Le figaro a écrit:Chirac en Inde : le fardeau du «Clemenceau» Alain Barluet et Philippe Goulliaud [15 février 2006]
La polémique autour de l'ancien porte-avions a pris une dimension politique gênante pour le président, à quelques jours de sa visite d'État en Inde.
ÇA NE POUVAIT PAS tomber plus mal. Les tribulations du Clemenceau, qui fut le navire amiral de la marine française, vont compliquer la visite d'État de Jacques Chirac en Inde, dimanche et lundi. Une visite dont l'Elysée attendait qu'elle concrétise «le partenariat stratégique» entre la France et l'Inde, deux pays qui, selon l'Élysée, doivent à l'avenir entretenir «une relation d'exception». Face à la gravité de l'affaire, «le président de la République s'en est saisi directement au vu des derniers développements», a déclaré le porte-parole de l'Élysée, Jérôme Bonnafont, au cours d'un point de presse présentant le déplacement en Asie de Jacques Chirac, (il est attendu dès vendredi en Thaïlande, première étape de cette tournée). Ce n'est «pas un dossier entre le gouvernement indien et le gouvernement français», a déclaré le porte-parole, assurant que Delhi n'avait saisi Paris ni de ce dossier ni de l'autre sujet qui fâche, l'OPA du géant sidérurgique Mittal Steel sur Arcelor.
Refusant d'en dire davantage sur «une affaire qui est en délibéré» devant la justice, Jérôme Bonnafont a toutefois précisé que, pour autant, Michèle Alliot-Marie n'avait «pas été dessaisie». «Il n'y a pas lieu de dessaisir un ministre qui est compétent», a-t-il ajouté. Le ministre de la Défense fait partie des cinq ministres qui accompagnent Jacques Chirac en Asie.
Depuis quarante-huit heures, le dossier a pris une tournure très embarrassante pour la France. Lundi, la Cour suprême de l'Inde a en effet ordonné une expertise sur le navire et interdit son entrée dans les eaux territoriales indiennes, avant de tenir une prochaine réunion vendredi. Et en France, le commissaire du gouvernement, magistrat indépendant chargé de dire le droit, a recommandé mardi au Conseil d'Etat de suspendre le transfert du «Clem» vers un chantier du Gujarat (ouest de l'Inde) où il devait être désamianté et démantelé.
Le porte-avions remorqué se trouve encore à quinze jours de mer des côtes indiennes, en dehors des eaux territoriales. Il est aussi au coeur d'un imbroglio judiciaire. MICHÈLE ALLIOT-MARIE, ministre de la Défense, a annoncé hier qu'elle avait saisi la justice afin que celle-ci enquête sur «des présomptions d'irrégularités» de la part de Technopure, la société qui s'est occupée du désamiantage du Clemenceau à Toulon d'octobre 2004 à mars 2005. Joint hier après-midi par Le Figaro, le procureur de la République de Marseille, Jacques Beaume, n'avait pas encore été saisi de cette plainte. Deux points ont incité le ministre à agir.
L'écart de 30 tonnes entre la quantité d'amiante que Technopure dit avoir retirée du navire et le poids déclaré au centre d'enfouissement. Des bordereaux auraient-ils été égarés ? Les chiffres auraient-ils été gonflés pour permettre à Technopure de justifier son travail ? Jean-Claude Giannino, son président, affirme que sa société a bien «levé 70 tonnes d'amiante sur le Clemenceau», insinuant par là que le ministère a peut-être sciemment surévalué le volume extrait du navire. Hier, Michel Parigot, du comité antiamiante Jussieu, s'est réjoui de l'ouverture prochaine d'une enquête : «Il faut que la lumière soit faite sur la façon dont l'État a monté toute l'opération, ce depuis le départ.»
Du matériel a disparu. Michèle Alliot-Marie veut élucider la disparition, à bord du porte-avions, «d'un certain nombre d'équipements de bord composés de différents métaux non ferreux». Selon nos informations, il pourrait s'agir de câblages en cuivre et de canalisations en plomb. Deux matières trouvant facilement preneurs sur le marché du métal de récupération. «Quand nous avons pris le bateau en main, un grand nombre de pièces de rechange avaient disparu, se défend Jean-Claude Giannino. Nous avions, à l'époque, prévenu l'Inspection des armées.»
Yves (Figaro inside)