Le film : Une esthétique, un montage et un rythme qui renvoient à une autre époque du cinéma, un autre temps. Bon sang ça a affreusement vieilli. Et pourtant c'était hier. Compliqué de repasser du format des films actuels à cette manière datée de mettre en image des histoires.
Dire que ça n'a pas pris une ride serait se mettre des peaux de saucisson devant les yeux depuis les premiers plans sur des torchers rajoutés sur la pellicule qui brulent au sommet d'immeuble figurant une ville du futur qu'une voiture en décalcomanie vient traverser. Le summum du trucage de l'époque, manque plus qu'un mat painting et on est complet.
C'est très souvent long et chiant, c'est interminable, dans Blade Runner le temps défile comme dans la vraie vie, c'est le temps de la traque et... et ça fait du bien en fait ! Les lieux visités sont peut nombreux, tout au plus se comptent-ils sur les doigts de la main, les éléments d'exposition assez restreints (ça limite les dégâts sur la datation immédiate du film, notamment à en juger par l'esthétique "avant gardiste" de la voiture du héros, très kitsch
), les tunnels de dialogues pourtant formidablement bien écrit ("c'est une machine pour trouver les replicants ou les lesbiennes ?"
), s'éternisent trop souvent et donnent envie de souffler sur la télécommande pour accéder à la scène d'après (comme le font certains qui zappent d'une scène visuellement splendide à l'autre... c'est une manière de regarder des films qui ne m'a pas encore atteint et je comprends mieux leur enthousiasme devant la narration de ce film d'hier), c'est en fait une façon de construire le cinéma qui nous a un peu glissé des mains aujourd'hui mais elle nous fait entrer dans le film en nous faisant ressentir chaque seconde des secondes qui s'écoulent.
Va falloir s'armer de tous mes souvenirs et de ma patience de jeune cinéphile de l'époque pour tenir bon sans m'endormir et me reconnecter ainsi au discours du film qui, lui en revanche, est brûlant d'actualité. Il nous parle de notre rapport à la technologie, de ces machines à tout faire tellement pratiques et l'éthique, finalement, on s'en fout. En somme le doute qui s'empare de Deckard lorsqu'il « retire » un Replicant de la circulation, ces androïdes tellement parfaits dans leur représentation de l'homme et devenu obsolètes donc remplaçables, me fait penser au sursaut de scrupule que celui qui jette sa appareil ménager encore fonctionnel aura à l'idée qu'il finisse dans une déchetterie à pourrir l'air ambiant de la dégradation de ses composants non naturels.
En somme, une fois retrouvé mes vieux réflexes (ou mes réflexes de vieux) donc, je me replonge donc dans ce niveau de lecture sur les dangers et les promesses, les possibilités certes, mais aussi les dangers de l'intelligence artificielle... le replicant, ce presqu'humain qui fait son office jusqu'au moment ou sa date limite d'utilisation nous le fait remplacer par un autre. Et à la poubelle !
Quelle étonnante résonance avec notre société actuelle qui s'en remet entièrement à la machine. Et pourtant lorsque ce film a été écrit on n'avait ni robot pour faire les tartes tatins et boeuf bourguignon à notre place, ni téléphone « intelligents », ni télévision connectées (ok téléviseur ramène moi du lait pour ce soir), ni frigo relié à internet, les 2 étant très prochainement fusionnés (on pourra ainsi regarder l'édition en 8K de Blade Runner sur Mega HD le prochain format à venir, tout en se servant sa nourriture non spirituelle dans le frigo)...
Drôle de mise en abyme la frénésie technophile qui s'est emparée de la rénovation de ce bout de péloche et qui a alimenté ces pages, ses technologies salvatrices appliquées. A voir à quel point les attentes ont été d'avantage tourné vers la forme plus que sur le fond c'est à croire que ce n'est plus l'homme qui contemple la technologie, c'est la technologie qui contemple l'homme en l'asservissant. Regarder le film sur sa télévision dernier cri sans s'arrêter sur le rôle de cette œuvre majeure comme lanceur d'alerte quant à la place que la machine pourrait prendre sur nous, lanceur d'alerte qu'il était à une époque ou l'ordinateur c'était une cassette avec un jeu symbolisant 3 pixels d'une grenouille traversant une autoroute transposée à notre époque (on a toujours une grenouille qui traverse l'autoroute, avec plus de pixels, et on a jamais été aussi dépendant de cette grenouille), en somme c'est un peu se faire regarder par sa télévision et c'est étonnant finalement.
