Mais surtout, l'activité professionnelle de Bernard Neveu se confond avec celle d'un certain G. Cabasse dont il fut le compagnon de route dès le milieu des années 50. En effet, les enregistrements utilisés dans les salons par l'équipe Cabasse pour démontrer les qualités de leurs productions étaient signés B. Neveu. Il a eu également un rôle important dans la validation des modèles mis au point par le célèbre constructeur.
Je suis très heureux qu'un homme tel que lui, dont la carrière se confond avec celle de G. Cabasse, mais aussi avec l'histoire de la HiFi depuis ses origines, ait accepté de témoigner, j'espère que cela interessera les lecteurs amateurs de haute fidélité au sens premier du terme.
Bonne lecture!
L’enregistrement stéréophonique
Dans les années 1880, des ingénieurs, experts en photographie, avaient imaginé et mis au point un procédé de prises de vues stéréoscopiques et l’un d’eux, Auguste Neveu, diplômé major de l’Ecole Centrale, leur avait emboîté le pas.
Les solutions les plus simples et les plus logiques aboutissant toujours aux meilleures réalisations, les appareils photographiques stéréo étaient composés de deux objectifs parallèles, d’un écartement comparables à celui des yeux humains, et la fixation des deux images se faisait sur une plaque de verre.
Après transfert en positif, la plaque était vue par transparence sur des visionneuses disposant d’un double oculaire de même écartement, seule solution disponible à l’époque.
Certaines d’entre elles avaient été prises pendant la construction de la Tour Eiffel et ces vues donnent le vertige tant le respect de la perspective, du relief et de la profondeur de champ est criant.
Elles ont malheureusement été dérobées à leur propriétaire. Disons au passage que ce centralien faisait partie de la quarantaine d’ingénieurs engagés par Eiffel (son nom est gravé sur une plaque dans la chambre du maître au dernier étage).
Pourquoi cet exposé préalable ? Seulement pour montrer le parallèlisme entre vision et audition.
En effet, aujourd’hui, la stéréoscopie est disponible par des moyens plus réalistes que permettent les progrès techniques et la prise de vue n’est plus basée sur la position des yeux mais, évidemment, sur celle d’un écran de vastes dimensions que l’on regarde au moyen de lunettes spéciales de sorte que la restitution est géométriquement plus conforme à la réalité. C’est ce dernier point qui conduit à la définition de la prise de son stéréophonique, destinée à être reproduite habituellement sur des enceintes acoustiques et non sur un casque.
A l’apparition des premiers 33 tours stéréo au milieu des années 50, les mélomanes et audiophiles (cela va généralement de pair) qui avaient acquis le matériel nécessaire à leur audition, pouvaient trouver
d’excellents enregistrements, vraiment stéréo, dont l’écoute était saisissante de vérité: largeur, profondeur, plans sonores, etc... Citons parmi elles: Decca, Westminster, Mercury, Capitol, etc... La plupart de ces enregistrements étaient, renseignements pris, réalisés à l’aide de deux micros omnidirectionnels disposés selon un écartement conséquent, plusieurs mètres, en homothétie avec la disposition généralement adoptée pour une écoute domestique.
Les très rares preneurs de son ayant pu disposer d’un matériel permettant un tel enregistrement se sont tout naturellement dirigés vers cette pratique, ce qui fut le cas de l’auteur de ces lignes qui, s’appuyant en cela sur les conseils avisés d’un aîné célèbre en matière d’acoustique, Georges Cabasse, a acquis la certitude «mathématique» ou plutôt «géométrique» que pour reproduire l’image de la réalité sonore, il était nécessaire et - Ô combien - suffisant de considérer les deux enceintes acoustiques comme deux points d’espace correspondant le plus exactement possible à la disposition des micros et vice-versa.
Ainsi, tous nos enregistrements stéréo sont réalisés exclusivement à l’aide de deux micros omnidirectionnelstotalement linéaires et disposés selon un écartement de plusieurs mètres.
