blounote a écrit:Vieux routard de la pop dans ma jeunesse puis du jazz au cours des 20 dernières années, la musique classique m'a toujours fasciné depuis mon enfance, à l'age de 9 ou 10 ans je m'atais pris de passion pour grieg/Pier gunt, la danse d'anitra que je me passais en boucle entre les disques d'henri sinvite45. Ensuite, ça a toujours été un fil rouge, j'en ai toujours écouté et acheté sans vraiment, comme on dit, rentrer dedans juste pour le plaisir d'écouter de la belle musique.
Depuis un an ou deux je m'y consacre essentiellement et je suis dans ce domaine confronté au délicieux problème de la découverte. Délicieux, car découvrir des oeuvres majeures est toujours un grand moment.
Ah! Moi, je suis un vieux routard du classique. Pas le genre spécialiste, mais amateur sidéré par la richesse, la stimulation intellectuelle et émotionnelle que me procure cette musique, plus que toute autre. Quand j'étais petit, on m'avait offert un Radio-cassette Radiola pour ma première communion. Le tuner marche toujours comme au premier jour, mais la platine de lecture est foutue. User peut-être à force d'avoir passé en boucle le Boléro de Ravel, mon morceau préféré sur les
deux seules cassettes de musique (classique évidemment) que j'ai eu pratiquement jusqu'au lycée

Pendant une dizaine d'années, je me suis gavé d'une cassette de musique française et d'une de valses viennoises!
Mais maintenant, depuis un peu moins d'un an, je m'éclate dans tous les sens: jazz, blues, rock, techno, musique concrète et électronique. Vive la différence!
Le problème, c'est justement que l'on n'a pas de repères. Par exemple, Dans le cas de cette 11eme symphonie, je l'ai découverte en écoutant ce disque, donc l'appréciation que j'en donne repose sur cette seule version et quand je dis que je l'ai trouvée bonne, j'ai voulu traduire le fait que j'ai éprouvé une belle émotion à cette écoute et que je ne me suis pas ennuyé une seconde, il a capté mon intérêt de bout en bout ce qui n'est déjà pas si mal.
Les premières fois, on s'en souvient toujours avec émotion.
Mon premier contact avec la 11e s'est produit avec ce vieil enregistrement mono de Konwitschny, dont j'ai parlé plus haut. Quelque part, c'est encore pour moi le mètre-étalon auquel je mesure les autres interprétations...
Maintenant je vais suivre ta recommandation et rechercher la version de Rojdestvenski.
Je suis d'ailleurs preneur pour des recommandations concernant l'ensemble des symphonies de Shostakovich.
Je crois qu'il existe déjà une filière "Symphonies de Chostakovitch" quelque part, mais je ne l'ai plus jamais retrouvé! Rapport à l'orthographe de son nom, peut-être. En transcription anglaise, ça donne Shostakovich.
Son oeuvre symphonique est d'une diversité remarquable, où chacun de ses opus présente une singularité.
Sa première symphonie, épreuve finale de son cursus au conservatoire de Léningrad, lui a valu une gloire immédiate, «un phénomène que l'on ne peut guère comparer qu'à Chopin», a dit un chroniqueur de l'époque.
Difficile pour moi d'en donner une référence. La version de Bernstein (Sony) m'a durablement marqué. Celle de Neeme Järvi (Chandos) est assez intéressante par sa facture sonore. Et puis il y a aussi celle de Kurt Sanderling (Berlin Classic), très bien. Ce sont les trois seules que je connaisse. Elles sont toutes bonnes, bien que différente. Je cherche encore... Entre ces trois-là, Sanderling a l'avantage de la prise de son Edel.
La deuxième symphonie, je la connais encore peu. C'est une oeuvre expérimentale, dans la veine que ce que les musiciens russes produisaient dans la fin des années vingt, alors que la culture russe (pas encore vraiment soviétisée) était à la pointe du mouvement d'avant-garde, pas seulement en musique. La 3e symphonie suit la même lignée. Les parties purement instrumentales contiennent des pages stupéfiantes. Les finaux avec choeur sont de moindre inspiration (textes de propagande politique), mais on se laisse porter par l'exaltation quant même!
