» 01 Mai 2005 12:32
J'ouvre donc le bal en décrivant ce que j'entends dans les 70 premières secondes de la piste 4 de notre CD
Il est assez difficile de découper ce mouvement "allegro corrente" de ce double concerto de Ligeti, je vois en tout cas pour ma part une succession de "paliers", que je qualifierais volontiers de dramatiques, qui s'enchainent sans relâche, très peu de temps pour souffler.
NB: n'ayant pas la partition, il se peut qu'il y ait des erreurs dans les instruments que je cite, merci de me corriger si c'est le cas. Je fais aussi allusion à des notes, c'est juste pour situer, ne pas y accorder d'importance si le solfège n'est pas votre truc. Enfin ppp pp p f ff fff notent la dynamique approximative
Le premier palier s'étale à mes yeux de 0:00 à 1:11.
Les instruments entrent en scène progressivement sur un motif alterné rapide entre deux notes (ré3/fa3) jouées par une flûte (flûte basse je crois, en tout cas la flûte "normale" ne descend pas aussi bas), secondée aussitôt par des instruments à anche de même tessiture (j'entends de la clarinette et du cor anglais et/ou du basson, difficile à dire?).
Dans cette première dizaine de secondes, des constats:
- on pourrait se croire pour le moment dans une oeuvre tonale (tierce mineure tout à fait juste), cela tranche un peu avec le mouvement "calmo" précédent ou des écarts tempérés de façon inhabituelle et des dissonances très serrées ont été entendus
- si on considère cette flûte comme instrument soliste de ce concerto, elle n'émerge pas du lot jusqu'ici, jouée pp comme le reste de l'orchestre, ce qui est forcément voulu par le compositeur
- le motif alterné est joué très librement, sans rigueur rythmique particulière puisque des instruments jouent le motif plus rapidement que d'autres, dans la même famille de vitesses cependant, le tout donnant une impression de clapotis sombre et assez calme.
La diversité des timbres des instruments alternant les mêmes notes pas tout à fait en même temps, me fait un peu penser ici à de la peinture pointilliste, des juxtapositions de couleurs qui rendent une texture uniforme, lorsqu'on recule le regard.
Mais peu après la 10ième seconde environ, le motif commence à diverger (de façon caractéristique chez Ligeti) par l'intrusion de grains de sables, des notes plutot proches et dissonantes (j'entends du fa# de ci de là, voire du ré# ou presque, alors que le ré et le fa persistent); le trombone écartèle encore plus l'accord initial vers le haut à la 20ième seconde par un glissando se détachant bien de la masse orchestrale encore vibrante, alors que la flûte elle, tire aussitôt l'intervalle vers le bas (en 0:25).
Le motif initial se délite complètement puisque ces interventions et les suivantes du même acabi ne sont pas des tremblements rapides mais des notes plus appuyées et continues!
En 0:35 les cordes, qui ont fait leur apparition par strates très discrètes juste auparavant, entament alors un motif inédit et lancinant de notes alternées: il s'agit à mes oreilles d'un cycle de 3 notes chromatiques bouclant sur elles mêmes (sol sol# la), ce motif joué f, parfois p, est plus aigu et présente une ambitus (écart) plus resserré que le premier motif répétitif débutant le morceau (ré fa), plus régulier et presque inquiétant puisqu'il "mute" rapidement tel un virus en un autre motif plus complexe qui avale dans son cycle une note plus aigüe (la#), puis d'autres!
Ce passage utilise je crois un procédé qui ressemble à celui utilisé dans "Continuum" par exemple (du même Ligeti), mais en plus lent ici.
Le motif et la masse orchestrale passent au volume supérieur en 00:48, disons f, et sur une étape harmonique de nouveau ascendante, pour annoncer l'arrivée des traits nerveux du soliste à anche double en 0:50, qui se détache ici parfaitement, doublé de près par un instrument de la même famille à l'octave inférieur, ce qui souligne l'aspect déterminé, écrit, de cette intervention.
Le caractère tonal est de nouveau assez présent à mon avis. Depuis le début je suis d'ailleurs frappé par le fait qu'il se passe des choses ressemblant à des progressions harmoniques presque classiques (c'est une juste impression, je ne saurais pas forcément développer sous cet angle, mais cela m'intéresse si Gilles peut en parler, plus tard).
Une exclamation de cuivre interrompt ce jaillissement quasi-mélodique, précis, virtuose, mais vite avorté pour lasser place à une sorte de "plateau" étrange et fascinant en 00:58, sur un principe qui me semble omniprésent sur ce double concerto: le terrain est habité de simples trilles, dont les (2) notes sont reprises également de façon isolée et quasi-aléatoire par divers bois et cuivres.
C'est une variante assez distincte du procédé utilisé au début du mouvement, car ici il n'y a pas de motif à interpreter de façon macroscopique, puisque les diverses interventions se détachent bien dans le temps et apparaissent plutôt comme des échos individualisés d'une même question.
Je ne peux m'empêcher d'imaginer ici une assemblée de divers volatiles angoissés, se répondant par des cris similaires, mais chacun à sa façon et dans son timbre propre (et c'est encore plus frappant un peu plus tard sur les caquètements inquiets d'un autre "plateau" du même type).
En 1:11 commence à mon sens la deuxième étape du morceau, une sorte de nouveau palier vers un destin sans doute funeste; je laisse ma place...
Des commentaires? entendez-vous les mêmes choses?
cdlt,
GBo