Pour l’heure, il n’existe chez nous - à notre connaissance - qu’un seul producteur professonnel utilisant cette pratique avec bonheur; il s’agit de Philippe Muller, propriétaire du label Passavant Music et du Studio Acoustique, dans le Doubs. Que l’on nous pardonne si nous en avons oubliés; ils ne manqueront pas de se faire connaître.
Parlant particulièrement musique classique, ceux qui, même pour un important dispositif d’orchestre,
multiplient le nombre des micros, utilisent des capteurs directionnels ou bi-directionnels, des «têtes artificielles» des «couples» ou, comble de l’horreur, des «micros stéréo», sont complètement à côté de la plaque (si l’on veut bien nous excuser cet argot).
Il est extrêmement triste de malheureusement constater que la plupart - pour ne pas dire la quasitotalité- des enregistrements est réalisée selon l’un ou l’autre de ces «procédés», quand ce n’est pas plusieurs «techniques» à la fois ! Vers la fin des années 50, une monstrueuse «hérésie» a contaminé l’enregistrement stéréophonique; nous voulons évoquer la «stéréo compatible», une vraie vermine, un virus, dirait-on en informatique.
Elle a pris jour dans le cocon d’un certain nombre de producteurs de vinyles parmi les plus grandes marques; pourquoi ? Tout simplement parce que presque tous les mélomanes de l’époque n’étaient encore équipés que de cellules de lecture mono ou de cellules stéréo de première génération
peu complaisantes en déplacement vertical.
Précisons ici qu’une gravure de vraie stéréo sur ce support vynile comporte des déplacements horizontaux et verticaux; ceci avait pour effet de faire «sauter» les lecteurs inadaptés. Catastrophe !,
commercialement parlant s’entend, à laquelle il fallait remédier mais surtout pas en cherchant à faire évoluer le client mélomane, d’où: finis les micros écartés et les omnidirectionnels - trop fidèles dans les graves - mais deux cardioïdes bien rapprochés pour éviter tout risque de «déphasage», cette qualité essentielle de la stéréo. On a même été jusqu’à inventer le «micro stéréo», 2 capsules superposées orientées à 90°, bravo ! Ça existe encore aujourd’hui... Entendons-nous bien: n’est évoqué ici que la prise de son de musiques classique, traditionnelle, jazz, etc..., où le «rendu» se doit d’être le plus naturel possible, le plus conforme à l’écoute en direct et où sont respectés le son des instruments et l’ambiance environnante, charge au preneur de son de faire le choix judicieux du lieu de l’enregistrement en parfaite adéquation avec le genre musical.
L’enregistrement de la musique dite «de variété» ne répond pas aux mêmes critères et les ingénieurs du son qui la pratiquent méritent le respect; il ne s’agit plus ici de restituer fidèlement l’ambiance sonore mais de la créer selon le désir des interprètes. Ce travail requiert un matériel spécifique et une expérience que nous n’avons pas. Il ne saurait en effet être question que notre orientation durement ciblée «classique» puisse nous faire taxer du moindre mépris envers nos confrères de la variété mais nous sommes moins tolérants envers ceux du classique qui procèdent comme eux !
Pour revenir à ce qui nous préoccupe, il me paraît intéressant - j’oserais dire fondamental – de citer un petit évènement qui remonte à bien des années, époque à laquelle l’auteur de ces lignes enregistrait pour son propre plaisir de nombreux concerts. Alors que, bien avant l’arrivée du public, j’étais en
train de procéder à la mise en place de mes perches dans une église, un «gamin» d’une douzaine d’années qui semblait captivé par ces préparatifs me pose une question inattendue: «pour votre stéréo, comment aller vous placer vos deux micros ?» - Je lui réponds par une autre question: «et toi, comment ferais-tu ?» - La réponse est arrivée du tac au tac: «je les mettrais comme mes haut-parleurs chez moi». Si tous mes chers confrères pouvaient raisonner ainsi... Quelle désolation d’entendre sans plaisir total les nombreux enregistrements achetés par les mélomanes pour l’intérêt de la musique qu’ils contiennent. Ils ne vont cependant pas pour cela se priver de magnifiques interprétations. Tout est écrasé sur le même plan, le petit hautbois de l’harmonie est au même niveau que les quatre-vingts autres instrumentistes, les solistes sont «proéminents» et vous chantent carrément dans les oreilles tandis que l’orchestre est à cent mètres derrière et pourtant l’auditeur, à qui personne n’offre rien de mieux - à l’exception de quelques dinausaures dont nous nous félicitons de faire partie - va les acquérir: la musique avant tout, nous ne saurions contredire cela.
