Bonjour Nicolas,
Merci pour ton message.
Ninja40 a écrit:On comprend que le dénuement extrême des oeuvres en question est une façon d'atteindre une sorte d'exaltation ultime de l'instant (désolé si je deviens pédant).
Le mot d'"exaltation" ne convient pas. Le terme et d'"appréciation sereine" conviendrait mieux.
Ninja40 a écrit:Maintenant le rapport qu'a l'auditeur (si l'on peut dire) avec l'oeuvre est quand même très particulier et pas forcément facile pour tout le monde. Ca me fait penser à ces jardins zen où des pierres sont entourées de gravillons ratissés. C'est statique, mais en même temps, c'est fascinant. Enfin c'est fascinant pour certains, et complètement dénué de tout sens pour d'autres.
Merci Ninja40 pour la photographie du jardin zen… très judicieuse idée d'en montrer une image.
Car pour des non-initiés à l'art japonais, cela est pour le moins "étrange".
Toute la culture japonaise à reçu l'influence du bouddhisme zen : la cuisine, la peinture, la poterie, l'ameublement, l'art floral, les arts martiaux, parfois la littérature, beaucoup la poésie, beaucoup le cinéma de Kurosawa et de Kenji Mizoguchi… et certains comportements dans la vie courante comme la politesse et la courtoisie japonaise.
La contemplation d'un jardin zen donne un petit aperçu de l'esprit de cette philosophie. La notion du vide zen est très diférente de notre conception. Le vide pour nous est un trou , une absence, pour le bouddhisme zen il n'y a pas de trou mais une étendue, une continuité aussi importante (sinon plus) que le saillant, l'événementiel.
Ninja40 a écrit:Mais autant cette expérience visuelle est évidente, autant j'ai l'impression que pour apprécier les expériences sonores des minimalistes, il faut déjà être assez impliqué dans le "trip".
Oui… et c'est là… malgré tout le respect et la forme d'amitié que j'ai pour l'œuvre et l'homme John Cage que je suis un peu plus crtitique sur l'exploitation de son œuvre.
Car il est vrai que pour effectivement partager l'évenement "musical" de Cage (et la jouer dans l'esprit) encore faut-il en avoir une amorce de la culture. Sinon cela ressemble à du dadaïsme attardé.
Des grands défenseurs de Cage (encore aujourd'hui) mettent pêle-mêle : l'anarchisme, le hasard, le provocation, les idées iconoclastes de Cage alors que c'est une œuvre d'expérience méditative et bien sûr tout de même joyeusement provocatrice pour toutes les conventions artistiques du concert et de l'utilisation du son.
Mais Cage est aussi responsable des malentendus puisqu'il s'amusait beaucoup des jeux de personnages entre Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen et lui-même (années 60), et de l'accueil enthousiaste de toute une jeunesse sensible à ce côté libérateur; il faut dire qu'aux USA la philosophie zen était déjà bien connue et courrait dans les campus et que des philosophes américains comme Thoreau avait déjà dans leurs ouvrages montré une sensibilité proche.
(En Europe il y avait eu Schopenhauer… mais il n'a pas eu beaucoup d'influences, du moins sur les compositeurs)
Il y avait aussi une certaine candeur chez Cage à voir sa vision facilement partagée. Cette vision étaient partagée par d'autres artistes amis : David Tudor, Gordon Mumma, Morton Feldman et des peintres comme Mark Tobey et Mark Rothko.
Cela lui semblait donc normal, surtout qu'il vivait en communauté avec beaucoup de tolérance à la proximité de la forêt, dans le village de Stony-Point à une centaine de Km de New York.
Ninja40 a écrit:Est-ce que je me trompe si je dis que Takemitsu emprunte une voie différente, plus traditionnelle, mais garde aussi des influences zen dans sa musique ?
Tu as tout à fait raison, Toru Takemitsu est au milieu du "pont".
Occidental pour son travail d'orchestre, de tradition plutôt française par le métier du "beau" son et du raffinement des timbres : Debusy, Messiaen… et d'autres part l'écriture de moments musicaux au temps étiré, contemplatif… cette fois ci d'esprit japonais, je ne dirais pas directement zen (mais indirectement, oui.)
Voilà Nicolas quelques mots en rapport avec tes remarques.
C'est avec plaisir que j'attends déjà les futurs messages de ta part.
Bien cordialement.
Gilles