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2001, l'odyssée de l'espace

Message » 08 Fév 2003 15:14

J'ai eu l'occasion de rédiger une dissertation cette semain. Le sujet étant libre, j'ai bein évidemment été piocher dans le domaine du cinéma, en parlant du chef d'oeuvre de Stanley Kubrick. Je mets le résultat final ici. A vos commentaires (sur le fond pas sur la forme car j'ai rendu mon papier).

« 2001, l’odyssée de l’espace », Stanley Kubric, 1968



L’œuvre cinématographique de Stanley Kubrick traduit résolument « l’anti-lyrisme », le « non romantisme » de son auteur. Ce mode d’expression lui a valu d’être souvent étiqueté de «monstre froid », voire inhumain. A noter, que les compositions sans émotions de Stravinsky ont été l’objet de critiques similaires. Il est vrai que le cinéma de Kubrick tient à distance les spectateurs par une mise en scène très élaborée, très froide. Chez lui, pas d'effets. Dans « 2001, l’odyssée de l’espace » (1968), le vaisseau spatial ne crache pas de flammes à l'inverse de « La guerre des étoiles » de Georges Lucas. Ses films se veulent l’instrument de la connaissance du monde. Ils sont les vecteurs de l’idée obsédante et, au combien, fascinante de Kubrick : plus le monde fait référence à la raison, plus il est manipulé par l’irrationnel.
Pour preuve, dans « 2001, l’odyssée de l’espace », c'est l'ordinateur, entité purement scientifique à priori, qui tue. Ce paradoxe, en apparence, explique une grande partie des horreurs de l'histoire, guerres, révolutions, massacres. L’homme a toujours su invoquer une « bonne raison » pour tuer : amour de la patrie, idéologie politique, conviction religieuse ; souvent pour le bien de l'humanité. Avec ce film dit de « science-fiction », Kubrick reprend l’idée classique du voyage initiatique mais transposée dans un contexte moderne, celui du voyage dans l’espace. Ce voyage symbolise la course de l’homme vers la vie et son évolution. Selon lui, « 2001 est une expérience sans mot. Il pénètre l’inconscient par sa portée émotionnelle et philosophique ».
Considéré comme un chef d’œuvre, ce film aborde un grand nombre de thèmes, mais s’inspire principalement de la philosophie de Nietzsche sur les trois étapes de l’évolution de l’humanité. Avant d’aborder cette théorie, nous étudierons dans un premier temps son point de vue sur la société moderne, puis de la dualité omniprésente dans cette œuvre entre l’homme et l’outil.


Il est assez difficile de classer « 2001, l’odyssée de l’espace » dans un style cinématographique sans définir un nouveau genre. En effet, sans tomber dans la satire, Kubrick, tout au long du film, met en exergue les imperfections et dérives de notre société, sur un mode ironique tout en délivrant une pensée philosophique dans un contexte très futuriste. En ce sens, cette œuvre s’apparente dans une certaine mesure à une « comédie surréaliste ».

