Bonjour kaskil! En forme au boulot entre deux posts?
Il ne faut pas être trop méchant avec Répertoire! ils ont quant même fait un beau dossier Svetlanov, où l'on sentait un amour et une passion sincère des rédacteurs. Ça les rachète un peu, non?
Zdrastvouï, hrytchou! Ty Rousskiï?
C'est vrai que Chostacovitch, c'est un peu "hard", quoique le terme "génial" est peut-être un peu plus approprié
La première fois que j'ai entendu la 11e, c'était au disque, la Dresden Staatskapelle dirigée par Franz Konwitschny, un enregistrement mono de 57. Je n'avais alors dans les dents que les 1er, 5e et surtout la 7e "Léningrad", dont l'idée hantait mon imagination depuis que, tout jeune, vers 9/10 ans, j'avais lu un récit du siège de Léningrad qui traînait dans la bibliothèque de mon père.
Lire tant d'horreurs et d'atrocités, mais aussi une si grande dignité et une formidable humanité, m'a profondément marqué.
Entre les images de ces luges avec lesquelles les enfants s'amusaient l'hiver, et qui le siège venu, servaient à récupérer les cadavres des gens morts de faim et de froid durant la nuit et qui étaient tirés par ces mêmes enfants enrôlés dans les Jeunesses communistes;
De ces gens qui grattaient la terre imprégnée de la saccharine d'une sucrerie qui avait brulé dans un bombardement pour en retirer une maigre moisson;
De ses femmes qui tombaient, froudroyées par le froid près d'un trou dans la glace qui recouvrait la Neva, où elles allaient puiser une eau croupissante;
De cette petite fille qui inscrivait mois après mois le nom de tous les membres de sa famille morts les uns après les autres avant de mourir elle-même durant son évacuation de la ville;
De ces hommes qui ravitallaient comme ils le pouvaient, c'est-à-dire jamais assez, la ville en munition et en nourriture en conduisant leurs camions de nuit sur les eaux gelées du lac Ladoga, sans phares pour ne pas attirer sur eux le tir des Allemands, et au péril de sombrer avec leur véhicules lorsqu'ils avaient le malheur de rencontrer de la glace mince;
De ces histoires épouvantables, de ces situations où on ne s'interrogeait pas trop sur la provenance de cette chair hachée que l'on pouvait parfois trouver sur le marché noir...;
De cette femme qui offrit à un amiral un bol de bouillon de viande qu'elle avait confectionné à partir de la sacoche en cuir qu'il lui avait donné et en lui rendant avec les boucles en argent qui servaient de fermeture;
De ces tranchées que l'on ouvrait à la dynamite dans la terre gelée du cimetierre Piskarevski pour y inhumer les dizaines de milliers de corps sans vie qui s'accumulaient en monceaux dans le froid telles des stères de grumes;
Mais aussi de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants qui soutinrent toutes ces abominations durant 900 jours;
De cette volonté farouche de vivre malgré tout, de faire quand même circuler les tramways malgré les bombardements incessants, tramways dont les tintements des cloches avaient fait perdre à un soldat de la Wehrmacht prisonnier sa foi en Hitler le jour où il les entendit;
De ces musiciens de la Philharmonie de Léningrad qui demeurèrent là et continuèrent de s'y produire;
De Chostacovitch, au milieu de tout cela, qui restait dans cette ville contre la volonté de Staline, et qui continua à composer sa musique entre deux incendies qu'il allait éteindre en tant que pompier; de sa grande symphonie n°7, qu'il allait finalement terminer hors de cette ville d'où on finit par l'évacuer lui aussi et où on parachuta les partitions afin que la Philharmonie puisse la jouer dans cette ville martyre qui devait lui donner son nom.
Quelle aventure que cette première léningradoise! Radiodiffusé, le concert était même écouté, dit-on, dans les tranchées des lignes allemandes et finlandaises qui encerclaient la ville! Ce qui ne plut pas du tout à un général de la Herr qui fit diriger un tir d'artillerie sur la Philharmonie! Mais les Soviétiques tinrent bon!
