Sauf sur un ou deux détails !
- la notion de style d'interprétation propre à une époque est l'une des idées qui doivent être le plus discutées car elle est le fond de commerce de la critique musicale, depuis une trentaine d'années. Globalement, c'est assez faux pour la musique instrumentale.
Avec une autre : on joue de plus en plus vite (alors que le contraire est établi), la technique des pianistes a fait des progrès (encore faux), on joue différemment (tout aussi faux et le pire c'est qu'on le sait et qu'on en a des preuves en plus d'un siècle d'enregistrements acoustiques et électriques !
sauf pour les instruments à cordes dont la technique a beaucoup changé... (bien qu'elle soit fixée depuis un siècle : cf. Capet dont la méthode est la base de l'école russe !), mais justement Casals est l'un des "cordistes" qui ont libéré le violoncelle (pas le seul, mais le plus connu : les autres étant plus connus comme prof ou compositeurs que comme interprètes).
L'interprétation de Casals n'est en réalitée datée que par sa prise de son et, peut-être, par d'infimes détails de technique d'archet... et encore ! Mais certainement pas du point de vue de l'expression : car tous les violoncellistes pas formés au baroque jouent fondamentalement de la même façon de nos jours.
Elle est en revanche, marquée par la personnalité et signée par la sonorité de ce musicien et là, c'est unique !
Il y a moins de différences entre Casals, Maréchal, Rostropovitch (malgré la différence d'approche technique) qu'il y en a entre Rostro et Starker (je parle du jeu et plus de bach d'une façon précise) et bien sur entre Rostro et Bylsma...
Comme il y a moins de différences entre Cortot (1877-1962) et Argerich (née en 1942) (dans l'idée) qu'entre Argerich et Pollini (la soixantaine aussi). mais il y a moins de différences entre Pollini et Backhaus (1880 et des poussières) qu'entre ce dernier et Cortot...
- Les enregistrements live peuvent être encore plus coincés que les enregistrements de studio... Du temps qu'on en connaissait peu et pour de bonnes raisons c'était vrai ce que tu dis. de nos jours, ou par mesure d'économie, on publie des live... c'est moins vrai.
Quant à Celibidache : c'est encore une autre histoire. aurait il fait des disques, que peut être sont aura aurait été moins grande... car ces partis pris ne sont pas toujours déterminants. du reste, de nos jours, on s'en aperçoit. ça ne marche pas toujours à la réécoute. En concert, la présence, le magnétisme du chef, l'équilibre miraculeux qu'il obtenait du point de vue sonore faisaient oublier des paramètres qui s'imposent à la réécoute sur disque...
- On a publié des méthodes de viole au XIXe siècle... et cet instrument a été moins délaissé qu'on ne le dit... Et on a même fabriqué ! Il n'y avait pas de disques, pas de radios, la notion de public n'était donc pas la même : mais les musiciens savaient et fort bien ce qu'était une viole, en Grande bretagne, par exemple...
Un autre piste : les organistes vivent très vieux !!! et il suffit de voir qui s'est succédé aux tribunes parisiennes depuis plus de deux siècles... de se souvenir de Boely qui, à Paris, jouait Bach au début du XIXe et composait de la musique contrapuntique quand c'était plus la mode... Il savait comment jouer bach à l'orgue... il le tenait de bonne source !
J'ai très bien connu la petite fille de Marguerite Hasselmans (la compagne de Fauré), elle même pianiste et prof d'harmonie : je peux te dire qu'elle savait très bien comment il fallait jouer du point de vue tempos, du point de vue formel, la musique de Fauré... surtout quand elle te montrait les partitions annotées par Fauré : "surtout ne pas céder"... "a tempo"... "vite, plus vite encore"... "pas de pédale"... etc. Et pourtant, un disque récent du à Koon Woo Paik a obtenu tous les suffrages ou presque alors qu'il déforme cette musique plus encore qu'Aimée van de Wiele déforme les Goldberg de Bach en jouant comme une machine à coudre sur son clavecin Pleyel !