Chaque étape évolutive de cette fresque humaine exprime le thème récurrent du film, à savoir, le mode de vie cyclique de notre société s’articulant autour de la nourriture et du sommeil. Dès l’introduction on nous montre les primates, d’abord herbivores, devenir carnivores, à leur entrée dans l’évolution humaine. La découverte de l’os comme outil leur permet de manger des animaux, et de trouver cette nourriture avec facilité. La nourriture devient alors routinière et omniprésente. On retrouve, quatre millions d’années plus tard, Floyd manger, dormir et finalement aller aux toilettes, lors de son trajet vers la lune. Kubrick profite de cette scène pour injecter une note d’humour en nous montrant le mode d’emploi et l’utilisation des toilettes dans un espace sans attraction gravitationnelle ! A l’instar de Floyd, dix-huit mois plus tard, Poole et Bowman n’ont d’autres activités que celles de dormir et manger, lors de leur interminable voyage. Le repas final de Bowman avant la « mutation » finale n’en est pas moins anecdotique, et clôture le film comme il a commencé. Le cercle se referme et laisse une vision de la société humaine réduite à sa plus simple expression.
Cependant, Kubrick ne se contente pas de réduire la civilisation humaine à ce cercle. En fait, le réalisateur montre que ce cercle n’existe qu’en situation de rivalité, en général fatale. Les singes se battent contre une autre tribu autour d’un point d’eau pour défendre leur nourriture. Dans la deuxième partie, cette notion de rivalité s’exprime de manière beaucoup plus moderne, par l’omniprésence de la publicité (Bell Telephone Labotories, Inc, Boing Company, Chrysler Corp., Pan American Airlines…). Le réalisateur veut prouver que notre société, aujourd’hui encore, ne s’articule qu’autour de la compétition économique à travers des outils dont usent les hommes. Bowman rentre plus tard en rivalité contre l’ordinateur HAL 9000. Sans réellement critiquer, Kubrick dresse un simple constat du mode de fonctionnement de notre société, essentiellement fondée sur la hiérarchie.
Cette compétition est encore présente, de manière plus subtile, lors de la scène finale. Bowman se retrouve dans une chambre du 18ième siècle au décor type Louix XVI, époque marquée par la révolution française. Kubrick a toujours été fasciné par cette époque (que l’on retrouve notamment dans « Barry Lyndon »), mais cette métaphore permet en une seule image de rappeler cette idée de rivalité lors de la dernière partie du film. En effet, ce siècle est marqué, en France, par la révolution et la société s’en trouve totalement bouleversée. Cette scène marque la « mutation » de Bowman vers une nouvelle vie. Le décor du 18ième siècle symbolise cette transformation : Bowman quitte la société, le régime en vigueur fut renversé et le roi guillotiné. Cette hiérarchie prend une autre forme entre Bowman et l’ordinateur HAL 9000. Le réalisateur parle de « mécanarchie » pour prévenir des méfaits de l’omniprésence grandissante de la technologie.
Dans ce film, le cinéaste montre que cette hiérarchie s’exprime par le pouvoir de la connaissance. Lors de la découverte du monolithe sur la lune, cet aspect est assez frappant et d’un certain côté humoristique. Cette découverte doit restée absolument secrète : les lignes de communication vers la lune sont alors totalement coupées. Floyd dans son discours (« Knowledge is power »), exprime très clairement que c’est le pouvoir de la connaissance : mais pour qu’il y ait « pouvoir » il faut que la « connaissance » ne soit pas divulguée, comme du temps de l’inquisition qui défendait un monde centré sur la terre et luttait contre l’hérésie des Copernic et Galilée, en les contraignant au silence. Cette métaphore se retrouve dans le vocabulaire (« up », « down ») employé par Floyd lorsque celui-ci téléphone à sa famille. Il exprime ses divers déplacements toujours par rapport à la terre, centre du monde.
Par contre, la critique est beaucoup plus vive par la suite, puisque ce culte du secret a pour conséquence la mort de l’équipage du Discovery. HAL, ne pouvant révéler le véritable dessein de la mission, n’a d’autre issue que la mise à mort des hommes armant le vaisseau.
Cette comédie surréaliste ne s’arrête pas à ces simples constats sur la civilisation, mais balaie l’idée de la prétendue supériorité de l’espèce humaine et ses quatre millions d’années d’évolution en 1/24ième de seconde, lorsque l’os jeté par le singe se transforme en une seule image en vaisseau spatial. C’est l’une des métaphores les plus marquantes de l’œuvre. Kubrick crée un paradoxe en plaçant la conception humaine la plus aboutie juste après le premier outil de l’humanité, en niant toute forme de progrès notable depuis l’ère paléontologique. L’homme utilise toujours des outils archaïques, que le cinéaste filme avec finesse : le vaisseau, amenant Floyd sur la lune, symbole du progrès et de l’aboutissement de l’intelligence humaine (d’autant que la sortie du film coïncidait avec le lancement du programme américain Apollo), ne sait que tourner sur lui-même comme le fait une simple roue. Ce vaisseau ne symbolise plus que « l’invention » de l’homme dans ce qu’elle a de plus basique : une roue, un simple os.
Cette idée s’inscrit pleinement dans la théorie de Nietzsche (« Also sprach Zarathustra », 1885) dont s’est fortement inspiré Kubrick pour « 2001, l’odyssée de l’espace ». L’homme est toujours en progrès, il n’est qu’une étape entre l’homme primitif et le « super homme », état final de son évolution.
Le cinéaste donne ainsi une vision acerbe et dérangeante de l’homme, qui cherche toujours son passé auquel il continue d’appartenir. Il dissémine des pointes d’ironie tout au long du film. Par exemple, lorsque Bowman interroge HAL sur son erreur, confirmée par le jumeau terrestre de l’ordinateur : HAL répond en toute impunité que « l’erreur est forcément humaine ».
Toujours sur le ton de la comédie, le réalisateur s’attaque également à un des fondements de notre société, la religion, en réinventant la genèse humaine. A l’ouverture, les hommes primitifs vivent dans un jardin d’Eden, détenant une source de viande inépuisable et salvatrice pour ces êtres primitifs, pourtant herbivores. Mais, avec une posture très religieuse, ils s’approchent de l’arbre, symbolisé par un monolithe, et goûtent aux plaisirs de la viande, jusqu’à tuer pour cela. Cette posture religieuse, telle un rituel, est également adoptée plus tard lorsque Floyd ou Bowman se retrouvent face à ce monolithe.
Le réalisateur s’offre un autre cliché, lorsque le Discovery est à l’approche de Jupiter. L’alignement entre le soleil, la planète et le monolithe forme une croix chrétienne. Cependant, cette métaphore ne s’inspire pas seulement de cette religion. En effet, le monolithe, à la géométrie et aux dimensions parfaites (1 :4 :9, soit les carrés des trois premiers entiers), fait aisément penser à la pierre divine de la Mecque. Cette métaphore marque l’entrée vers la phase finale de l’évolution de l’humanité. Poole ne peut participer à cette conquête de la destinée. En effet, il apparaît comme un hérétique, notamment dans la capsule où il convainc Bowman du disfonctionnement de HAL, de la nécessité de le déconnecter et donc de nier cette supériorité prétendue infaillible. Son hérésie le conduit à la mort.