Rojdestvenski a fait une très bonne 2e. Il y a aussi les versions plus récentes de Neeme Järvi chez DG, que j'ai beaucoup aimées (en plus, les deux symphonies sont couplées à une excellente interprétation de numéros choisis dans la musique du ballet "L'écrou").
La
quatrième symphonie. Qu'en dire? L'écouter, c'est ne pas y croire? C'est une oeuvre majeure et magistrale, la plus parfaite de forme dans l'oeuvre symphonique de Chostakovitch, celle dont le développement est le plus achevé. A connaître impérativement!
Pour la petite histoire, cette oeuvre composée vers 1936, il me semble, ne fut créée qu'après-guerre, en raison du fameux article de La Pravda dans lequel une plume serve de Staline descendait en flèche le second opéra achevé de Chostakovitch,
Lady MacBeth du district de Mtsensk, l'une des grandes oeuvres lyriques du siècle passé, opéra taxé de formalisme et de bourgeoisie... alors qu'il triomphait à Léningrad et à Moscou depuis deux ans! Chostakovitch, craignant que sa 4e lui cause encore plus de troubles, la retira à la veille de sa création en prétextant des problèmes avec l'orchestre qui devait la jouer...
Un seul nom: Rojdestvenski, Orchestre du Ministère de la Culture de l'URSS, Disque Melodiya. Le final de la symphonie est à lui seul un monument du disque.
La
5e symphonie est l'une sinon la plus connue de ses symphonies. le début de son dernier mouvement sert d'introduction à l'émission radiodiffusée de France Musique
Tutti or not Tutti, à 19 h en semaine.
Cette symphonie, Chostakovitch l'a sous-titré "Réponse d'un artiste soviétique à de justes critiques". Tout un programme... En fait, son interpétation demeure discutée. Acte de soumission au régime? Ou Requiem pour les souffrances du peuple russe? On peut encore en discuter! Son finale a soulevé pas mal de débat! L'esthétique officielle obligeait les compositeurs à écrire des achèvements "optimistes" (Loin de la musique de la 4e, qui s'éteint dans le néant). En fait, même un critique soviétique a osé écrire que ce final sonnait comme un punition... Le premier mouvement est d'une grande beauté, entrecoupée par un déferlement cataclysmique dans lequel on a vu une évocation d'une apparition publique de Staline... Le second mouvement est une espèce de Valse assez grotesque (bien que plus ou moins accablée par le régime, Chostakovitch est resté sarcastique assez longtemps dans sa musique.) Le troisième mouvement dégage une grande émotion, et atteint un climax d'une grande intensité dramatique. Durant la création, qui fut assurée par l'immensissime Evgueni Mravinski, une partie du public pleura ouvertement... Quant au final, effectivement, il pose au problème à l'auditeur (et au chef!), car on sent qu'il est décalé, qu'après tant d'émotions contradictoires, le fouet de l'oppression n'est pas loin.
La création (qui suivie celle du concerto pour piano de Khatchaturian: le public avait de la veine ce soir-là, décidément!) fut un triomphe. Une ovation d'une quarantaine de minutes s'ensuivit, Mravinski brandissant la partition pour bien montré à qui allait la reconnaissance du public... Après cela, les autorités furent bien obligées d'admettre que Chostakovitch écrivait de la musique «acceptable», quoique certains pensent qu'elles eurent mieux préférer voir le compositeur exécuté... Pas Staline en tout, qui savait reconnaître le talent, mais qui pourtant ne facilitait pas la vie de Chostakovitch. Voulait-il ainsi délibérément l'angoisser pour orienter sa musique vers une certaine forme d'inspiration? Nul ne peut le dire, mais l'idée mériterait d'être approfondie... Quoiqu'il en soi, à partir de cette noire époque Chostakovitch eut toujours prête une valise avec quelques effets personnels pour le cas où on viendrait le "chercher" en pleine nuit dans l'immeuble collectif des compositeurs soviétiques, comme cela est arrivé à plusieurs de ses collègues... qu'il n'a jamais vu revenir... A cet époque, aussi, il avait perdu son "protecteur" et mentor, le maréchal Tchoukhatchevski, exécuté sur ordre de Staline, qui le redoutait.
