"Plus une oeuvre est grande et plus elle résiste à ses mauvais interprètes."
Plus une oeuvre est mince est plus elle a besoin de grands interprètes et plus elle a de chance d'en trouver un"
C'est l'idée qu'a exprimée dans un entretien l'auteur du
Style classique (j'oublie son nom à l'instant) d'une façon un peu abrupte, mais je dois dire que j'adhère assez à cela avec des nuances...
Il était abrupt, car il disait de façon un peu provocante que personne n'avait jamais aussi bien joué la
Septième Sonate de Prokofiev qu'Horowitz dans un récital à Carneggie Hall pendant les années 1940 !
Tandis qu'il disait qu'on ne pouvait jamais dire cela de la Symphonie "héroïque" de Beethoven dont il n'existait pas de meilleure interprétation !
C'est provocant par le choix de l'oeuvre de Prokofiev. Mais si l'on remplace cette oeuvre par la transcription de
Stars and Stripe for ever de Souza par Horowitz ou par le
Concerto de Reynaldo Hahn par Tagliaferron, ça marche !
C'est vrai, car l'
Héroïque de Beethoven résiste à tout, du moment que le minimum syndical est respecté par les interprètes : comme la plupart des oeuvres de Bach d'ailleurs ! Je vais peut être faire râler quelques forumeurs, mais pour abimer la musique pour clavier de bach ou les sonates de Beethoven, il faut vraiment tomber sur un pianiste bizarre

leur structure est si forte que même jouées à l'ordinateur, la musique reste !
Mais quelqu'un comme Ferruccio Busoni qui était un grand penseur de la musique a lui pu écrire que "l'oeuvre est faite pour être lue et que toute interprétation la diminue".
Et ce qui est drôle en son cas, c'est qu'il était compositeur... et pianiste (l'un des plus grands de son temps) et que comme pianiste il était connu pour défigurer, à l'occasion, les oeuvres qu'il jouait. Et évidemment, il a beaucoup transcrit (ce qui est une interprétation d'un texte) et beaucoup composé sur la musique des autres (ce qui est encore une interpétation d'un texte).
En fait, la notion d'interprétation est relativement récente et cette sacralisation de l'interpréte qui était surtout le fait des chanteurs d'opéras... et des improvisateurs-compositeurs s'est élargi au XIXe siècle qui a été à ses débuts l'apogée de l'interprète-compositeur et qui a vu peu à peu l'interprète prendre le pas sur le compositeur dès la fin du siècle pour sanctifier cette séparation au XXe siècle.
Le disque a amplifié tout cela : car on fini par confondre une oeuvre avec une interprétation écoutée, réécoutée et plus encore.
Si l'enregistrement n'avait pas existé, nous ne saurions rien de Monk.
Mais Bach serait toujours là et Gould n'occuperait pas une place si grande. D'autres le joueraient. Idem d'Haskil, d'Horowitz et d'autres interprètes... "géniaux".
Alain
