Un Focal, des Focaux?C’est alors que Focal-Utopia et son fils, Focal-Éléar, l’un armé de béryllium, l’épée tueuse d’orques, l’autre ceint d’alu-magnésium, la fendeuse de gobelins, s’avancèrent face aux hordes du Mordor: c’est un peu ce qu’on pourrait avoir envie d’écrire, si l’histoire se passait en Gondor… Mais en fait non, c’était seulement chez moi: Pierre Paya m’ayant proposé d’essayer l’Utopia, puis l’Éléar – et pendant qu’on y était, d’ajouter un ampli Auris par-dessus, pour faire bonne mesure, des colis ont commencé à arriver. Je tiens à l’en remercier – en redisant quelle chance nous avons de pouvoir bénéficier de ces prêts! Donc, pour cette fois, ça ne sera pas des Focaux, mais un seul Focal, l’Elear.
L’Éléar annonce une impédance (nominale) de 32 Ohms et une sensibilité de 104db (pour 1mW), ce qui devrait le rendre assez facile à marier (à condition de ne pas oublier, malgré tout, que le plus facile n’est pas toujours le plus évident). Bref, histoire de donner une petite idée, après ma première session d’écoute, je l’ai même branché sur mon petit iBasso DX50 (je n’ai écouté qu’un morceau
Cocaine de Clapton): pas besoin de pousser le volume (on reste vers les 200) ni d’utiliser l’equalizer de ce petit baladeur pour obtenir un très bon résultat! Le câble qui se termine en jack 6.35 d’un côté et en mini jack de l’autre (ce qui est peut-être un peu dommage: dans l’absolu, j’aurais préféré des mini XLR et une XLR brochée en symétrique, quitte à ajouter des adaptateurs pour le reste, ou un choix au moment de l’achat: ou XLR, ou jack 6.35, ou mini-jack + adaptateur selon l’usage recherché) a la politesse de faire 4 m. Tu vas me dire que c’est trop long, à quoi je répondrai qu’il est plus facile de réduire la taille en nouant le nombre de boucles qu’on veut avec un bout de velcro que de l’allonger! Au niveau confort, c’est excellent, on est presque au niveau du HD800, même si le poids est un plus élevé (400g pour le Focal, contre 330g pour le Senn) et le clamping plus important. À noter, pour finir, que c’est un vrai casque ouvert, assez sensible aux obstacles latéraux et qu’il faudra éviter d’écouter vautré avec un gros édredon en guise d’oreiller (pour ceux qui auraient cette tendance!) — ce qui signifie également qu’utiliser d’autres pads pourrait ouvrir des questions côté tweekage (s’il en existe).
Bref, c’est pas le tout de ça, mais, ayant pris la précaution de me munir d’une bonne bouteille de Cardhu de 15 ans, d’une boîte de mes cigares cubains préférés (pour ceux qui voudraient absolument m’en offrir: des Cohiba Siglo 2, car je n’ai pas de goûts de luxe!) et de quelques disques, après avoir fait chauffer la boîte à tubes ET la boîte à totors, je lance donc quelques albums, en commençant par brancher l’Éléar bien dans le trou prévu à cet effet…
Giant Steps de John Coltrane, album de fin 1950, sorti chez Altlantic Records: un vrai pas en avant dans une discographie très fournie et toujours passionnante (d’habitude j’écoute la version 33t sortie il y a quelques années chez Not Now Music en 180g, mais là ça sera mon vieux CD de chez Atlantic, qui date de la fin des années 80).
Giant Steps ne fait pas partie des albums les plus “difficiles” à écouter dans la discographie de Trane. Mais même si les percussions sont peut-être parfois un peu en retrait dans l’absolu, c’est un “bon” enregistrement, avec une contrebasse bien présente (certes, dans l’absolu, on peut le préférer en mono, car la version stéréo est très artificielle). La particularité est évidemment un sax très brillant et très présent, même si sa position est très latéralisée sur cet enregistrement qui manque de quelque chose “au milieu” L’Elear propose une écoute assez descendante, mais très relax, sans perte de détail. Autrement dit, pas de prise de tête sur une écoute hyper “on the edge”, qui cherche la petite bête: ce n’est pas un outil d’analyse, mais un casque “pour écouter de la musique” sans se poser de question.
