Reconquérir l’autonomie de décision dans l’intérêt du consommateur particulier et industriel.
Le sens de l’intérêt général et l’utilité d’une vision à long terme.Extraits de l'intervention d'Henri Proglio, ancien Président-directeur général d’EDF, lors du colloque "Défis énergétiques et politique européenne" organisé par la fondation Res Publica présidée par Alain Chevènement.
Il y a soixante-dix ans le constat avait été fait que la France, ne bénéficiant pas de ressources énergétiques, était totalement dépendante de ses importations et qu’il était nécessaire de construire son indépendance énergétique, d’assurer la qualité des services et l’accès permanent de tous à l’énergie à un prix compétitif. C’est ce qui a guidé la France dans ses choix énergétiques de l’époque.
Ces choix ont été initialement marqués par l’hydraulique qui représente encore 12,5 % de la production d’électricité en France. Ce fut ensuite la grande aventure nucléaire qui a donné à ce pays un outil (le parc nucléaire français : cinquante-huit réacteurs, plusieurs en « construction éternelle ») et, à travers un opérateur initié et construit pour cela (EDF), l’électricité la plus compétitive d’Europe qui arrive au même prix dans tous les foyers, quelle que soit leur situation géographique, y compris dans les DOM-TOM. La France avait conquis son indépendance énergétique, un atout dont ne disposait aucun autre pays industriel, a fortiori européen.
Il y avait alors une politique, il y avait même un ministre de l’Energie. Aujourd’hui, il n’y a plus de politique énergétique mais une politique de la « transition ». On mute, on transite, on essaye de détruire ce qui existe pour aller vers… quelque chose dont ni l’objectif ni même les grandes caractéristiques n’ont été définis. On a donc confié la « transition » à des ministres qui ne sont pas chargés de l’énergie.
Dans le même temps, un pays voisin qui, bien que n’ayant pas eu cette consistance, avait réussi sa politique industrielle, donc sa compétitivité mondiale à travers son industrie, a identifié un grand risque : son énergie électrique coûtait à peu près deux fois plus cher que l’énergie française. Or, dans la compétitivité des territoires, l’énergie allait jouer un rôle déterminant. Par conséquent, à défaut de résoudre son problème, il lui fallait a minima détruire la compétitivité du voisin. J’avais rencontré Mme Merkel en 2011 au moment de la décision sur l’Energiewende et de l’arrêt du nucléaire. Elle avait eu ces paroles dont je me souviendrai toute ma vie : « Allemande de l’Est, je suis totalement convaincue par le nucléaire. Mais j’ai besoin des Verts pour gagner les élections régionales et demain les élections nationales. Je sacrifie les industriels de l’énergie allemande à l’intérêt supérieur du Reich qui est d’avoir la CDU à la tête du pays ». On pouvait comprendre et j’ai parfaitement intégré la variable de la politique allemande.
Malheureusement, il n’y avait pas de politique française en face ! Pourtant, de temps en temps, on ajoute une disposition qui permet de continuer à détruire ce qui existe… « Oblige-t-on EDF à vendre son énergie à ses concurrents ? », demandiez-vous, Monsieur le ministre. Oui, bien sûr. Chaque jour on promeut un fournisseur d’énergie (Engie ou autre) qui vend de l’énergie 10 % moins cher présentée comme « verte » ! En réalité, ces fournisseurs vendent avec bénéfice l’énergie qu’ils achètent à EDF, en prétendant qu’elle est « verte » ! Il s’agit donc d’une subvention à la concurrence. En effet, le seul principe qui guide l’Europe, "la concurrence fait le bonheur des peuples", balaie l’argument selon lequel nous avons un système qui est peut-être monopolistique mais qui est efficace !