Stanley Kubrick s’est donc attaché dans son œuvre à aborder tous les traits marquants de notre société, en les caricaturant avec un soin d’orfèvre. Cet aspect donne un ton de comédie surréaliste à ce film. Mais son projet est bien plus ambitieux, car cette œuvre magistrale aborde un thème bien plus complexe et philosophique sur la condition humaine. En effet la dualité entre l’homme et l’outil est au centre de ce voyage initiatique. Le cinéaste s’attache à analyser si l’homme n’est pas devenu l’outil de ses propres outils.

Dès l’ouverture de l’odyssée, le cinéaste donne une image de l’outil très néfaste et primitive. Effectivement, il associe dès les premiers instants l’outil à la mort lorsque les hommes primitifs utilisent l’os comme une arme pour défendre leur centre névralgique, le point d’eau. Cette dualité est récurrente tout au long de l’œuvre, puisque quatre millions d’années plus tard, « l’outil » HAL 9000, summum de l’intelligence artificielle et de l’art humain, tue l’ensemble de l’équipage du Discovery. L’idée est distillée régulièrement et discrètement par des métaphores auxquelles se réfère constamment le réalisateur, comme l’époque sanglante de la révolution française ou de l’inquisition espagnole.
Cependant, la troisième partie du film aborde cet antagonisme de manière beaucoup plus complexe. HAL 9000, aboutissement de la technologie humaine, ne peut plus être considéré comme un simple outil. Ce constat est marqué par la première apparition de Bowman, en reflet sur l’œil numérique de HAL. Cette image annonce le conflit futur entre ces deux personnages.
Lors du trajet vers Jupiter, HAL se comporte de manière plus humaine que Bowman et Poole. L’ordinateur possède l’ensemble des systèmes vitaux sous son contrôle, tandis que Poole et Bowman n’ont qu’un rôle d’instrument. Ce sont eux qui changent la pièce de l’antenne sous les consignes de HAL. Bowman et Poole sont l’ « os » de la machine. HAL, « l’outil » adopte le même comportement que Floyd, « l’homme » : il cache le but de la mission à l’équipage; par cette attitude, il s’approprie le pouvoir par la connaissance non partagée.
L’ordinateur devient le sixième homme de l’équipage. Lorsque l’interlocuteur terrestre s’adresse au Discovery, son regard est fixé vers l’une des caméras de HAL. Le spectateur a donc l’impression qu’il s’adresse directement à l’ordinateur et non aux humains. Bowman et Poole tournent systématiquement la tête vers le regard de HAL lorsqu’ils veulent communiquer avec lui. Le contraste est très fort entre l’indifférence de Poole à la réception d’une carte d’anniversaire et le regard omniprésent et inquisiteur de l’ordinateur. De même, les caméras de HAL donnent un regard très humain à la machine, alors que Bowman a le regard vide, car, dominé par la routine, il sombre dans un état léthargique. En particulier, lorsque HAL interroge Bowman sur les « choses extrêmement étranges » (« extremely odd things ») concernant la mission, il reste indifférent. Le contraste est frappant : L’homme ne possède plus sa curiosité naturelle, tandis que l’ordinateur fait preuve d’observations pointues. Cette scène est le point culminant du film. Plusieurs interprétations peuvent être données à ce dialogue. HAL veut peut-être tester Bowman pour savoir si le secret de la mission était toujours bien gardé et, ainsi, contrôler son pouvoir. Or, juste après il déclare une avarie sur l’antenne, qui se révèle être une erreur, confirmée par le jumeau terrestre de la machine. HAL soutient alors que cela ne peut être qu’une erreur humaine car les ordinateurs sont fiables, éprouvés et surtout ne commettent jamais d’erreur. Mais si « l’erreur est humaine » et que c’est lui qui a fait l’erreur, l’outil devient humain tandis que l’homme régresse dans un comportement léthargique, routinier, machinal. Ce contraste montre une inversion entre le créateur et l’outil, instrument de mort, qui atteint son apogée lorsque, d’un côté HAL tue les trois scientifiques et que de l’autre Bowman déconnecte l’ordinateur.