De Franck Zappa,
The Man From Utopia (ben oui, forcément: c’était ça ou
You Can’t Do That On Stage Anymore – mais là, les albums sont trop nombreux pour être écoutés à la file), album de 1983. Je dois avoir plus de 80 albums de ce cinglé de Zappa, soient 4 ou 5 jours d’une expérience que certains diront “des limites” – sauf qu’elles sont le plus souvent largement dépassées! L’album était sorti chez Barking Pumpkin (= Citrouille Aboyante!) et on en trouve plein de versions d’occasion, sans compter que c’est récemment ressorti chez Hip-O Records.
Ça n’est pas le “pire” des albums de Zappa, autrement dit, on pourrait commencer par là pour apprivoiser l’animal. Disons que là, au moins, il chante au lieu de ne faire que déconner… Évidemment, le mieux, ça serait de comprendre l’anglais, ou d’avoir les paroles sous les yeux, histoire de bien saisir les provocs à Franckie: on ne pourrait plus faire ça sur scène de nos jours). La particularité de cet album, en dehors de son côté plutôt rock, c’est la très bonne présence des percussions et du registre grave. De ce côté là, l’Elear répond étonnamment, peut-être pas avec la présence “physiologique” d’un orthodynamique, mais on n’a pas le sentiment de recul dans ce registre, qui est assez typique de ce type de casques – à quelques rares exceptions près. Je n’ai pas le HD800 sous la main et, de toute façon, pas envie de faire une comparaison, mais je parierais que l’Elear est un peu au-dessus sur ce plan. L’autre grande différence sera probablement dans le registre qui va du haut médium à l’aigu, visiblement plus descendant et en retrait sur le Focal que sur le Senn. Enfin, à mon sens, pas vraiment besoin de pousser le volume pour avoir une écoute très vivante, mais ce type d’équilibre général permet de pousser autant qu’on veut – et que la prudence le permet! – histoire de chauffer l’ambiance!
Istanbul Sessions: Istanbul Underground d’Ilhan Ersahin, avec Erik Truffaz, album sorti en 2012 chez Nublu Records
J’aime beaucoup ce disque, à la fois pour les couleurs et l’ambiance musicale qu’il propose, et parce que la prise de son me semble très intéressante, au moins en ceci qu’elle est très démonstrative, avec une énorme présence de la basse. Ce qui, revers de la médaille, n’est pas facile à rendre sur un casque – pas plus, pour le dire au passage, que sur une paire d’enceintes. Et ça me confirme mon impression générale: l’Elear donne sur ce plan un résultat qui sort de l’ordinaire. Pour le dire clairement: on a le sentiment que c’est un orthodynamique que l’on est en train d’écouter, ce qui n’est pas peu dire. Il me semble, de mémoire, qu’il y a moins de présence dans le haut médium/aigu que ce dont j’ai l’habitude, avec l’Odin ou le HD800, mais sans frustration repérable.
Second Helping deuxième album de Lynyrd Skynyrd sorti en 1974 cher Audio Fidelity Records (à prononcer “leh-’nerd skin-’herd”, comme chacun devrait le savoir après avoir écouté le premier): rien de tel que du bon gros rock sudiste – il existe pas mal de versions disponibles de cet album, sur différents supports, la mienne est une ressortie du tout début des années 90 chez MCA Records
Changement de décor et changement de boîte: je branche l’Elear sur le Phœnix et… one, two, three: welcome home in Alabama!
