Eradication de la polio en bonne voie?Trente et un ans après le lancement d'une Initiative pour l'éradication mondiale de la poliomyélite, une maladie infectieuse qui faisait alors 350.000 malades par an, l'objectif est à portée de main mais ne cesse de se dérober. Le virus, dont la circulation est désormais cantonnée à quelques zones d'Afrique et d'Asie centrale, résiste aux campagnes de vaccination. Le programme de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui visait l'extinction de cette maladie d'ici à 2018, vient d'être reconduit pour une durée de cinq ans. Son budget, d'environ un milliard de dollars par an, a été réuni notamment grâce au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, du Rotary International et de l'ensemble des pays du G7 - à l'exception de la France, qui ne contribue plus depuis 2009. Oliver Rosenbauer, le porte-parole de l'initiative, explique pourquoi il est essentiel de ne pas baisser la garde.
LE FIGARO. - Combien de cas de polio dénombre-t-on aujourd'hui dans le monde?
Oliver ROSENBAUER. - Nous avons recensé 33 enfants contaminés par le poliovirus sauvage en 2018, dans quelques régions de l'Afghanistan et du Pakistan. Ce sont les deux derniers pays où nous observons encore une circulation du virus. On considère aussi qu'il est endémique au Nigeria, même si aucun cas n'a été rapporté en 2018, car notre système de surveillance a des failles dans certaines zones du pays. Comme nous ne pouvons être certains qu'il n'y a plus la polio là-bas, nous continuons d'y mener à bien les stratégies d'éradication.
L'éradication mondiale de la polio avait été fixée à fin 2018. Pourquoi cet objectif n'a-t-il pas été atteint?
On n'a pas réussi. C'est pourquoi nous lançons un plan pour y parvenir d'ici à 2023. La semaine dernière, notre comité scientifique indépendant - composé de virologues, épidémiologistes et experts en santé publique mondialement reconnus - nous a adressé un appel à la mobilisation générale. Responsables du programme, vaccinateurs, donateurs: nous devons tous redoubler d'efforts, sous peine de nous retrouver dans cinq ans au même point qu'aujourd'hui. C'est-à-dire terriblement proches du but, mais pas au but. Nous savons tous que, dans ce genre de programme, il n'y a pas de demi-mesure. La polio est une maladie hautement transmissible. Si nous n'arrivons pas à l'éliminer, elle finira un jour par regagner du terrain. Or, selon ces scientifiques, l'éradication est possible.
Quelles sont les difficultés rencontrées en Afghanistan et au Pakistan?
Le poliovirus ne survit que chez des hôtes humains. Quand son réservoir se réduit, il cesse de se propager et finit par mourir. Le fondement de notre stratégie est donc de vacciner un nombre suffisant d'enfants - entre 80 % et 97 %, selon la situation locale. Une minorité de parents ne veulent pas que leur enfant soit vacciné, et nos équipes ont du mal à accéder à certaines zones en raison de problèmes de sécurité. Mais la plus grande difficulté est liée aux mouvements de populations à travers la frontière poreuse qui sépare l'Afghanistan du Pakistan, longue de 2000 km, que plusieurs millions d'enfants traversent chaque mois, souvent clandestinement. Il s'agit essentiellement de réfugiés et de travailleurs saisonniers pachtouns. Leurs déplacements fréquents compliquent nos efforts pour les vacciner.
Que faire pour surmonter ces obstacles?
Les autorités essaient de mettre en place des stations de vaccination permanentes aux endroits où ces populations franchissent les frontières, en identifiant les périodes de migration. Par exemple, on sait qu'il y a plus de mouvements pendant la saison des pluies. On tente aussi de se positionner en fonction des développements politiques et militaires dans la zone endémique. Ces tactiques ont été mises en œuvre avec succès dans d'autres pays confrontés à des défis similaires: en Syrie, en Somalie ou au Congo. Il s'agit d'un travail fastidieux, mais c'est le seul moyen de resserrer progressivement les mailles du filet.
Et au Nigeria?
Nous progressons peu à peu. La moitié de l'État de Borno, dans le nord-est du pays, est sous le contrôle du groupe Boko Haram, mais, à mesure que des populations parviennent à fuir son emprise, ou que le gouvernement regagne du terrain, nous étendons notre couverture vaccinale. L'an dernier, on estime que 100.000 enfants n'ont pas pu être vaccinés, contre 800.000 deux ans plus tôt.
Il y a donc des motifs d'espoir?
Le dernier pays à avoir été déclaré libre de la polio fut l'Inde, en 2011. Beaucoup de gens doutaient que ce soit possible techniquement d'éliminer la polio dans un pays aussi vaste et aussi densément peuplé. Or nous avons démontré que ça l'était. L'homme est déjà parvenu à éradiquer une maladie: la variole, en 1980. Il doit faire de même avec la polio. Nous avons des indicateurs qui suscitent l'espoir. Au Pakistan et en Afghanistan, la couverture vaccinale, notamment celle des personnes à haut risque, n'a jamais été aussi large. Les familles génétiques du poliovirus déclinent, comme ce fut le cas en Inde avant l'extinction du virus. Nous avons accompli de grands progrès et nous sommes sur la bonne voie. Et on n'a pas d'excuses: si on ne parvient pas à l'éradiquer, ce sera faute de volonté politique ou sociale.
Si l'éradication du poliovirus sauvage constitue l'objectif prioritaire du programme, l'OMS doit contrôler une autre menace: les paralysies induites chez des enfants par la vaccination orale. En 2018, 103 cas de poliomyélites dérivées d'une souche vaccinale ont ainsi été recensés dans le monde (en République démocratique du Congo, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Nigeria et au Niger). Le vaccin oral administré dans ces pays contient en effet une souche vivante atténuée, qui se réplique dans l'intestin et peut se transmettre à d'autres enfants. «Dans les communautés peu vaccinées, cette souche vaccinale circule plus facilement, indique Oliver Rosenbauer, et le virus est susceptible de reconquérir son pouvoir paralysant au gré de mutations génétiques.» D'où la double urgence à laquelle doivent répondre les experts de l'OMS. Leur stratégie repose sur l'utilisation du vaccin oral pour éradiquer le poliovirus sauvage, et sur l'administration du vaccin injecté (qui contient une souche de virus inactivée) lorsque l'objectif est atteint. En France, c'est bien un vaccin produit avec des souches inactivées qui est injecté aux enfants. Il ne peut donc pas provoquer de cas de polio accidentels.
Source :
http://premium.lefigaro.fr/sciences/201 ... lanete.php
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