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Musique enregistrée : BLURAY, CD & DVD musicaux, interprètes...

8e symphonie d'A. Bruckner: Mravinski, Celibidache ...

Message » 08 Juin 2002 23:42

La 8e symphonie est mon oeuvre brucknérienne préférée (pour le moment). Il y a une semaine, j'ai réécouté cette symphonie sous la baguette d'Evgueni Mravinski, avec son inséparable orchestre de Léningrad (Melodiya, 1959). La prise de son ne m'avais jamais emballé jusqu'à ce que je me paie des enceintes haut de gamme, et, là je dois dire que j'ai été surpris par la dynamique, le suivi mélodique, et la définition qu'un si vieil enregistrement peut contenir! Bref, ça passe pas bien de tout sur une minichaîne, mais avec un truc qui fait de la musique, ça apporte du bonheur.

J'avais été enthousiasmé. Un sentiment proche m'avait saisi à l'écoute de la coda du premier mouvement dirigé cette fois par le fameux chef Sergiu Celibidache (SWR de Münich; EMI). La personne qui m'a fait écouter cet extrait m'ayant prêté son disque, je me suis livré à une nouvelle écoute, encore tout imprégné du souvenir de Mravinski.

Eh bien, cela m'apprendra à ne plus juger hâtivement un disque sur la foi d'un seul extrait, pris hors du développement symphonique (A bien y réfléchir, ce principe du développement devrait de toute façon proscrire toute critique partielle).

D'emblée, le premier mouvement est décevant. Contrairement à Mravinski, on attend en vain d'être saisi par le tourbillon de la musique. Je retrouve chez Celibidache les défauts que j'avais déjà identifiés dans une 4e symphonie (Toujours avec le SWR, toujours chez EMI): pas d'attaque, que se soit avec les cordes ou les vents, mais une espèce de maëlstrom lointain d'où émerge mollement le son, une certaine propension à sur-interpréter certain détail, ce qui n'est pas toujours du meilleur goût (des accents mal placés, des inflexions mal négociées). Et puis, cette manie de faire hurler les cuivres à fond (le souffle des musiciens dans leur instrument en témoigne), sans nuancer suffisamment (un défaut général dans tous les pupitres d'ailleurs).

On est loin des subtiles gradations dynamiques que Mravinski obtient de "son" orchestre, parvenant ainsi à ménager des possiblités d'atteindre des sommets de déferlement sonores (point d'orgue au milieu du premier mouvement), effets que Celibidache ne parvient même pas à atteindre dans cette fameuse coda qui m'avait tant impressionnée. Même en tenant compte du fait qu'à côté de Celibidache, Mravinski est déservi par un transfert pourri et un son vieux comme ma grand-mère, l'enregistrement de celui-ci dégage une force, une puissance plus considérable.

Et s'il n'y avait que cela. Mais, en outre, le Roumain ne parvient pas à captiver l'émotion. Certe, le tempo est très lent (on s'y attend, et on n'attend même que cela). Le pire est que la musique tourne à vide, comme s'il n'y avait pas de chef pour la mener quelque part. Oh! certes, à cette vitesse, on se surprend à entendre des groupes de notes qui sont masquées par la fougue du Russe. Mais pour quelques fugaces mesures sur lesquels Celibidache jette un éclairage inédit, combien de thèmes égrenés mécaniquement par un orchestre sans âme! Que de silences qui résonnent du creux de leur viduité alors que ceux de Mravinski sont chargés de tension, véritables aboutissements, et non point simples charnières, intervales de temps dilatés par le seul effet hypnotique de l'éblouissance de la progression dramatique de la musique!

Et quelle richesse de timbres, quelle fluidité mélodique dans l'orchestre de Léningrad! Quelle variations de caractères! Face à une froide mécanique, une organisme vivant, riche d'émotions.

Il faudrait être malhonnête, toutefois, pour ne pas voir dans le trio du Scherzo et dans la dernière partie de l'Adagio une véritable inspiration de la part de Celibidache, qui trouve enfin le ton et le tempo juste. Il atteint là, dans cet Adagio, peut-être un sommet de détachement mystique.

C'est au dernier mouvement que l'on sent qu'il se passe vraiment quelque chose dans l'orchestre, que le chef semble de retour dans la salle! Dans la prise de son aussi d'ailleurs il se passe quelque chose, comme si l'ingénieur était revenu lui aussi! (Je ne blague pas: les timbres sont moins verts, moins stridents). Enfin, la musique fait sens. Les contrastes dynamiques retrouvent leur force. Dans l'entrée saisissante du Finale, les cuivres se donnent fort à propos. Incontestablement, Celibidache fait preuve là d'une vrai vision musicale, qui s'entend.