A l’instar des hommes primitifs qui se servaient de l’outil comme instrument de mort pour leur survie, HAL a acquis, comme tout homme, l’instinct de survie. Lisant sur les lèvres de Poole et Bowman, il découvre leur projet d’attenter à ses jours. La machine adopte alors un comportement humain: il survivra, quitte à tuer tout l’équipage. Cette volonté de survivre est spécifique de l’espèce humaine. C’est elle qui, dès l’aube de l’humanité, a poussé l’homme à commettre ses premiers crimes. C’est elle, aussi, qui pousse Bowman à sortir de sa léthargie, et à affronter l’ordinateur, symbole de sa deuxième « naissance ».
Par ailleurs, d’autres scènes montrent de manière frappante la régression de l’être humain. Les scientifiques n’ont jamais été représentés comme des personnages réels, mais seulement dans un état d’hibernation. Leur mort est montrée par le signal d’alerte très artificiel : « COMPUTER MALFUNCTION -- LIFE FUNCTIONS CRITICAL --- LIFE FUNCTIONS TERMINATED ». L’état vital ne se résume plus qu’à des « fonctions ». De même, le spectateur ne connaît rien du passé de Bowman ou de son environnement familial. A contrario, Floyd téléphone à sa fille, le singe appartient à une tribu et la genèse de HAL est explicitée : sa date et son lieu de naissance, le nom de ses parents et professeurs…
Kubrick fait donc un constat pessimiste de la condition humaine. L’homme invente l’outil pour tuer, se rend esclave de l’outil, puis devient l’outil de l’outil. Donc, depuis l’aube de l’humanité jusqu’à aujourd’hui, l’homme a « progressé » mais n’a toujours pas « évolué », à l’image de l’os qui se métamorphose en vaisseau à la fin de la première partie. Par cette image, le cinéaste nous fait part de son triste constat sur la société actuelle. Toutefois, l’évolution de l’humanité peut prendre une autre tournure.
En effet, Bowman se retrouve bloqué dans une capsule, à l’extérieur du vaisseau Discovery, et sans casque. Il se retrouve donc dans une situation à laquelle l’homme n’a jamais été confronté, sauf l’homme primitif. Ainsi, comme son ancêtre, il doit lutter contre un environnement hostile... Le singe était en proie aux attaques de léopards et des tribus rivales et devait lutter contre la famine. Bowman doit affronter le vide de l’univers et HAL. Les deux protagonistes, l’homme et le singe, ont un même objectif. Tous deux vont être contraints de sortir de leur état léthargique et de se libérer de leurs chaînes. Le singe utilise un os comme outil et arme, et propulse ainsi son existence jusqu’à la lune. Bowman réalise que sa confiance en ses « os » ne l’a amené qu’à la dépendance et l’inertie qui a coûté la vie à son équipage. Une évolution de l’humanité est donc marquée. Il ne s’agit plus d’acquérir des outils mais de s’en séparer. Pour cela Bowman se sépare de son identité terrestre en relâchant Poole, maintenu dans les bras articulés de la capsule, pour parvenir à pénétrer dans le vaisseau. Son entrée est très symbolique car elle ressemble à un accouchement, Bowman prenant la position du fœtus. C’est une naissance, une étape dans l’évolution humaine.
L’homme peut alors déconnecter HAL. Il se sert d’un tournevis comme outil, tandis que l’ordinateur se sert de son langage pour survivre. HAL s’éteignant progressivement, la scène est plus touchante pour le spectateur que la mort impersonnelle des trois scientifiques. HAL est tué, tandis que les hommes en hibernation ont été éteints. Cette scène donne encore beaucoup de traits humains à la machine agonisante (elle entonne un chant comme un enfant). L’inversion entre le créateur et l’outil atteint son climax à cette étape de l’évolution.
Mais Bowman n’a pas pour autant quitter sa condition humaine. Certes il a marqué un pas important vers sa destinée, mais sans effectuer sa renaissance cosmique. Il a dû utiliser un tournevis pour déconnecter HAL. Il est donc toujours tributaire de l’outil. Il ne se libère définitivement de cette dépendance qu’après le repas de la scène finale, lorsque son verre chute et se brise. Bowman se sépare alors symboliquement du dernier « outil » symbolisant son ancienne vie humaine, avant d’entamer une renaissance cosmique sous forme de foetus.

Dans cette œuvre, Kubrick a très fortement axé sa vision de l’humanité sur la dualité entre l’homme et l’outil, pour amener le spectateur à la conclusion que l’homme devait se séparer de cet os qu’il détient depuis quatre millions d’années. Cependant, la scène finale reste assez obscure. Pourquoi Bowman revient-il sur Terre ? Pourquoi un fœtus ? Quel rôle joue le monolithe ?