Les barrages eux-mêmes doivent être mis en concurrence. Or les barrages ne servent pas à produire mais à stocker. Ils sont un élément d’optimisation du système électrique, une grande pile à combustible. L’énergie stockée est utilisée quand on en a besoin, quand les centrales nucléaires sont à l’arrêt, lors des pointes de consommation etc. Pourtant, l’Europe imposant la concurrence, nous sommes sommés de mettre les barrages en appel d’offres. J’ai résisté pendant cinq ans… Désormais soumis à concurrence les barrages vont nous être achetés pour la valeur de production et non pour la valeur d’utilité qui serait incommensurablement plus importante. On va donc désoptimiser le système électrique, augmenter le coût de revient… au détriment du consommateur qui, in fine, va payer.
[...]
On oublie – ou on occulte – beaucoup de choses.
On oublie d’abord que les énergies renouvelables sont intermittentes, sauf l’hydro-électricité, mais que les besoins sont essentiellement des besoins de base.
On oublie assez facilement les spécificités géographiques. Il est absurde de construire du solaire en Scandinavie où il fait nuit six mois par an. Les pointes de consommation, dans les pays européens, ont lieu l’hiver et la nuit… le solaire est très utile mais c’est une réponse assez limitée. En France on a trouvé la réponse, on donne des subventions beaucoup plus importantes au kW, au GW ou au TW produit là où il n’y a pas de soleil pour compenser le manque de soleil. Selon cette logique sidérante, il vaut mieux faire du solaire à Maubeuge qu’à Nice, c’est plus rentable !
On oublie aussi le coût et les problèmes du stockage. Les énergies renouvelables auront toute leur force dès lors qu’on saura stocker l’énergie. Mais on est très loin de la compétitivité du stockage. On a fait beaucoup de progrès mais, d’après les chercheurs du secteur électrique et notamment d’EDF, il faudra encore trente ans pour envisager la possibilité de stocker l’énergie de manière compétitive. Aujourd’hui, la batterie représente le tiers du coût d’une Tesla. Ce qui peut être accessible en coût pour un véhicule automobile ne l’est absolument pas pour la commodité qu’est le besoin électrique du citoyen pour sa consommation quotidienne.
Quelles priorités ? Sécurité énergétique, coût pour le consommateur, qualité environnementale, compétitivité industrielle, climat ? Si on prend ces priorités, on répond nucléaire ou hydraulique, à l’évidence… Encore une fois, j’ai passé ma vie dans l’environnement et je n’ai rejoint EDF que tard dans ma vie professionnelle. Je n’étais pas a priori fanatique de telle ou telle énergie mais je reconnais la puissance et l’efficacité du nucléaire. Nous avions la meilleure filière industrielle nucléaire du monde qui faisait de la France l’exemple à suivre. C’est du passé.
À la question des défis que nous devons remporter, j’ai presque envie de répondre que nous avions remporté tous les défis. Il eût suffi de continuer ce que nous faisions, de le faire un peu mieux : améliorer l’efficacité des réseaux, mettre la valeur ajoutée par les nouvelles technologies au service de l’optimisation énergétique, exporter notre savoir-faire et développer la science française dans le monde. Bref, aller à la conquête du monde entier qui a besoin d’énergie.
[...]
Nous Français avons conçu, construit, à l’échelle d’un pays de taille moyenne mais très évolué, un outil remarquable qui a certes quelques défauts mineurs (un peu d’inertie, des problèmes de surcoûts en matière de frais de structures…). Pourquoi ne tirons-nous pas de cette compétence une certaine fierté ? Pourquoi ne ressentons-nous pas la nécessité de défendre ces acquis ? Si on raisonnait à l’échelle européenne et si possible mondiale de la même manière qu’a raisonné la France de 1950, le défi qui est devant nous serait en voie d’être remporté. Mais je crains que, pour des raisons souvent incompréhensibles, nous nous soyons éparpillés et que nous prenions beaucoup de retard par rapport à ces enjeux.
Je constate qu’au cours des dix dernières années on a régressé de manière considérable en matière de politique énergétique sur le continent européen.
lire l'intégralité de cette intervention :
https://www.fondation-res-publica.org/R ... a1233.html
A+