Le pire de tout est que certains observateurs, «professionnels» avisés du monde musical, cautionnent à tours d’articles élogieux, dans certains supports spécialisés et complètement inféodés à la publicité - à de très rares exceptions -, ce qui au contraire devrait être durement sanctionné. Comme dans tous les domaines, n’y a-t-il pas là un sacré manque d’éducation et... d’honnèteté ? Nul doute qu’un tel exposé nous attirera les foudres du monde politiquement correct du disque, ce qui nous indiffère royalement. Si nous ne mettons pas les pieds dans le plat, qui le fera ? Que l’on se rassure à ce sujet, nous comptons heureusement un bon nombre de fidèles aficionados qui vont même beaucoup plus loin dans leur façon de s’exprimer sur le sujet.
Pour conclure, il faut savoir qu’à présent tous ceux du métier du son disposent du meilleur matériel possible. Ce n’est donc pas ce matériel qui est en cause mais son choix adapté et la manière de s’ens ervir. Quant aux fadaises qui consistent à affirmer haut et clair que l’audition d’un enregistrement en «haute définition» (24 bits/96Khz par exemple) est bien meilleure que celle du CD (16 bits/44,1 Khz), il y a de quoi se marrer: toutes les écoutes comparatives en aveugle effectuées sur divers matériels de très haut de gamme, réglages de niveau parfaitement au point, ont abouti à une impossibilité de détecter la moindre différence audible ! Des ingénieurs, accrocs du beau son aux Etats-Unis, ont d’ailleurs développé ce constat dans des ouvrages largement publiés, notamment sur Internet, pour parvenir aux mêmes conclusions. Si toutes nos prises de son sont effectuées dans ce format dit HD, c’est uniquement parce qu’il est moins fragile aux manipulations de la post-production, c’est-à-dire essentiellement le montage. Il y a par contre beaucoup à dire quant à la qualité des pressages ou des gravures et des diverses manipulations qui les précèdent, aussi bien qu’à celle des lecteurs CD.
A bon entendeur, salut !
L’enregistrement stéréophonique multicanal
Depuis plusieurs années, les enregistrements BNL et Syrius sont tous réalisés en multicanal, c’est à- dire, selon le cas, avec 4 ou 6 micros confortablement écartés et disposés selon une arc de cercle très ouvert. Nous avons abandonné définitivement le «micro central» qui ne sert strictement à rien, sauf à chagriner ceux qui entendent le soi-disant «trou dans le milieu», lequel n’existe pas dans la vraie prise de son stéréo telle que nous l’avons décrite.
Entendons-nous bien: seuls deux de ces 4 ou 6 micros sont utllisés pour la gravure en stéréo et leur disposition réglée sur place en conséquence.
Toujours à la recherche de la plus grande proximité possible entre l’auditon du concert en direct et celle de l’écoute sur une bonne chaîne HiFi, nous avons là aussi respecté la disposition micros/hautparleurs.
Une telle écoute en multicanal est presque asymptotique de la réalité et nous n’avons pas d’autre commentaire que celui-ci: on est pratiquement assis dans la salle de concert, l’auditorium ou l’église. Quelle bouffée de plaisir sonore musical ! (eh ! oui, la musique est avant tout basée sur le son).
Pendant deux années consécutives, nous avons sorti une quarantaine d’enregistrements en double version: stéréo et 5 canaux, les deux vendues au prix d’un.