L’ouverture de « 2001, l’odyssée de l’espace » décrit un lever de soleil sur la planète Terre, avec comme fond musical « Also sprach Zarathustra » du compositeur Richard Strauss (« Ainsi parlait Zarathustra »). Ce poème représente l’homme sage descendant de sa montagne pour prêcher la bonne parole au peuple. Ainsi, Stanley Kubrick vient nous prêcher la bonne parole.
Frederik Nietzsche, dans son livre « Also sprach Zarathustra », duquel s’est inspiré le compositeur, décrit l’idée selon laquelle l’humanité sera surpassée par l’ « übermensch », le super homme. On retrouve ce thème dans de nombreux autres films de Kubrick comme « Dr Strangelove » (« Docteur Folamour », 1963) ou « A clockwork orange » (« Orange mécanique », 1971).
L’oeuvre de Nietzsche semble inspirée et rejoint dans les grandes lignes la théorie darwinienne sur la notion de sélection naturelle. Nietzsche voit la vie comme un combat pour l’existence dans lequel la force est la seule vertu. On retrouve, de même, dans le film de Kubrick, les thèmes de la rivalité et de la nécessité de lutter, parfois avec violence pour évoluer.
Nietzsche décrit l’évolution humaine en trois étapes : l’homme primitif, l’homme moderne et finalement, l’homme supérieur. L’homme n’est qu’un pont, une étape entre le singe et l’homme supérieur. Mais, ce n’est que par la volonté que l’homme moderne peut parvenir au statut d’homme supérieur. Cette idée d’homme primitif se retrouve dans « 2001, l’odyssée de l’espace » à l’aube de l’humanité et dans « Orange mécanique » avec le personnage d’Alex. Grâce au pouvoir et à l’instinct de tuer, l’homme primitif devient chef d’un groupe, mais ne sait où cela le mène : « que va-t-il se passer, hein ? » (« What’s it going to be then, eh ? », Alex dans « Orange mécanique »). Ces scènes montrent avec cynisme que seule la violence peut amener vers l’être supérieur au sens de Nietzsche. Il n’y a pas d’évolution sans « re-volution ».
L’homme moderne est par contre plus réservé et intellectuel mais manque de vitalité, de mordant. Bowman en est le parfait exemple, puisqu’il est dans un état léthargique jusqu’à sa renaissance. Dans « Docteur Folamour », le personnage du président des Etats-Unis caractéristique de l’homme moderne, préfère les protocoles à l’action. Cette idée est aussi développée avec le personnage d’Alex à qui on fait subir un traitement « curatif » visant à abolir ses instincts primitifs (on l’extrait du monde de l’action), ce qui, finalement, le rend malade.
La troisième étape de l’évolution n’est pas atteinte dans « Orange mécanique » puisqu’Alex redevient l’homme primitif qu’il était. Il n’avait pas la volonté de devenir l’homme supérieur. Par contre, dans « 2001, l’odyssée de l’espace » l’état d’homme supérieur est atteint lors de la scène du dernier opus de l’odyssée. On retrouve pourtant Bowman dans un environnement rappelant la révolution française, marquée par la violence. Encore une fois, il n’y a pas d’évolution sans « re-volution ». Mais cette révolution correspond à l’époque de la rédaction des « droits de l’homme » et de la déclaration de l’indépendance des Etats-Unis. Cette période marque un renouveau similaire à la renaissance cosmique de Bowman. Toute son appartenance à la société défile en condensé (il mange et s’allonge sur le lit), mais il quitte ses outils en sortant de sa capsule et en ôtant sa combinaison puis brise maladroitement son dernier outil, le verre. Bowman est prêt pour la dernière étape, il tend humblement le bras devant le monolithe qui apparaît une dernière fois, comme lors d’un rituel religieux.
Bowman est alors représenté comme un enfant (« l’enfant des étoiles »). Cette métaphore s’inspire de celle de Nietzsche lorsqu’il décrit les métamorphoses de l’esprit humain. Lors de la métamorphose finale, Nietzsche dit que l’esprit sera comme un enfant car un enfant est l’innocence, sans passé, un nouveau commencement. « L’enfant des étoiles » symbolise la renaissance de Bowman. Il peut alors revenir sur Terre dans l’image finale, « préparé pour la prochaine étape de l’évolution de l’humanité », selon Kubrick.
C’est l’image finale de l’œuvre où le fœtus se dirige vers notre monde, le voit, le regarde, le perçoit. La dualité entre l’homme et l’outil prend une nouvelle dimension. L’homme est maintenant perception. Bowman, bloqué à l’extérieur du Discovery, ne porte plus de casque: il est en contact avec le monde. A son entrée dans le vaisseau, on n’entend plus que sa respiration : il perçoit enfin son environnement. Lors de sa sortie finale du Discovery, avant de rejoindre la chambre pour sa « mutation » finale, multiples couleurs et paysages surréalistes défilent. Son œil en gros plan : Bowman perçoit, de tous ses sens, le monde.
Parallèlement, le monolithe apparaît à quatre reprises dans l’oeuvre de Kubrick et semble lié à l’évolution humaine, ce qui entre en contradiction avec la philosophie de Nietzsche, selon laquelle, c’est la volonté de l’homme qui doit l’amener vers l’être supérieur.
En réalité, le monolithe joue seulement un rôle de catalyseur. Floyd n’a pas eu besoin du monolithe pour monter la mission vers Jupiter. La technologie était déjà connue des hommes, comme on a pu le voir par l’aspect routinier des vols entre la terre et la lune. Ce n’était qu’un appel vers l’espace pour le dernier pas de l’évolution. De même, Bowman n’a pas eu besoin du monolithe pour se séparer des outils, lors de son combat contre HAL et pour abandonner la société humaine en relâchant Poole. Le monolithe, sur la lune, puis dans l’espace, donne seulement un signal à l’homme qu’il peut franchir un nouveau pas vers sa destinée. Dans le même esprit, le premier monolithe n’a pas fourni l’intelligence aux primates, mais leur a donné une raison pour continuer leur évolution, comme Alex dans « Orange mécanique », prêt à accepter le « traitement » pour guérir et sortir plus rapidement de prison.

