un objet fini aboutissement d'un travail artistique clos. c'est l'objet fini qui a valeur.
D'une façon globale, pour les artistes américains c'est d'abord la conception et le fonctionnement du dispositif ou l'evénement constitué par l'execution qui a de l'importance, très peu le "résultat sonore".
C'est inspiré en partie d'une résurgence du mouvement Dada et des expériences de Charles Ives (entre autres…) mais surtout d'un fond important de spiritualité, (bouddhiste zen pour Cage et indien pour La Monte Young), que ces compositeurs ont développé leur radicalité.
John Cage élève de Schönberg a été le principal révélateur des nouvelles conceptions de l'usage du son.
Le son n'est plus un objet que l'on manipule mais un accident que l'artiste révéle.
Là je le sais… je t'ai déjà perdu.
Je ne crois pas que de t'expliquer une œuvre ou deux de John Cage, cela t'informera beaucoup, sinon te décourager encore plus. Alors allons au principal comme je l'ai fait pour mon ami blue dream :
- Pour commencer à pouvoir comprendre la pensée et le sens des œuvres de John cage, hélas… il faut aborder le substrat de sa pensée, c'est à dire la pilosophie du bouddhisme zen (japonais). Oui cela parait extrême comme approche… Mais pourtant c'est essentiel.
Sinon, ses œuvres toutes vides d'intentions musicales peuvent très bien sonner… si les interprètes "nourrissent" l'œuvres d'intentons musicales (qui ne sont pas notées) ou être totalement inécoutables (dans le pire des cas) si ce sont des "machines" à souffler ou à frotter qui les jouent selon les notations lndiquées.
Beaucoup commentent la qualité des œuvres de John Cage comme des œuvres européennes ou selon des positions d'acceptation posées par snobisme (john cage = génie puisque tous les livres le disent).
John Cage aime à provoquer des évenement sonore ou plutôt lancer des processus sonores qui s'autonomisent comme des être vivants. Je l'ai vu jubiler de plaisir dans des concerts ouverts (halles à Paris) devant des phénomèns sonores imprévus. Grand mycologue il voyait les phénomènes sonores avec le même émerveillement que la découverte d'un nouveau champignon dans la forêt avec l'imprévisibilité de son apparition.
John cage était d'abord inventeur et philosophe.
Une œuvre comme 4'33" pour piano, où le pianiste ne fait qu'ouvrir le piano et attendre 4'33" en silence (je crois qu'il tourne une page), est typiquement un acte emprunt de philosophie zen. Alors que beaucoip ont glosé sur une remise en question de la position du musicien.
Voila un réponse là-dessus que j'ai donné à blue dream , qui est directement en rapport.
(J'ai fais un copier-coller pour que le fil ne soit pas perdu).
Je te soigne, hein, mon cher Carbo…
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blue dream a écrit:Comment justifier devant un détracteur des arts conceptuels les 4 minutes 33 secondes de silence de Cage ? Quels arguments pas trop fumeux que le simple quidam peut accepter ?
Ce n'est pas une petite question Bernard, que tu poses là…
Si tu as un détracteur des arts conceptuels à "la racine" le combat est à mon avis perdu d'avance… surtout en prenant les 4'33". Il y a des énergies qu'il faut savoir s'économiser…
Et puis après tout avoir un peu de la sagesse de John Cage… et d'accepter le refus…
Si la discussion a des chances d'être moins systèmatiquement bloquée… Tout en sachant que pour toute initiation les mots sont stériles… il faut replacer toute la démarche de John Cage… Les 4'33" sont célèbres par leur justeboutisme.
John Cage ne voulait pas faire "des œuvres d'art" dans les conventions traditionnelles. Toute sa vision se porte vers une forme de communion du temps et des visages innatendus de détails de l'existence.
Comme tu le sais, John Cage était adepte du bouhddiste zen.
4'33" est en effet, similaire à un "koan" pratiqué dans les dojos zen de l'école Rinzai.