Cela pour bien fixer les idées que doivent évoquer cette symphonie plus complexe qu'il n'y paraît. On comprend immédiatement que se soit une torture pour un chef d'orchestre, qui n'a jamais connu une telle ambiance, et qui peut difficilement aborder cette musique. Cela dit, il est tout à fait possible de lui faire dire plein de chose! Après tout, on ne peut encore aujourd'hui faire peser sur un chef d'orchestre la responsabilité de perpétuer la mémoire de la souffrance. Mais je préfère encore la profonde noirceur d'un Mravinski (Melodiya) à la vision décapante d'un Bernstein. Mravinski a aussi un orchestre d'une sublime perfection...
La
6e symphonie est l'une de mes préférées. «Symphonie sans tête», dit-on, qui s'ouvre sur un vaste largo, très ambiteux, qui semble remuer les profondeurs du monde, suivi de deux mouvements rapides, plein d'entrain, et qui s'achève carrément sur une bouffonnerie! Chostakovitch a eu du mal à se justifier de cette musique, mais elle montre que sa personnalité musicale ne s'était pas pliée aux diktats du régime, dans sa musique savante tout du moins.
Je n'ai jamais entendu une version plus abouttie que celle de Mravinski (Praga, enregistrement public en mono).
La
7e symphonie «Léningrad» est celle qui m'a fait découvrir Chostakovitch. J'ai aimé cette musique dix ans avant de l'entendre pour la première fois. Eh! oui! J'ai été subjugué par son histoire! Chostakovitch l'a composée durant le siège de Léningrad par les Allemands, de 1941 à 1944, d'où son nom. Il y composa les trois premiers mouvements, avant d'être évacué (contre son gréé). La partition une fois achevée fut larguée par avion au-dessus de la ville afin que la Philhamonie puisse l'y jouer dans un concert qui fut donné sous des tirs d'artillerie. Une général allemand avait en effet mal encaissé que ses hommes écoutent la retransmission de ce concert à la radio... A l'ouest, les plus grands chefs se sont étripé pour savoir qui aurait l'honneur de diriger en premier cette oeuvre, qui allait devenir le symbole artistique de la résistance à l'Allemagne nazie. Finalement, ce fut Arturo Toscanini, l'émigré Italien, qui la créa à l'Ouest avec l'orchestre de la BBC de Londres. Il en était devenu fou, et je crois bien ne l'avoir jamais entendue aussi bien jouer que sous sa baguette.
Ce concert historique (1942) a été publié par RCA. Pour une gravure plus moderne, je ne sais pas. Chostakovitch préférait la version de Mravinski. Il faut écouter!
La
8e symphonie est encore une oeuvre de guerre, douloureuse et plaintive, qui échappe à la conclusion pleine d'espoir, que dis-je, à la certitude de la victoire, de la 7e.
Je pense honnêtement que Kirill Kondrachine (Melodiya, distribution BMG ou Harmonia Mundi selon les époques) est celui qui a le mieux dépeint la détresse dramatique que contient cette musique.
la 9e symphonie, encore une oeuvre de guerre, mais de fin de guerre a causé des tracas à son auteur. C'est le sarcasme incarné! Il fallait oser faire ça!
Je ne connais que Bernstein (Sony). C'est une oeuvre rare.