A l’époque de la conquête de l’espace, Kubrick a adapté la philosophie complexe de Nietzsche à l’écran. La traduction visuelle de cette théorie a introduit un concept obscur et déroutant : le monolithe à la géométrie parfaite. En fait, le rôle à l’écran du monolithe de Kubrick est de nous guider, de nous montrer le fabuleux potentiel humain.


Cette œuvre de Kubrick doit être considérée comme une vision optimiste de notre destinée, à la différence de son pendant, « Orange mécanique », qui en abordant sensiblement les mêmes thèmes en fournit une vision beaucoup plus dramatique.
« 2001, l’odyssée de l’espace » est considéré comme un film très ambigu, offrant de nombreuses interprétations. Mais, peut-être n’était-ce pas le but recherché. Kubrick se plait à dire que si une idée peut être pensée, alors elle peut être filmée. Toutefois, mettre en images des pensées philosophiques aussi complexes que celles de Nietzsche semblait une gageure. Seul un cinéaste de génie pouvait relever le défi.
Il est certain que, quelque soit la difficulté de l’œuvre, Stanley Kubrick nous a offert un chef d’œuvre envers lequel le septième art sera toujours redevable.
Bobor
 
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2001........................................................

Message » 08 Fév 2003 15:49

20 sur 20.j avais pas tout compris ,maintenant c est plus clair.j aurais bien voulu, l explication a Stanley quand méme.tu es un esprit éclairé.
félicitation. a+
catherine
 
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Message » 08 Fév 2003 16:08

Félicitation pour ton analyse d'un des films les plus complexes qu'il m'ait été donné de voir.
Ce serait sympa de connaître la note et les commentaires que tu vas obtenir.
Olivier Clément
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Message » 08 Fév 2003 16:50

Je dois etre stupide mais je n ai jamais compris ce genre de dissertations...
J ai vraiment l impression qu il est tres presomptueux de decrire avec autant de precision ce que l auteur d un film ou d un tableau ou autre voudrait soi disant exprimer.
Certains auteurs doivent bien rigoler en lisant toutes ces interpretations ;)
nico-
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Message » 08 Fév 2003 17:47

Brillante analyse, mais la fin me laisse toujours aussi perplexe
lasarce
 
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Message » 09 Fév 2003 11:50

Voilà une analyse très intéressante.

Sur le fond, je ne peux faire plus que discuter sur le détail.

Comme nico- l'a fait remarquer, il est dangereux de partir du produit pour déduire les intentions de l'artiste. A moins de considérer que la création échappe à la volonté de son créateur, et recèle en elle-même sa propre signification. L'art réduit au mythe du monstre de Franckestein, en quelque sorte...

Si je commence par cela, c'est qu'il y a quelques petites incohérences dans cette excellente critique, incohérences qui ne doivent qu'à une méconnaissance du déroulement du processus qui a aboutti à cette oeuvre.

Ainsi, je peux difficilement concevoir le choix de la musique de Richard Strauss, l'introduction de Also sprach Zarathoustra, comme le signe d'une volonté de Stanley Kubrick de «prêcher la bonne parole» tel Zoroastre descendant de sa montagne. En effet, je vais peut-être t'apprendre que cette musique n'a servi que de substitut à la partition original que Alex North, si je ne me trompe pas, devait composer pour le film, mais qui n'était pas prête pour le montage. Ce n'est qu'a posteriori que Kubrick à renoncer à la musique de peu d'envergure qu'a écrite North pour conserver les oeuvres classiques que nous connaissons. Comment voir alors dans l'association entre la signification des images et le propos de la musique un message conceptualisé comme tel par Kubrick?