Le "koan" est une forme de question "choc" que les maîtres posent à leurs disciples. Cette question est du type :
"Le bruit résulte d'un claquement de mains. Quel est le bruit produit par une seule main? "
La bonne réponse n'existe pas… (et y a t-il une question?) et le maître attend dans la réponse, un signe de la disposition de l'esprit de l'élève, à l'acceptation de la non-dualité vis à vis du Monde.
John Cage n'en est pas loin… (dans la question et dans la réponse).
John Cage par cette "non-œuvre" touche à l'essentiel du rôle et de la place de l'œuvre dans nôtre civilisation.
Toute tentative à faire découvrir 4'33" hors de ce questionnement est voué à l'echec ou au ridicule. Au moins mal, sa découverte doit être accompagné d'une petite approche da la philosophie zen.
Je peux donner un livre qui est une bonne lecture : "'Matière à reflexions" de Alan W. Watts (Denoël collection poche "Médiations")pour commencer puis "l'Esprit du zen" aux Editions Dangles.
Il y a des œuvres plus sonores de Cage. Toutes font pourtant références à cette vision du Monde, est placent l'œuvre d'art comme expérience philosophique et sensible.
J'ai eu comme professeur, un adversaire de Cage en la personne de Pierre Schaeffer. J'ai entendu Schaeffer en parler très durement…
Estimant les deux hommes et les deux œuvres, je reconnais que la démarche de John Cage toute honnête soit elle, est l'objet de malentendus énormes… Puisque très peu de personnes pouvaient comprendre que certaines pièces avaient la même position qu'une question d'un "koan". Qu'il n'y avait pas de projet musical mais une forme de méditation avec le support du son comme modèle du monde.
Cela agassait vivement Pierre Schaeffer, lucide de ce décalage entre le public et la pensée de Cage, alors que lui se battait pour définir de nouveaux critères de la perception musicale en évitant absolument le flou de la pensée. Deux natures différentes et opposées.
Les réactions d'autres créateurs comme Boulez et Stockhausen furent encore différentes, mais c'est le début d'une autre histoire…
Ce malentendu est la raison pourlaquelle je n'ai pas mis d'œuvres de john Cage dans la CDThèque pour la muique contemporaine à ce jour, sans avoir tenté d'éclaircir un peu de ce malentendu auprès de nos forumeurs.
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Pour La Monte Young, je vais être plus rapide… La production de sons continu par des oscillateurs électroniques pendant une journée, une semaine et plus tard à l'infini (The Theatre of Eternal Music) sont une expérience sensorielle et spirituelle (très orientale). La Monte Young et Marianne Zazeela travaillèrent le raga indien auprès dut Pandit Prân Nath.
Les sons continus accordés selon certains modes, devenant par leur persitence, totalement intériorisés et vécus comme un prolongement d'eux même… tous les sons de l'environnement : bruits d'insectes, vents, branches, oiseaux, océans… créent des frottements avec l'accord des sons continus.
L'écoute très fines sans limites de temps et sans contraintes d'espaces furent des méditations révélant des rapports particulièremet sensibles au monde est à perception du temps. Ces méditations, La monte young et son épouse Mariann Zazeela les renouvelèret dans le monde entier.
Ces perceptions sont inracontables comme est inracontable, l'expérience d'anachorète dans sa perception du monde.
Je te mets un lien vers un interview de LaMonte Young :
www.exporevue.com/magazine/fr/interview_monteyoung.html
Carbo… toute farfelue que puisse te paraitre la démarche d'un artiste… garde toujours une petite parcelle de doute dans ton jugement que tu ressens pourtant juste. Tu risques sinon d'être injuste totalement. Creuses un peu… Laisses les portes ouvertes.
Il y a des usurpateurs en art… Pas forcément ceux que l'on croit et pas les plus loufoques.
Nous aurons l'occasion d'en reparler… je sais que je ne convaincrai peut-être jamais.
En tout cas tu as de la lecture… ça t'apprendra à poser de si bonnes questions !
En tout cas j'espère que certains autres forumeurs avertis vont réagirent !
Du dialogue !
Je vous attends avec toujours le même plaisir…
Gilles