Ce témoignage boulerversant m'a imprégné très profondément. Je ne connaissais pratiquement rien alors à la musique, mais je me suis pris à imaginer ce que pouvait être "cette musique majestueuse qui s'était élevé ce soir-là par-dessus le fracas des bombes et des obus". Durant dix longues années, j'ai ainsi nourri pour cette oeuvre une admiration littérallement sourde et aveugle. Je l'ai comprise, je crois, bien avant de l'avoir entendue, certain de l'aimer lorsque je la découvrivrais enfin
Le hasard a voulu que cette musique, née en des ciconstances aussi dramatiques, je l'ai découverte en écoutant la première qui fut donnée à l'Ouest avec l'orchestre de la BBC ayant à sa tête Toscanini, en 1942!! Dieu seul sait si le Destin a dirigé ma main le jour où j'ai acheté ce disque RCA dans un magasin de CD d'occasion, car je ne savais pas du tout sur quoi j'avais mis la main!
L'audition de cette oeuvre, la première de Chostacovitch qu'il m'ait été donné d'entendre, dirigée par cet italien de génie, farouchement anti-fasciste, qui s'est battu becs et ongles pour monter la première occidentale d'une symphonie qu'il a fait sienne dès qu'il en eut découvert la partition, a été une véritable révélation.
Celle de la grandeur de la Musique, nourrit par tant de drames et écrite avec le coeur d'un homme qui a vécu l'innomable.
Celle de la grandeur de Chostacovitch, dont la très profonde humanité a éclaté ce jour-là dans les mélodies nostalgiques et tendres qui forment pour moi le véritable coeur (au sens presque sentimental) de la symphonie.
Celle de la grandeur de l'Interprète, dont seule une intime compréhension de l'essence de la musique pouvait produire un tel miracle.
Tous les débats autour de la signification réelle de cette oeuvre, qui se situerait hors de son contexte historique, sont pour moi sans objet. Il faut se remémorer ce qui a présidé à sa composition pour la comprendre!
Comme il faut se souvenir de ce que fut la vie de Chostacovitch, qui, à partir de 1936, tint toujours prète une valise avec quelques effets personnels pour le cas où la GPU viendrait le réveiller en pleine nuit, comme cela était arrivé à tant d'autres compositeurs...
Sans cela, comment saisir toute la profonde humanité, la grande détresse qui habitent les notes de sa musique?
Certes, Chostacovitch est difficile d'accès! Mais l'empathie peut aider à comprendre son oeuvre!
Et elle est d'un grande complexité! Aucune de ses symphonies ne ressemblent aux autres! La 11e? La première fois que je l'ai entendue celle-là, il m'a semblé qu'on ne pourrait jamais plus composer une musique aussi singulière! Quel choc! C'était comme si un géant me saisissait par le col et me projetait violemment au plafond! Et pourtant! Avec le recul, quelle économie de moyens! Quel classisisme d'orchestration! Mais une signification tellement violente qu'elle habite l'accord le plus banal!
C'est pareil pour son concerto pour violon et orchestre numéro un. Oui! Il est difficile d'accès, tu as raison!
Mais, au moment de l'écouter, souvenons-nous que nous n'écoutons pas l'oeuvre galante et distinguée d'un Mozart! Mais une musique composée en secret en 1938, alors que Chostacovitch était frappé de l'accusation de formalisme qui faisait de lui un ennemi de l'Etat, c'est-à-dire un paria dans une société qui rejetait toute forme de déviance par rapport à son dogme (ici un canon artistique aussi insaississable que médiocre) et aussi un mort en puissance...
Il ne faudrait jamais écouter la musique seulement pour ce qu'elle est, à travers les lentilles déformantes de canons esthétiques!
Mais aussi pour ce qui l'a faite!