Les ensembles pour écouter ces CDs en 5 canaux existent par dizaines dans le commerce et il s’en est vendu des dizaines de milliers. Malheureusement, ils étaient affligés de l’étiquette «home cinéma» -
nous n’avons rien contre le procédé - et, dans l’esprit du mélomane classique, cette épithète lui conférait une connotation «variétés». C’est du moins la raison que nous soupçonnons être la cause de l’insuccès total de l’expérieuce. Peut-être une sorte d’intolérance ? Actuellement, peu de mélomanes disposent de lecteurs et d’installations leur permettant de profiter du voyage mais nous stockons précieusement tous nos fichiers multicanaux pour le jour où...
Que l’on se rassure, l’auteur de ces lignes est un passionné de musique et n’exerce ce métier que pour cette raison, tant est grand le plaisir qu’il prend à cotoyer et accompagner les merveilleux musiciens qui lui font l’honneur de leur fidélité. C’est bien animé de cet état d’esprit que nous restons soucieux de
ne pas les trahir par une médiocre restitution de leurs prestations.
Il y a sur cette terre bon nombre de mélomanes qui sont autant attachés à la qualité et à l’esthétique «naturelle» des enregistrements qu’à la musique elle-même. Je veux dire par là qu’ils ont la conviction - souvent innée - qu’un total plaisir musical passe obligatoirement par un profond respect de ce qu’à voulu le musicien en contact étroit avec son «producteur» et le même respect de l’environnement sonore.
Comment expliquer autrement que depuis des lustres des facteurs d’instruments de tous genres se soient évertués à mettre au point et à fabriquer de si merveilleuses choses que des «ingénieurs du çon» (ou soidisant tels) s’ingénient à flanquer à bas, souvent en utilisant des moyens fort couteux et en s’appuyant sur des «théories» absurdes et indéboulonnables.
Je pense que nous ne sommes qu’une poignée au monde à bien avoir pris conscience de ce que doit être un enregistrement de musique classique et je me targue d’en faire partie. Je ne m’appuie pas sur mon seul avis pour être aussi affirmatif; pendant une quarantaine d’années, le fameux constructeur de matériel Hi-fi, Georges Cabasse (dont la réputation n’est plus à faire), a fait appel à moi pour les documents sonores destinés à la présentation de ses appareils et encore aujourd’hui, la maison, qui a changé de mains, continue d’utiliser mes disques. La non moins célèbre firme anglaise B & W (Bowers &Wilkins) les a utilisés dans quelques-uns de ses salons. Ceci est conforté par l’avis quasi-unanime des musiciens (et nombre d’entre eux enregistrent ou ont enregistré - avant - ailleurs que chez moi).
Pour les enregistrements, nous transportons avec nous un studio complet d’où l’esbrouffe est totalement absente. Le choix des divers éléments n’est pas forcément en rapport avec leur prix et leur taille mais plus souvent le fruit de nombreuses comparaisons, lesquelles réservent parfois de curieuses surprises. Nous n’en donnerons pas ici le détail mais: micros, câbles, enregistreurs multipistes haute définition, haut-parleurs de contrôle (4 ou 6), amplificateurs (surtout pas de casque !), etc..., font l’objet de choix rigoureux. Le principe qui nous a toujours guidés est celui-ci: moins il y a d’objets (j’oserais dire d’obstacles) entre la source musicale et l’auditeur du disque et mieux on se porte.
Il fut une époque - remontant à plus de vingt ans - où les grandes revues spécialisées comptaient dans leurs rangs des rédacteurs qui adhéraient totalement à cette conception de l’enregistrement et nous reconnaissaient ainsi par leurs articles élogieux. Ces temps sont révolus et - à l’exception de très rares supports - ces compliments vont exclusivement à ceux qui portent surtout leurs efforts financiers à l’insertion de pages entières de publicité, exploitant sans vergogne la naïveté d’un certain nombre de lecteurs.
Comme dans bien des domaines, seul l’argent compte !