Tiens, on a joué du clavecin tout au long du XIXe siècle : il n'y a pas que la France où on en a tout de même aussi joué un peu contrairement à ce qui se dit. On a même encore fabriqué, restauré des clavecins au début du XIXe siècle !!!
Et en 1886, Diemer a joué un clavecin historique en public à l'exposition universelle et avec plus de savoir qu'on ne le dit aujourd'hui... suffit de voir qui l'avait enseigné et qu'il avait fréquenté !
En fait, on en savait plus sur la façon de jouer Couperin, Bach, Rameau, Duphly au clavier au long du XIXe que les clavecinistes ne le savaient en 1950 !!! Pour des raisons liées a la tabula rasa effectuée par Landowska et à sa prééminence.
On oublie toujours que le temps est plus compressé qu'on ne l'imagine... Il y a toujours un lien bien plus évident qu'on ne le pense... avec le passé.
Un exemple : gamin, j'ai demandé à mon prof, élève de Francis Planté, comme jouaient Liszt et Chopin... vu qu'il avait beaucoup joué avec Liszt...
réponse : "à la même question planté m'a répondu m'a dit Lévèque (grand ami de Geoffroy Dechaume qui lui savait et pas qu'un peu ! ): "comme n'importe quel très grand pianiste : les deux mains ensembles et sans faire de fausses notes...". Planté né en 1839 mort en 1935...
Leveque a enregistré tout couperin au piano pour la RTF en 1953 : en inégalisant les rythmes ce qu'aucun claveciniste ne savait faire en ce temps là... il tenait ça de planté qui avait eu pour proffesseur des vieux au conservatoire de Paris... issus de lignées de musiciens si proches du XVIIIe...
La tradition orale existe aussi...
Cf. berlioz qui a été estomaqué d'entendre les vieux musiciens de la société des concerts du conservatoire ornementer leurs parties pendant les répétitions de la création de la Symphonie fantastique... Ils faisaient ça en 1780 pourquoi ne l'auraient ils pas fait en 1830 !
Pauline Viardot est morte en 1910, elle a sauté sur les genoux de Da Ponte à New York, Da Ponte le librettiste de Mozart, elle a déjeuné avec Stravinsky, joué à vue, à Paris en chantant tous les rôles, Tristan et isolde devant Liszt (qui raconte ça) et Berlioz qui venait de lui apporter la partition d'orcheste que Wagner venait de lui offrir. Elle savait très bien comment Chopin et Liszt, ses amis, jouaient, très bien comment Brahms et Schumann jouaient, comment Mendelssohn jouait, comme son père chantait, le grand manuel garcia, comment Rossini jouait et aimait qu'on chante, etc.
Et si l'on a réinventé pour le public le clavecin au XXe siècle, grâce à Landowska et à quelques autres, il est établi que la coupure n'a pas été aussi nette qu'on l'a prétendu : l'ornementation, l'inégalisation et d'autres choses aussi importantes ont été préservées via l'orgue et via le piano (aussi curieux que cela puisse paraître ! des pianistes jouaient couperin en inégalisant à une époque ou les clavecinistes ne savaient pas que cela existait.
Seulement, déjà on lisait la musique à l'envers et on parlait de progrès... hélas !
Le problème serait le peu de passages entre piano et clavecin au XXe et le manque de talent de la plupart des éleves des pionniers (genre Landowska) jusqu'à la génération de ceux qui sont venus après la deuxième et la troisième génération des éléves de landowska... Leonhardt and co qui ne doivent quasi rien à Landowska...
Il ne faut jamais lire la musique en pensant qu'untel annonce untel : mais toujours en remontant le cours de l'histoire.