La
10e symphonie. Ah la 10e! Pour beaucoup, ce doit être par elle que Chostakovitch a accédé à un statut de compositeur incontournable du XXe siècle. Elle est merveilleuse et géniale, mais pourtant si acide, si grinçante dans son contenu! Chaque fois que je l'écoute, je ne peux m'empêcher de penser que c'est le chef-d'oeuvre de Chostakovitch.
Je suis encore sur ma fin: je n'ai pas trouvé
l'interprétation. Il y a bien Konwitschny, qui l'a fait bien, Sanderling aussi, tout deux chez Berlin Classic. Peut-être que les autres ont un avis la-dessus.
La 11e «1905» , j'en est parlé au-dessus. Sa "suite" est la 12e «1917». Les deux symphonies forment un cycle qui raconte les deux révolutions russes. La première a beaucoup plus inspiré Chostakovitch que la seconde... On dit que la 12e est une oeuvre mineure. Ce n'est pas tout à fait faux.
Heureusement qu'il y a Mravinski: enregistrement public (Praga), le meilleur, ou bien Erato, un peu moins enivrant, mais avec un orchestre encore plus minutieux.
La 13e «Babi Yar» est un symphonie pour basse, choeur de basse et orchestre sur des poèmes d'Evtouchenko, dont celui qui donne son som à la symphonie, et qui conte le sort des Juifs d'URSS sous la férule nazi durant la guerre. C'est une grande oeuvre, mais rare. Je ne connais que la version de Rojdestvenski (Melodiya), qui est bonne.
Alors, la
14e, si la 10e n'existait pas, celle-là ferait de Chostakovitch un grand compositeur. C'est un symphonie un peu particulière: orchestre à cordes seules et percussions, ainsi que deux solistes (un baryton et une soprane), construite en 11 numéros qui sont autant de poème mis en musique, des poèmes de tous horizons (russes, espagnoles, français,...) qui ont pour point commun: la mort. Chostakovitch a dédié cette oeuvre magistrale à Benjamin Britten. Pour la petite histoire, un critique musical à la solde des autorités et qui avait mener la vie dure à Chostakovitch assistait à la première: il fut pris d'un malaise cardiaque durant la représentation et fut retrouvé mort dans les couloirs de la salle de concert...
Chostakovitch, qui admirait Britten, ne s'est évidemment pas trompé dans sa dédicace: Britten a livré de cette symphonie une interprétation dont la noirceur, la désespérance, enfin, la personnification de la mort en musique, est totale, bouleversante. Essentiel (un disque BBC). Bernard Haitink en a aussi fait une excellente version (Decca) avec les textes "en VO".
Enfin, la dernière symphonie,
la 15e, est une biographie en musique. Une oeuvre délicate et subtile, qui contient beaucoup de citations et de références (dont une de Beethoven qui demeure mystérieuse. Avis aux chercheurs!).
Je suis content que tu m'ais posé la question de mes interpétations favorites des symphonies de Chostakovitch, car tu me donnes là l'occasion de faire mention d'une vraie trouvaille, en ce qui me concerne: la 15e de Rojdestvenski (Melodiya), Rojdestvenski qui met dans cette 15e un génie cent lieux au-dessus de celui qu'il déploie dans la 4e, avec un orchestre vraiment parfait. J'ai eu la chance d'entendre ce chef en concert à Strasbourg dans cette 15e, et j'espérais qu'il existât un témoignage discographique. Je suis comblé! Car non seulement l'orchestre du Ministère de la Culture de l'URSS surclasse notre pauvre Philharmonique de Strasbourg, mais en plus, la prise de son est l'une des plus stupéfiantes que j'ai entendues.
Voilà. Désolé d'avoir été long et de ne pas corriger mes fautes d'orthographes, qui doivent être innombrables, mais j'ai déjà trop sacrifié de mon sommeil, pourtant indispensable, sur l'autel de ma passion!
Bonne nuit les petits.
[
Note: Finalement, j'ai corrigé les fautes... que j'ai trouvées (nombreuses)!