Là où je veux en venir en recadrant un peu l'historique de la genèse du film, ce n'est pas à une remise en cause de la pertinence de ton analyse, mais plutôt à celle de la pertinence de son objet.

Tu comprendras, après ce que je viens d'écrire, que disséquer la matière de ce film tel que tu l'as fait, en l'acceptant comme un pur produit de l'esprit kubrickien, une conception achevée et cohérente de sa pensée, s'est s'engager sur une fausse piste. Car ton axiome de départ n'en est pas un: ta proposition -2001 est une création finie- est réfragable.

Si ce n'est pas une manifestation pure de la pensée de Kubrick que tu as analysée, tu y as introduit des éléments exogènes.

Je ne me hasarderais pas sur le chemin qui consisterait à dire que 2001 devait être le film qu'il est, que, même s'il n'a pas été pensé avec la cohérence que tu as cru y déceler, il ne pouvait que l'être par l'intercession de quelque irréversibilité d'un sens de l'évolution, en quelque sorte. Cela nous mènerais vraiment trop loin!

Ce que je dirais, en revanche, c'est que ton texte ne fait que révéler le hiatus entre l'objet artistique et le sujet qui l'examine, ou, pour le dire autrement en faisant un clin d'oeuil à un grand compatriote de Friedrich Nietzsche, le mur qui se dresse entre l'oeuvre en-soi et l'oeuvre pour-toi, tel que tu l'as perçue et comprise. Ce dont tu nous a parlé n'est rien de plus que ce pour-soi de l'oeuvre, et non sa réalité en-soi. Bien sûr, cela ne retire rien à la validité et à la légitimité de ton analyse, mais cette idée retire lui finalement toute universalité et, en tout cas, toute «vérité». Car la vérité artistique n'existe pas. L'art n'est pas langage. L'art est un faux-semblant. L'art dupe. Sans dupe, il n'est pas d'art. Sinon, les compressions de César ne seraient qu'une ordure. Remarque que pour certains, elles en sont. Mais pour d'autres, c'est de la sculpture. Elles étaient peut-être même bien plus pour leur créateur. Mais comment savoir ce qu'était le pour-soi des compressions de César pour César? En «comprimant», il a réaliser une action qui a créer un objet dont une part lui échappe: la face offerte au regard d'autrui, qui a pour autrui le sens qu'autrui lui donne. L'objet artistique s'interpose entre la volonté créatrice et la raison du sujet qui observe. L'art, c'est une relation d'incommunicabilité, et un processus de révélation de la signification individuelle et personnelle de l'en-soi du monde.

C'est ce processus qui a aboutti à ton analyse de 2001. Ce que tu y as décelé, ce n'est pas ce que le film recèle, encore moins ce que Kubrick a voulu dire. C'est ce que tu as y découvert à par toi, et qui résume ce que tu penses du monde que tu appréhendes.

Finalement, il n'y a pas à comprendre 2001 tel que tu le fais, puisque tu n'as compris que ce que tu penses du monde que tu perçois, et pas ce qu'est l'oeuvre (tu ne te serais pas laissé abuser par l'apprence que Kubrick a lié ses images à la musique que cela n'aurait rien changé à ce que tu penses).

Ceux qui ne comprennent pas ce film peuvent continuer à se torturer l'esprit... :wink:
Scytales
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Message » 09 Fév 2003 19:49

nico- a écrit:Certains auteurs doivent bien rigoler en lisant toutes ces interpretations ;)


Les frères Coen ou encore John Woo se marrent toujours quand ils lisent des interprétations de leur boulot... ;)
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Message » 09 Fév 2003 20:00

et il manque quand même un élément essentiel à tout ça, le génial Arthur C Clarke....
michaelM86
 
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Message » 09 Fév 2003 20:18

Arthur C Clark,astrophysicien de profession.C est quand meme lui qui a ecrit tout ca....!Les outils de la connaissance, ca laisse songeur....Vraiment tres belle dissertation.Felicitation.
pissenlit
 
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Message » 09 Fév 2003 21:02

Chapeau...

Faut quand même oser tenter de disserter sur les films de Kubrick, 2001 en particulier.

C'est plus que casse gueule.

Même si certains points restent discutables, je te dis bravo.

C'est une dissert pour quelle matière / niveau d'étude ?
Rogntudju
 
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Message » 09 Fév 2003 21:41

Bonjour,

A moins de considérer que la création échappe à la volonté de son créateur, et recèle en elle-même sa propre signification


Sur ce sujet il existe un troisième point de vue développé par Michel Tournier dans "Le vol du vampire". En résumé, l'oeuvre échappe à son créateur dès lors qu'elle est diffusée et se charge de l'air du temps, de la personnalité de celui qui y est exposée. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir sa signification propre au moment où elle "s'envole" vers le spectateur.

