» 22 Déc 2019 21:29
En Chine, les EPR tournent à plein régime
Nicolas Stiel - Challenges - dimanche 22 décembre 2019
Main-d’œuvre qualifiée, meilleur accès au financement, autorité de sûreté moins tatillonne : les EPR de Taishan ont bénéficié d’un écosystème favorable. Résultat : une mise en route bien plus rapide qu’ailleurs.
Désastre, fiasco, tragédie… Tous les qualificatifs ont été employés pour évoquer la mésaventure industrielle de l’EPR. Il y a pourtant un pays où il fonctionne, la Chine. A Taishan, près de Hong-kong, un premier EPR a été lancé en décembre 2018. Puis un deuxième en septembre dernier. Construites par le géant China General Nuclear Power Group (CGN) et par EDF (actionnaire à 30 %), les centrales chinoises sont nées dans la douleur. Elles ont été développées en 110 et 113 mois, avec cinq ans de retard sur le délai initialement annoncé et avec un coût de 12,2 milliards d’euros, supérieur à 60 % au budget prévu, relève Jean-Martin Folz dans son rapport. Aujourd’hui, elles tournent comme une horloge, 7 500 heures par an, soit 86 % du temps. "Les EPR fournissent de l’électricité à 5 millions de personnes, indique Fabrice Fourcade, directeur d’EDF Chine. Le prix du mégawattheure de Taishan (56 euros) est plus compétitif que celui d’une centrale à charbon."
Spécificités locales
Comment la Chine y est-elle arrivée ? Les EPR se sont appuyés sur le retour d’expérience des chantiers d’Olkiluoto (Finlande) et de Flamanville. "Les heures d’ingénierie ont diminué de 60 % entre la Finlande et Taishan », nous disait il y a quelques années un responsable d’Areva. Les centrales ont aussi bénéficié de l’écosystème local. "La Chine développe une dizaine de réacteurs et en lance entre deux et trois par an", indique Fabrice Fourcade. Contrairement à la France, l’ex-empire du Milieu n’a jamais connu de discontinuité côté nucléaire. Ingénieurs, techniciens et ouvriers ont toujours été opérationnels.
Autre avantage, alors que le site de Flamanville est exigu, celui de Taishan bénéficie d’une immense surface avec des terrains autour. "Cela a permis de faire le prémontage hors du chantier et de mieux contrôler la qualité des produits", indique Colette Lewiner, directrice du secteur énergie à Capgemini. A cela, il faut ajouter les spécificités locales. Un coût de la main-d’œuvre plus faible, des semaines de travail plus longues, des procédures administratives allégées…
Volonté politique forte
Mais le plus important est ailleurs. Il tient à l’environnement favorable dont a bénéficié Taishan. "A Pékin, la mobilisation du capital est bien plus forte qu’en Occident, indique François Morin, expert du nucléaire chinois. Les Chinois construisent tout tout de suite, ce qui fait gagner du temps. Les ingénieurs ont, par exemple, réalisé les éléments du circuit primaire de Taishan avant que l’autorisation ne leur ait été accordée." Autre différence, la volonté politique. A Pékin, le nucléaire, énergie décarbonée au même titre que le photovoltaïque et l’éolien, a plutôt bonne presse. Les gouverneurs locaux rêvent d’accueillir une centrale sur leurs terres. Une fois le feu vert accordé, pas question de tergiverser. Les réacteurs, il faut les construire.
Toutes les parties prenantes travaillent alors en osmose. Et cela est vrai aussi pour la National Nuclear Safety Administration (NNSA), l’Autorité de sûreté nucléaire chinoise. "Durant la construction des centrales, la NNSA est constamment sur place et vérifie en permanence, note François Morin. Alors que l’ASN française craint toujours de se compromettre, l’autorité chinoise n’a pas besoin de prouver son indépendance." Les Chinois ont une approche du risque théorisée, ajoute notre expert. "Sur les cuves de Taishan, ils ont relevé les mêmes anomalies qu’à Flamanville. Mais ils les ont considérées comme des problèmes de physique cristalline, des irrégularités sur des structures microscopiques et le chantier n’a pas été arrêté. Anomalie ne veut pas dire défaut." Et c’est ainsi que la Chine a sorti ses premiers EPR. Alors que ceux de Finlande et de Flamanville, dont les travaux ont débuté quatre et deux ans plus tôt, sont toujours en chantier.
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