» 15 Fév 2016 19:19
Histoire de bien préciser les choses, épisode 649 :
Une série a besoin de noms pour faire sa promotion. Le grand public se fout royalement de qui est le showrunner de telle ou telle série. Les fanatiques de À la Maison Blanche, les Simpson ou de Dexter sont capables de dire qui était le showrunner sur telle saison, et pourquoi untel s'est planté tandis qu'un autre était le seul à savoir quoi faire, mais le nom du showrunner est de façon générale un argument totalement mineur pour attirer le spectateur. Les gens qui regardent House, ils vont ensuite regarder en priorité la nouvelle série avec Hugh Laurie ou la nouvelle série de David Shore ?
C'est pour ça qu'on nous vend de toute façon depuis des années la nouvelle série "de J.J. Abrams", même quand il n'est pas vraiment impliqué dans le processus de création au quotidien. Après Felicity, Alias et le pilote de Lost, il est passé au cinéma, ce sont d'autres showrunners en qui il avait confiance qui se sont occupés de Lost, Fringe ou Person of Interest, mais son nom reste vendeur, et on sait dès le départ qu'il y aura fatalement un récit qui va se mettre en place sur plusieurs saisons, des éléments un peu fantastiques, etc. Et souvent, c'est lui qui arrive avec une idée et qui charge d'autres personnes de lui proposer quelque chose de plus solide à partir de ça.
Terrence Winter ne compte pas tant que ça dans le système de production. C'était un lieutenant de David Chase sur Les Soprano (et il a conservé d'ailleurs une bonne partie de l'équipe technique), mais en cinq saisons de Boardwalk Empire, il n'a pas non plus émergé comme un Auteur avec un grand A, comme Matthew Weiner a à l'inverse su le faire avec Mad Men. À part le fait d'assurer des épisodes divertissants et imbibés de réalité historique, Boardwalk Empire n'a pas non plus été une série de référence ou une influence sur d'autres œuvres. Et je ne vois pas non plus énormément de parenté entre Boardwalk Empire et Le Loup de Wall Street, où il est scénariste et producteur, mais où on voit surtout la "patte" de Scorsese, avec la même structure que sur Les Affranchis ou Casino, écrits par Nicholas Pileggi.
Et c'est aussi en bonne partie pour ça, parce qu'il est capable de mettre en image les idées que d'autres ont en tête qu'il est "bon" pour faire une autre série à une tout autre époque. C'est évident que Scorsese ou Jagger ne vont pas superviser ça au quotidien, que Scorsese pourra apporter quelques idées et sa mémoire encyclopédique, et que Jagger arrive surtout avec quelques anecdotes et surtout son point de vue qui est assez acéré*.
Winter était peut-être le principal exécutant sur Boardwalk Empire, mais HBO n'en a pas pour autant voulu continuer l'aventure au-delà de la saison 5, et quand Scorsese et Jagger se sont ramenés pour lui propose de prendre en charge Vinyl, c'est lui qui a accepté, voire spontanément proposé, de livrer une saison finale écourtée pour mieux pouvoir se consacrer au pilote de la nouvelle série.
Bref, c'est un type qui sait se débrouiller pour livrer ce que des gens comme Scorsese lui demandent, mais s'il ne s'en occupait pas, Scorsese et Jagger parviendraient sans doute à trouver quelqu'un d'autre. Trouver un autre Jagger ou un autre Scorsese, c'est en revanche plus coton, et ça explique que, au-delà des impératifs de promo, ça soit eux qui aient le dernier mot sur cette série, même s'ils n'ouvrent pas forcément la bouche souvent.
* Jagger a une mémoire de lapin : il avait voulu il y a quinze ou vingt ans publier son autobiographie, il a touché une avance d'un éditeur, mais il s'est avéré incapable de trouver assez de faits à raconter, au point d'aborder Bill Wyman, l'ancien bassiste des Stones, qui tenait des archives hyper-précises, et de lui proposer une certaine somme s'il acceptait de les partager avec lui. En revanche, ses analyses sur l'industrie du disque (il a fait des études d'économie) ou ses jugements sur quelques collaborateurs et collègues sont souvent très perçants.