Chose promise sur un thread sur la flûte à bec, chose due, je vais essayer de décrire en quelques posts les notions de base (compréhensibles par tous, pas d'équations différentielles ici

Les facteurs d'instruments ont raffiné leur admirable savoir-faire empirique au cours des siècles sans forcément faire appel à la physique, mais celle-ci est fort utile lorsqu'on veut percer quelques secrets de leur fonctionnement, a posteriori.
A la fin de ce premier post vous trouverez des [références] (certaines en anglais, désolé) dont je me suis inspiré (j'espère sans déformer), elles vous permettront également d'aller plus loin.
Pour commencer avec les Bois, j'ai choisi la flûte à bec puisque je viens de recevoir celle que j'ai commandé, ceci nous permettra d'ailleurs de vérifier certaines théories par la pratique...On embrayera ensuite avec la clarinette, voire le sax, chacun de ces instruments étant exemplaire pour notre propos, et de complexité croissante (au niveau physique j'entends).
1. La flûte à bec
Le site [1] nous montre la coupe d'une flûte alto, ce qui m'évitera de scier la mienne, toute neuve et même pas rodée (ça se rode dixit le manuel!)


Notons que la perce (forme intérieure du tube) n'est pas tout à fait cylindrique mais légèrement conique, et qu'elle est bien sûr ouverte au bout.
1.1. Le jet d'air
Le gros plan sur la tête nous montre que le canal dans lequel on souffle débouche sur un biseau (en 3 sur la coupe):

Source: http://ourworld.compuserve.com/homepage ... ouchon.htm
Ce biseau est la pièce maîtresse du fonctionnement de la flûte à bec, sa forme et sa position exacte par rapport au jet est déterminante pour que la flûte fonctionne, et pour la richesse son timbre.
Les scientifiques nous disent que le jet d'air propulsé par le canal sur le biseau intéragit avec la colonne d'air contenue dans la perce, et passe alternativement à l'intérieur puis à l'extérieur du tuyau, comme ceci:

Source: http://hyperphysics.phy-astr.gsu.edu/hb ... ge.html#c1 et [2]
Voici d'ailleurs une animation visuelle issue de calculs savants sur le comportement probable du jet d'air (en bleu: souffle à faible vitesse, en rouge, forte vitesse):
http://iwk.mdw.ac.at/flutesim/pic/u_iso.avi (attention fichier video de 3.45 Mo)
Source: http://www.bias.at/index.htm?http://iwk ... /flutesim/
Ce que provoque le jet d'air dans la flûte à bec est parfaitement comparable à ce qui se produit dans les tuyaux d'orgue des jeux dits "à bouche":

Voir sur: http://perso.wanadoo.fr/eisenberg/jeux.htm#FONDS, ainsi que le chapitre 5 de [5].
La flûte traversière fait partie de la même famille:
Il existe d'ailleurs une flûte traversière de même doigté que les flûtes à bec, preuve de la similitude des deux flûtes du point de vue physique:

La flûte de pan, le shakuhachi (vous savez l'intro de la BO d' Ushaïa!), etc...idem, même concepts!
La différence dans ces cas est que l'instrumentiste à plus de possibilités de modulation du son que pour la flûte à bec, puisqu'il peut faire varier la distance, l'angle et l'épaisseur du jet d'air qui rencontre le biseau (ou le bord du cylindre).
Coté souffle, le flutiste à bec ne peut agir (principalement du moins) que sur la vitesse du jet.
1.2. ondes stationnaire du tube
Ce jet turbulent va exciter "les fréquences propres" de la colonne d'air "contenu" dans la flûte (dans les limites du volume de la perce,), elle va créer ce que les physiciens appellent des ondes stationnaires, ainsi nommées car les ventres et les noeuds de vitesse (ou au contraire, de pression), reste au même endroit du tube pour un mode donné, ce sont les "fuites" de ces ondes stationnaires que l'on entend.
Bon, expliquons un peu tout ça, avec les mains...
Prenons une image pour bien voir c'est qu'est une fréquence propre: un enfant sur une balançoire constitue un système proche du "pendule simple": sa fréquence d'oscillation est déterminée par la longueur de corde (ainsi que la pesanteur); la personne qui initie puis entretient les oscillations en poussant l'enfant d'une pichenette mais au bon moment, ne pourra pas imposer une autre fréquence d'oscillation que celle déterminée par le pendule. A moins de changer la longueur des cordes, ou de planète....
C'est tout à fait ça qui se passe pour la flûte, que les physiciens assimilent en première approximation à un tube cylindrique, c'est la longueur du tube et la célérité des ondes sonores dans l'air qui détermine la valeur de la fréquence du mode fondamental, le jet d'air ne fait qu'initier puis entrenir les ondes stationnaires de la colonne d'air.
Pour une température d'air donnée (voire hygrométrie dans une bien moindre mesure), dans le cas des flûtes donc, c'est essentiellement la longueur du tube d'air qui va dicter la hauteur de la note entendue. Ceci est évidemment vrai pour le mode fondamental (= le mode permettant de jouer les notes les plus graves pour un instrument donné), mais on va voir qu'il y a d'autres modes...le tube d'air, même cylindrique, c'est plus compliqué qu'un pendule!
Encore une nuance: la flûte traversière permet quand même, dans un mode donné, de moduler légèrement la fréquence d'une note en variant la distance bouche/embouchure, voir la vidéo de la charmante jeune fille sur: http://hyperphysics.phy-astr.gsu.edu/hb ... flute.html (cliquer sur "Video example: tuning by changing embouchure").
Tout se passe en fait comme si le tube d'air dépassait légèrement le tube physique (effets dit de bord), le fait de rapprocher ses lèvres diminue la longueur de ce tube virtuel; sur la flûte à bec, on ne peut pas controler ces effets de bord vu la structure figée du bec.
En résumé, le tube d'une flûte est donc plus "fort" que l'excitateur pour dicter la fréquence, c'est encore vrai pour les instruments à anches sur lesquels nous reviendront, un peu moins vrai pour les cuivres et plus du tout pour la voix!
=> Comment peut-on donc jouer plusieurs notes successivement en restant par exemple dans le mode grave sur une flûte? en faisant varier la longueur de la colonne d'air! tout simplement en enlevant ses doigts des trous latéraux en commençant par l'extrêmité la plus éloignée du bec... tout se passe (en première approche du moins) comme si le tube était sectionné à l'endroit du premier trou ouvert. Cela revient un peu à raccourcir les cordes de notre balançoire...
NB: la présence de trous latéraux est une grosse différence entre les Bois et les Cuivres, ces derniers n'ont pas de trous mais des sortes de tubes-rallonges mis en circuit grâce à des pistons...