Toutefois, le finale tombe un peu à plat en regard de la version Mravinski, où l'intensité des cuivres ne cessent de croître de mesure en mesure, dépassant à chaque fois le point culminant que l'on croyait pourtant atteint! Mravinski m'avait ébloui, littérallement scotché sur mon fauteuil lors du Finale. Et quel Adagio! Que de plénitude expressive il avait su insufler à une musique trop souvent enfermée dans le stéréotype du monumentalisme hiératique. En retrouvant des accents véritablement romantiques, elle en redevenait vraiment novatrice.

Ce n'est pas la première fois que j'ai à porter une appréciation mitigée sur Celibidache. La 4e de Bruckner m'avait déjà laissé un goût de déception, avec la même faiblesse des trois premiers mouvements, et un finale qui sauvait (de mon point de vue) la symphonie. Je n'ai jamais pu entrer dans la 5e de Tchaïkoski, et un 1er mouvement saisissant de la Pathétique me laisse craindre tout de même une nouvelle déception sur la durée de toute l'oeuvre, à l'image de cette 8e de Bruckner. Alors, je m'interroge. Celibidache, génie surfait? Cela vaut-il la peine de persévérer dans l'exploration de son héritage?

Celibidache disait vouloir atteindre la "transcendance du son", ne pouvant développer une vision personnelle d'une oeuvre. Il a refusé tout enregistrement lorsqu'il a choisi une approche très philosphique de la musique. Peut-être atteignait-il la transcendance lors de ses concerts, et que celle-ci ne pouvait se percevoir que dans ce cadre, comme il le laissait entendre. Avoir reporté au disque son oeuvre contre sa volonté, exprimée de son vivant, est peut-être une trahison qui lui coutera son aura auprès de ceux qui n'ont ni assisté à ses concerts (comme moi) ni jamais adhéré à sa conception de la musique et qui n'ont donc pas intériorisé le legs, peut-être bien réel après tout, d'une forme de génie musical.

Au renoncement à exprimer toute oeuvre personnelle, je préfère la puissance de la volonté de Mravinski, qui condense dans la musique une force aussi intense que fragile, à l'image de la tension de la corde de l'arc, prêt à décoché sa flèche. Mieux vaut un démiurge, un créateur qui façonne l'argile primordial, qui asservit l'oeuvre à une vision si élevée que chaque note, chaque nuance, chaque pression d'archet est dans sa main, et s'unissent en un souffle véritablement olympien. Voilà un génie (créateur) qui n'est assurément pas usurpé...
Scytales
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Message » 10 Juin 2002 9:55

justement, jeudi soir dernier, l'orchestre de Cleveland et son chef, von Dohnanyi donnaient la 8è au Chatelet.....

d'abord, une constatation, tout au moins à mon humble avis : ce genre de salle n'est pas du tout adaptée pour une oeuvre de cette envergure. Les fortissimos saturaient (depuis la corbeille où nous étions) et les mauvres musiciens, les contrebasses notamment faisaient peine à voir tellement ils étaient tassés sur la scène....

un des contrebassistes avait le dos collé au mur et ne devait pas avoir beaucoup de place pour l'amplitude de ses mouvements.

ensuite, j'ai trouvé que, excepté le 3è mouvement qui était particulièrement réussi, les écarts de dynamique de l'orchestre étaient un peu mous, avec des moments où les solistes (bois notamment) jouaient trop fort et où les grands envolées orchestrales étaient comme écrasées.

le tout étant dominé par une battue très régulière, voire un peu trop, donnant le sentiment que ça n'était pas suffisamment joué avec les tripes....

je ne connais pas la version de Mravinski dont tu parles, mais j'ai en tête plusieurs autres, comme celle (évidemment) de Furtwängler en Octobre 44 chez DG (import japonais) où, malgré la qualité du son d'époque, on sent une vraie dynamique, une vraie pulsation rythmique et une émotion dégagée à vous tirer des larmes (là aussi le troisième mouvement, les harpes qui laissent la place aux cordes, ouahouh....).

jochum ré-édité aussi chez DG originals avec la 9è, enregistré fin des années 40 est d'une sacrée tenue également....

bref, des enregistements où tout le monde joue avec ses tripes. Non pas que le concert de jeudi soir était de la routine, mais le caractère passioné de l'oeuvre était masqué par un certain manque d'engagement. Dommage car Cleveland, que j'écoutais pour la 1ère fois, a une belle sonorité....
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Message » 10 Juin 2002 14:09

BrunoLev a écrit:justement, jeudi soir dernier, l'orchestre de Cleveland et son chef, von Dohnanyi donnaient la 8è au Chatelet.....


