padcost a écrit:La liberté de conscience est évidemment liée à la loi sur la laïcité, bien entendu. Mais encore une fois, ce n'est pas la liberté de conscience qui engendre la loi sur la laïcité, mais le besoin d'écarter de la sphère publique le prosélytisme intrinsèque de la religion et la renvoyer où il ne peut que se situer aujourd'hui : la sphère privée. C'est une loi offensive et de combat contre l'obscurantisme.
Je pense que c'est justement ce qui est inexact. À part l'édit de Nantes (1598), qui contient l'expression “liberté de conscience”, et qui a été révoqué en 1685 par l'édit de Fontaibleau (Louis XIV), et l'art.16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (mais la Constitution de la Ire Rép. n'a pas été appliquée), il n'y a pas de précédent à la loi de 1905 qui affirme la liberté de conscience comme un droit fondamental: en particulier, le Concordat de Napoléon 1er n'affirme nullement la liberté de conscience — au contraire: il s'agit de protéger les consciences religieuses contre ce qui pourrait les “troubler”…
voir le texte:
Art.1 - La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Art. 2 - La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Ce qui engendre la loi de 1905, c'est la volonté d'appliquer trois principes: un principe de liberté individuelle (de conscience et d'exercice); un principe de neutralité (de non subvention: avec une exception au nom du précédent principe); et un principe de maintien de l'ordre public.
L'athéisme n'est absolument pas un obscurantisme.
Quand tu parles de l'athéisme "agressif" en Union Soviétique ou ailleurs tu ne parles pas de l'athéisme mais de son instrumentalisation à des fins idéologiques — comme tu le faisais déjà quand tu parlais de "cérémonie athée", contradiction dans les termes. Mais il ne s'agit plus ici d'athéisme.
Je n'ai pas parlé de “cérémonies athées”, mais de sociétés philosophiques, comme on dit, qui pratiquent des cérémonies, tout en admettant l'athéisme. On pourrait aussi signaler l'existence du “baptême républicain” et du mariage civil: autant de cérémonies qui sont objectivement et en tant que telles non-religieuses et “sans dieu”, ce que signifie littéralement le mot “a-thée”… Il n'y a donc aucune contradiction dans les termes, puisque les faits existent.
Quant à l'athéisme, il peut parfaitement être obscurantiste, ne serait que parce qu'il en existe différentes formes.
Tu veux distinguer l'athéisme de son instrumentation politique: en quoi tu as raison si l'on reconnaît que c'est la loi de 1905 (entre autres) qui interdit d'instrumenter l'athéisme à des fins politiques, autant que d'instrumenter telle ou telle religion à des fins politiques. C'est une signification centrale de la neutralité de l'Etat, qui n'est ni religieux ni athée.
En revanche, l'athéisme n'est pas intrinsèquement une doctrine “privée” ni même “éclairée”: il existe différentes formes d'athéismes, certaines étant particulièrement obscurantistes, fanatiques et meurtrières. L'athéisme proclamé des nazi hitlériens en est un exemple évident.
C'est parce que l'athée respecte l'apparition de la croyance en Dieu (en tous les dieux) qu'il considère dans l'histoire de l'Humanité comme relevant de la Nécessité qu'il s'autorise à en questionner l'existence : un dieu omniprésent, omniscient, omnipotent (!).
Un questionnement fondamental qui met évidemment en grande difficulté toutes les religions. Mais pas du tout la société civile. Au contraire. Et on voit mal comment l'athéisme pourrait être jeté dans le même panier que les religions, où fondamentalement il n'a rien à y faire..
Ce qui, d'ailleurs, n'est pas mon opinion… Il n'empêche que les croyances sont libres — et ceci parce qu'il y a des domaines dans lesquels il n'est pas possible de “faire la vérité”. Soit l'argument de type “agnostique” employé par pas mal d'intellectuels, de politiques et de penseurs divers et variés de la fin du XIX° et du début du XX° siècle — à propos de la question: avons-nous une âme, et si oui, est-elle mortelle ou immortelle, et si elle est immortelle que devient-elle après la mort, est-ce qu'elle se réincarne ou est-ce qu'elle demeure quelque part, et, dans ce dernier cas est-elle punie/récompensée ou non?
L'argument consiste à reprendre le propos Montaigne: ceux qui veulent éclaircir la question de la mort “ne sont pas revenus nous en dire les nouvelles” (Essais II, VI): autrement dit, puisqu'il s'agit de choses inconnaissables, il est impossible de savoir si oui ou si non — on ne peut que soit croire (que oui: être “religieux” ou que non: être “athée”), soit suspendre sa croyance en ne penchant pas plus d'un côté que de l'autre (être “agnostique”), ou ne pas adhérer soi-même à la croyance religieuse sans pour autant y voir une erreur, ni une vérité (être athée au sens de “libre-penseur”, ce qui est, en gros, la position de Jaurès par exemple)…
Il y a, autrement dit, une forte différence entre
mettre en question les religions: et là dessus, je suis de ton opinion, la mise en question fait le plus grand bien à la société civile; — et
lutter contre les religions, au nom d'un athéisme militant ou, à l'inverse,
lutter contre l'athéisme, l'agnosticisme, le scepticisme, etc. Dans les deux cas, c'est contraire à l'ordre public et à la paix publique.
Et oui, ce que l'on entend beaucoup, de nos jours, de la part de certains religieux qui demandent la création de toutes pièces d'un “délit de blasphème” pour ménager leur pauvre sensibilité qui serait tellement meurtrie par les vilains athées… Lesquels auraient bien sûr droit à la liberté de conscience et à la liberté d'opinion, mais à la condition de ne jamais s'exprimer en public, ni dans les journaux, ni dans la vie sociale, ni dans les livres, ni dans les films etc. Par rapport à cela, il me paraît assez évident que les différentes formes de convictions religieuses qui existent en France sont en grande majorité tolérantes, ce qui n'est pas le cas de toutes les convictions religieuses. De beaucoup d'entre elles, oui, de certaines, non, c'est le moins que l'on puisse dire: il y a un certains nombres de meurtres, d'assassinats et de tueries pour le prouver.
Cela n'empêche nullement de reconnaître que le principe de liberté de conscience qui est affirmé très nettement (et pour la première fois avec une pareille force) par la loi de 1905, donc par la laïcité, vaut pour tous (et pas seulement pour les uns et pas pour les autres).
Cdlt