Cordialement,
Claude.
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Message » 09 Fév 2003 22:07

Très belle dissert. J'ai pris bcp de plaisir à la lire.

Pour répondre à Scytales: ce que tu dis est très juste. Mais il me parait difficile de nier le lien entre les concepts développés par Kubrick dans son film, avec la pensée de Nietzsche. Ce que tu exprimes sur l'interprétation de l'oeuvre (en général) est très juste (elle n'est pas universelle et n'est que notre propre interprétation en correspondance avec notre compréhension du monde), mais sans prétendre à la Vérité (ce qui n'est pas le cas de Bobor je crois), je crois qu'on peut souligner la grande cohérence de l'analyse de Bobor.

Reste que seul Kubrick pourrait le confirmer.

Ced777
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Message » 10 Fév 2003 0:13

Ced777 a écrit:Ce que tu exprimes sur l'interprétation de l'oeuvre (en général) est très juste (elle n'est pas universelle et n'est que notre propre interprétation en correspondance avec notre compréhension du monde), mais sans prétendre à la Vérité (ce qui n'est pas le cas de Bobor je crois), je crois qu'on peut souligner la grande cohérence de l'analyse de Bobor.


Oui, la cohérence interne de l'analyse de Bobor est à citer en exemple.

J'ajouterais à cela que l'on doivent aussi le saluer et lui payer tribut pour avoir contribuer à enrichir ce forum de si belle façon.
Scytales
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Message » 10 Fév 2003 7:17

Je remercie: Bobor, Scytales ,ced777 ,claude couillec de leurs analyses ,quand je lis vos disserts je prends mon pied :wink:

Continuez ,c'est tout bon pour moi !
reivilo76
 
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Message » 10 Fév 2003 11:10

Ced777 a écrit:Très belle dissert. J'ai pris bcp de plaisir à la lire.

Pour répondre à Scytales: ce que tu dis est très juste. Mais il me parait difficile de nier le lien entre les concepts développés par Kubrick dans son film, avec la pensée de Nietzsche. Ce que tu exprimes sur l'interprétation de l'oeuvre (en général) est très juste (elle n'est pas universelle et n'est que notre propre interprétation en correspondance avec notre compréhension du monde), mais sans prétendre à la Vérité (ce qui n'est pas le cas de Bobor je crois), je crois qu'on peut souligner la grande cohérence de l'analyse de Bobor.

Reste que seul Kubrick pourrait le confirmer.

Ced777


Et encore!

Serait-on prêt à accepter ce qu'il a voulu signifier?

Cela me rappelle une anecdote narrée par le regretté Henri Verneuil dans une défunte émission radiodiffusée par France Inter.

John Ford, à l'occasion d'un voyage en France pour se rendre à un festival, avait été interrrogé par un jeune journaliste, fraîchement émoulu d'une grande école. Ce jeune homme croyait avoir discerné dans l'oeuvre du cinéaste une évolution du regard qu'il portait sur les Indiens d'Amérique. Alors que dans ses premiers films -à vrai dire dans la plupart d'entre eux, donc- les Indiens occupaient, pour le dire crûment, la place du "méchant", le traitement différait sensiblement dans ses dernières oeuvres, on l'on constatait une humanisation de ses personnages, comme si Ford avait fait son procès de Valladolid.

Notre jeune journaliste essayait contre vents et marée- c'est-dire contre Ford, qui lui répliquait de plus en plus vertement- de faire admettre cette évolution à son invité, de lui faire dire, au terme d'une très longue envolée, que lui et ses compatriotes avaient commis une faute en rabaissant la culture et jusqu'à la valeur de l'existence de la vie des Indiens, et qu'ils avaient fini par en prendre conscience. Le remord qui s'ensuivit aurait ainsi expliquer le revirement constaté dans les derniers westerns de Ford.

Pas du tout répliquait Ford! Si effectivement le traitement réservé aux Indiens leur était devenu plus favorable dans ses derniers opus, c'était que le marché de ses films s'était étendu à l'Europe, que les Européens n'auraient pas accepté la dimension manichéenne de ses précédents films, et qu'une politique commerciale bien comprise imposait le revirement où le journaliste essayait de déceler une cause morale!

Malgré ces dénégations, l'interrogateur persista dans sa démonstration, et c'est un Ford ulcéré qui finit par lui lancer: «No! No! It's monney!».

Cela mit quasiment un terme à la scéance de questions et, peut-être, éteignit les illusions du jeune homme.
Dernière édition par Scytales le 04 Sep 2003 23:12, édité 1 fois.
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