1.2.1. Mode fondamental
Comme on l'a vu, on modélise une flûte simplifiée par un tube cylindrique sans trous latéraux dont l'air est excité par un jet turbulent: il s'agit d'un tube ouvert aux deux extrémités, c'est très important à retenir et à comprendre.
Petit détail qui a son importance, ce tube imaginaire ne commence qu'à partir du biseau, et non de la bouche, car c'est bien à cet endroit que le tube est à l'air libre, à la pression atmosphérique, à l'instar de l'autre extrémité.
NB: ce qui se passe dans la bouche et le larynx n'est pas tout à fait sans conséquence sur le timbre mais on le négligera ici
Voici une excellente visualisation animée en java de ce qui se passe au niveau ondulatoire dans l'air convenablement excité d'un tube ouvert, en schématisant par des points les ensembles (macroscopiques) de molécules d'air:
http://www.physics.smu.edu/~olness/www/ ... waves.html
Bien vérifier que l'on est dans le cas "both sides open" (ouvert aux deux extrémités), comme ceci:

Le cas que j'ai figé correspond au moment où l'air atteint un maximum de pression au centre du tube, c'est aussi en ce point central que la dépression sera la plus forte alternativement, il s'agit d'un ventre de pression (vous pouvez cocher le bouton "pressure" pour observer la courbe).
On s'aperçoit par contre qu'en ce ventre de pression, la vitesse est quasiment nulle
=> le ventre de pression est aussi un noeud de vitesse...
Les extrêmités sont par contre des ventres de vitesse (et les extrêmités sont des noeuds de pression puisqu'ils débouchent à l'air libre).
Il faut imaginer que ces mouvements sont amorcés puis entretenus par la vitesse du jet d'air dont les salves périodiques, en cadence, viennent alimenter cette résonance naturelle de l'air du tube.
NB: Je n'ai pas trouvé d'animation de cette partie délicate à expliquer (comment une série de salves d'air se transforme en ondes stationnaires), je vais essayer d'y remédier.
1.2.2. Modes supérieurs:
Il s'agit d'imaginer tous les modes stationnaires possibles qui correspondent aux conditions "aux limites" suivantes: les extrêmités sont des ventres de vitesse (et des noeuds de pression) quelque soit le mode.
En appuyant sur "higher" dans l'applet java, on visualise ces modes: on s'aperçoit que l'on ne peut "construire" que des multiples entiers de la fréquence fondamentale, et a priori tous les multiples entiers. Ce sont les fameux harmoniques, dont on déjà parlé pour le piano, la guitare...
Ces modes supérieurs apparaissent dans 2 cas distincts:
- en même temps que la fréquence fondamentale, à des degrés d'amplitude divers suivant l'excitation, ce qui contribue à la richesse du timbre (mais la note entendue sera celle du mode le plus grave, sauf exceptions)
- à la place du ou des modes inférieurs, en fonction du type d'excitation
Voici donc en résumé visualisés (en ventres et noeuds de vitesse), les premiers modes du tube ouvert:

Cf [2] et http://hyperphysics.phy-astr.gsu.edu/hb ... ol.html#c3
Mais des travaux pratiques permettront d'y voir plus clair...
A suivre donc!
Des questions jusqu'ici?
cdlt,
GBo
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Références:
[1] "LA FABRICATION D'UNE FLUTE A BEC" en image, par Philippe Bolton
http://ourworld.compuserve.com/homepage ... ation.html
[2] "Woodwind Instruments", site "HyperPhysics" Georgia State University
http://hyperphysics.phy-astr.gsu.edu/hb ... nd.html#c1
[3] "Introduction to flute acoustics" de l'université de NewSouth Wales, Australie
http://www.phys.unsw.edu.au/~jw/fluteacoustics.html
[4] The Physicist's Guide to the Orchestra:
http://arxiv.org/PS_cache/physics/pdf/0008/0008053.pdf
[5] "Les intruments de l'Orchestre", Collectif, prefacé par Jean-Claude Risset, Belin pour la science