Dans le cas de Landowska : c'est fascinant, car elle a créé ex-nihilo un jeu de clavecin sur un instrument qui n'était pas un clavecin... en réaction à son époque telle qu'elle la percevait. Ce qu'elle a fait est fascinant de courage, de détermination, d'intelligence et différent de ce qu'elle prone !!!
J'ai un jour interrogé Harnoncourt sur le sujet pour lui : pas de problèmes, éditions mises à part, car elles sont fautives : "Schuricht, Kleiber père, Monteux dirigeaient beethoven d'une façon bien plus proche de ce que je fais que les chefs de la tradition post romantique leurs contemporains..."
Et c'est ainsi qu'il y aussi moins de différences entre lui et eux qu'entre barenboim et lui et eux... sur plus de 70 ans d'histoire !
Il y aurait un livre à faire, enregistrements antédiluviens à l'appui pour montrer avec quelques exemples bien choisis que l'historiographie musicale pousse le bouchon un peu loin, chaque mois, dans les revues et déforme ainsi une vision historique juste pour une partie non négligeable du répertoire...
Dans le domaine du chant français, ce n'est pas moins fascinant de voir comment des vieux comme Dens, Souzay, Michaux, Cuenod pouvaient se méler à des baroqueux voici 30 ans sans que leur chant fassent le moins du monde tâche...
Si un enregistrement de clavecin se démode à cause d'une façon précise de restituer les ornements, c'est pour d'autres raisons : il n'aurait jamais dû être modé en fait, car il a toujours été déficient d'un point de vue plus important !
La preuve, ceux de Landowska ne sont pas démodés...
et dans un autre genre : on a un jour décrêté que le continuo dans les opéras de MOnteverdi devait être fait par peu de musiciens... puis on a découvert des traces d'interprétations faites à l'époque avec un continuo pléthorique... et l'on s'est rendu compte, que finalement Raypond Leppard, de ce point de vue n'avait pas tord...
Plus j'étudie l'histoire de l'interprétation (de la musique de clavier), plus je m'aperçois que l'on raconte beaucoup d'histoires en les répétant sans cesse et qui n'ont pas un fondement historique réel... mais bon sang qu'elles sont tenaces là où elles devraient pas l'être : dans les revues musicales qui sont censées informer les lecteurs...
Une dernière pour la route ?
Les clavecinistes sont parfois d'une ignorance redoutable quand bien même ils sont savants dans un domaine très pointu.
Je me suis gentiment fritté à la radio avec Rousset qui venait de dire qu'il déniait le droit à un pianiste de jouer bach ou rameau au piano... comme le très romantique Edwin Fischer !
Il a bien fallu lui répondre que Fischer n'était pas du tout un pianiste romantique car le romantisme était mort depuis 80 ans quand il a enregistré Bach, que Fischer était un adepte de la nouvelle objectivité de Busoni, que du temps de Fischer il y avait d'autres pianistes qui jouaient fondamentalement différemment de lui et qu'il voulait sans doute dire que Fischer avait une approche disons expressive, sensible de bach plus que philologique, mais que pourtant le même Fischer trouvait des explications à certains problèmes d'interprétation de Beethoven dans le fait que les piano-forte sonnaient différemment et qu'il fallait alléger le son pour retrouver les intentions de Beethoven...
Et ce n'est pas sans une certaine joie, que j'ai vu que son élève Badura Skoda rapportait ce fait dans le dernier diapason...
Rousset, en fait, n'a jamais entendu une note de Bach par Harold Samuel, Eibenschutz, Renard, Levèque et d'autres pianistes nés au XIXe siècle... dont certains jouent d'une façon autrement plus juste solfégiquement parlant que quantités de mauvais clavecinistes du XXe siècle...
A part ça, Rousset est un musicien et claveciniste admirable dont on ne saurait trop recommander d'écouter les suites anglaises et françaises chez Mirare... C'est drôle... mais il joue comme un pianiste... inspiré

Alain