Ben oui, j’ai un faible pour le bon vieux gros rock sudiste, à égale distance du rock, du blues et de la country. Et puis le côté foutage de gueule du premier groupe, qui avait décidé d’adopter leur nom en “l’honneur” de leur facho de prof de sport qui ne supportait ni les cheveux longs ni les tenues débraillées, je dois dire que ça m’amuse (l’un des membres du groupe s’était même fait virer, je crois). Quant au côté red neck facho-raciste, en particulier du tube
Sweet Home Alabama , je suggère à ceux qui y croiraient dur comme fer de mieux réécouter les paroles et de se souvenir que Neill Young n’y allait pas quatre chemin en décrétant que tous les “sudistes” étaient (forcément) des facho racistes, ce qui n’est sans doute pas aussi évident (d’ailleurs Neill Young n’a-t-il pas écrit des chansons pour Lynyrd Skynyrd et fini par chanter
Sweet Home Alabama sur scène!…). Bref…
L’Elear permet d’avoir une superbe ambiance de rock, avec une assise remarquable dans le grave ce qui donne énormément d’ampleur, pas un poil d’agressivité, et ce qui permet de monter le volume, histoire de se faire plaisir. Certes, le Phœnix propose une écoute plus douce, plus feutrée dans le haut médium, mais, là encore, l’association ne se fait pas au détriment de la précision ou du détail. Le côté écoute descendante, qui me paraît à nouveau évident, est un peu dans le style d’un HD650 ou d’un bon vieux K240M, ce que je trouve très plaisant. Reste qu’on est très largement au-dessus des deux précédents (là encore, pas besoin d’essayer pour le savoir!) et qu’évidemment écoute descendante ne veut pas du tout dire “perte” ou “manque d’info”. C’est gros son et belle musique.
Enfin, pour finir, un petit album de Larry Carlton,
Live in Tokyo (concert de 2006) avec Robben Ford, sorti en 2007 chez 335Records
Même motif, même réponse. Voilà un superbe album live, avec des percussions et une basse extrêmement présentes, plus un duo de guitaristes qui dialoguent. Mine de rien, si les guitares sont assez faciles à reproduire, le reste, et en particulier la basse, c’est comme pour
Istambul : on n’en viendra pas à bout avec n’importe quoi! Ici, on n’est certes pas au niveau d’impact qu’on peut obtenir avec certains ortho sur le marché : ainsi l’Odin, le HD1000 ou les LCDX ou 3. Mais le résultat est en lui-même étonnant avec, qui plus est, une restitution qui ne vira jamais à l’agressivité, ce qui, avec cet enregistrement, est assez fréquent. Sur ce dernier point, par exemple, mon HD800, avant son tweekage, pouvait assez vite devenir lassant, malheureusement… Et ce n’est sans doute le seul des casques autour de 1000 ou 2000 € qui présenterait ce défaut, ou (ce que ne fait pas vraiment le Sennheiser) celui, inverse, d’un manque de poids dans le registre grave – voire… les deux! Lorsque j’aurai récupéré mon HD800, il faudra que je les compare, car il y a, me semble-t-il, vraiment de quoi “se poser des questions”. Ça sera sans doute sur l’image, certes bien latéralisée et pas du tout “en arrière”, de l’Elear que la distance sera plus grande.
Bilan de cette petite session d’écoute? J’ai écouté le tout à la file, sans chercher midi à quatorze heures, ni à me déchiqueter l’appareil capillaire en plusieurs parties de section identique. Et après avoir fini le Cardhu et respiré mes deux Siglo de la quinzaine, je trouve que ce casque est tout simplement superbe. Dans cette gamme de tarifs, autour de 1000€, et même en élargissant à plus, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de concurrence. Mettons: HD800, MD2, HE6 (si on arrive à le trouver et il faudra l’amplifier), Vali, LCD2 (et encore!) et… j’ai beau chercher je ne trouve pas d’autres casques ouverts capables d’être aussi plaisants.
A-t-il des défauts? Dans l’absolu, on pourrait souhaiter un câble permettant un branchement symétrique, mais si je devais l’acheter, je le ferais recâbler, donc: peu importe. À part ça, un casque facile à amplifier, qui n’aura pas besoin d’une centrale nucléaire pour faire de la musique, mais seulement d’un ampli bien choisi. Ce qui signifie que si vous aviez l’intention de vous offrir un casque ouvert à 1000€ ou même plus, il est urgent d’attendre d’avoir essayé ce modèle. Je suis certain pour ma part de préférer l’Elear à n’importe quel Grado, à n’importe quel UltraSone, à n’importe quel Beyer, à tous les Stax de tarif comparable, au Dharma, au LCD2 voire 3 – pour l’Oppo, je ne sais pas, je n’ai jamais essayé le PM2, seulement le 3. Et je demanderais à voir pour ce qui concerne le HD800, ou le LCD-X, et même au-delà. De quoi donner à réfléchir, dans la mesure où ce qu’on ne met pas dans le casque, on peut aussi le mettre dans l’ampli: car il se pourrait de ce point de vue que ce casque puisse aussi être encore mieux exploité qu’avec mes propres appareils…
Cdlt