Dohnanyi enregistré cette symphonie avec son orchestre chez Decca. As-tu écouté cette version et si oui qu'en penses-tu comparé à son concert de jeudi?

Personnellement, je n'avais pas été spécialement emballé. Mais ça remonte à loin, et je n'ai plus le disque...
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Message » 10 Juin 2002 14:30

effectivement, en dernière page du programme, était faite la pub de cette version "the cleveland sound"...... avec la 8 couplée à la 3. Mais pour Bruckner, hormis Jochum (et encore pas toutes), Furt (là, toutes celles qu'on a en notre possession), Böhm (pour la 3, le début du 1er mouvement....., et la 4) et Giulini avec sa 9° et Vienne chez DG, je ne connais pas les autres versions....

ah si, j'oubliais Abendroth, notamment dans la 9è, de qualité quasi autant enthousiasmante que Furt.....
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Message » 10 Juin 2002 15:04

Une Huitième étonnante : celle de Svetlanov chez Melodyia...
Alain
PS : Celibidache : ces disques ne sont rien à côté de l'impression qu'il donnait en concert...
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Message » 11 Juin 2002 22:38

A propos de Celibidache et pour répondre à la question : Cela vaut-il la peine de persévérer dans l'exploration de son héritage? il semble que les éditeurs (DG et EMI) aient en partie répondu NON car il n'y a plus rien de nouveau, les ventes de la deuxième fournées ayant été très décevantes.
Peut-être les acheteurs de la première vague ont fait le même constat que Scytales, ont été déçus et n'y sont pas retournés.
Le style du chef se défendait sans doute bien mieux dans l'instant du concert qu'à l'écoute plus intellectualisée du disque.
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Message » 30 Nov 2004 10:31

JohnTChance a écrit:A propos de Celibidache et pour répondre à la question : Cela vaut-il la peine de persévérer dans l'exploration de son héritage? il semble que les éditeurs (DG et EMI) aient en partie répondu NON car il n'y a plus rien de nouveau, les ventes de la deuxième fournées ayant été très décevantes.
Peut-être les acheteurs de la première vague ont fait le même constat que Scytales, ont été déçus et n'y sont pas retournés.
Le style du chef se défendait sans doute bien mieux dans l'instant du concert qu'à l'écoute plus intellectualisée du disque.


je ne suis pas véritablement d'accord avec cela, nombre de disques sont défendables en soi. La ligne musicale déliée jusqu'au vertige reste l'apanage de ce chef comptant parmi les grands colosses du Siècle passée. Qu'Emi ait arrêté ses publications pour des raisons financières révèle la bassesses de des motivations: se remplir les poches en violant les volontés testamentaires du chef au lieu de simplement faire découvrir un grand méconnu sans escompter pour autant faire "exploser" les ventes classique.

Bref quel dommage d'arrêter alors qu'il restait tant de belles choses à explorer (concertos de Mozart par exemple).
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Message » 30 Nov 2004 10:31

JohnTChance a écrit:A propos de Celibidache et pour répondre à la question : Cela vaut-il la peine de persévérer dans l'exploration de son héritage? il semble que les éditeurs (DG et EMI) aient en partie répondu NON car il n'y a plus rien de nouveau, les ventes de la deuxième fournées ayant été très décevantes.
Peut-être les acheteurs de la première vague ont fait le même constat que Scytales, ont été déçus et n'y sont pas retournés.
Le style du chef se défendait sans doute bien mieux dans l'instant du concert qu'à l'écoute plus intellectualisée du disque.


je ne suis pas véritablement d'accord avec cela, nombre de disques sont défendables en soi. La ligne musicale déliée jusqu'au vertige reste l'apanage de ce chef comptant parmi les grands colosses du Siècle passée. Qu'Emi ait arrêté ses publications pour des raisons financières révèle la bassesses de des motivations: se remplir les poches en violant les volontés testamentaires du chef au lieu de simplement faire découvrir un grand méconnu sans escompter pour autant faire "exploser" les ventes classique.

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