Un film sur les machines qui gagnent la guerre, c'est ironique, 40 ans après on en est toujours pas arrivé à l'ère des réplicants (même si les progrès sur la robotisation avance de manière fabuleuse, le corps humain n'a pas fini de livrer tous ses secrets de fabrication), et pourtant les machines ont déjà gagné la guerre sur l'humain tant elle nous fournissent pléthores de remplaçants dans tous les domaines.
Ce film d'hier nous en dit beaucoup en fait sur notre monde d'aujourd'hui.
J'ai hâte de découvrir les images remises au gout du jour dans la version 2049, je suivrais Ryan Gossling dans tous ses choix, il m'a rarement déçu. Ça permettra surtout de mettre à jour la projection du futur et d'être sur une imagerie plus actuelle s'il en est, espérons qu'ils n'ont pas re-signé avec celui qui a oeuvré pour Scott « son contrat de « futur supervisor » (cité au générique). Navré pour le Ridley Scott de 1982 qui pensait que les punks seraient visibles partout dans la rue au 21ème siècle, ils ont disparu avec les technologies datées de leur époque...
L'image :Rien de particulier à en dire si ce n'est qu'on parle d'un film de 1982, étonnant transfert numérique notamment sur les plans nocturnes de Los Angeles qu'on nous présente au début... C'est en 2019, dans tout juste 2 ans si j'en crois mon calendrier, on n'est pas encore arrivés à ce niveau de désolation mais on devrait pouvoir accélérer un peu le processus en changeant de télé tous les 6 mois pour avoir plus de pixels dessus. (bien amicalement, je ne suis pas rancunier
).
A noter que l'équipe qui a contribué à la restauration miraculeuse du film se voit gratifiée d'être intégralement, et à une place privilégiée, nommée au générique, ils sont plus nombreux que les seuls acteurs qui ont participé au film !
Il y a pléthore de films sortis après, voir récemment, qui ne peuvent se targuer d'afficher une image d'une telle qualité, c'est tout simplement prodigieux et pour le coup mon DVD est complètement largué.
Le passage au Bluray offre véritablement un gap perceptible et flagrant qui va au delà du quelque pixels de plus qu'offre son nouveau cousin qui veut sortir des rangs, une édition qui fait une encoche sérieuse à la possibilité que des nouveaux formats vidéos puissent s'imposer tant l'écart entre le passage de cette édition en met déjà plein la vue sur un matériel adapté.
Le son :A de très rares occasions on peut bénéficier de l'ouverture d'un champ sonore diffus, le reste du temps et même si les basses très marquées du début (les coups de butoirs à l'apparition des titres) et l'ouverture musicale sur tous les canaux laissent augurer d'un mixage généreux, au final c'est un tunnel de sons étriqués qui sortent de l'enceinte centrale, mention spéciale aux effets sonores datés, la qualité des échantillons utilisés peut être, qui transforme une déflagration d'arme à feu en une explosion d'aigus. On n'est plus habitué à des sons avec aussi peu de reliefs dans le cinéma contemporain. J'ai du mal à la croire qu'ils les aient entièrement re-synthétisé et inséré des sons mieux échantillonnés pour l'édition actuelle mais qui sait de quoi ils sont capables...
La musique de Vangelis donne l'impression qu'il aimait bien tester les possibilités de son Bontempi, elle entre en résonnance avec l'âge du film et finit d'enfoncer le clou (dans la main), on est bien en 1980... disons que c'est pas du Alexandre Desplats mais on s'en contentera. Pas besoin de 6 canaux pour en tirer la quintescence mais puisqu'ils sont mis à contribution on peut se repaitre de basses qui appuient la partition lorsque c'est nécessaire.
Top Démo :Le générique de fin, le thème du film, la musique de Vangelis qui est la pire chose mais aussi la meilleure chose qui soit arrivée à ce film. Quand je ferme les yeux je me revois découvrant les possibilités du support CD sur la première platine à être entré dans notre foyer il y a plus de 30 ans, effet Madeleine de Proust assuré, en déposant dans la poste la galette digitale de la compilation Synthétiseurs...
Ce poste CD (le must à l'époque
) a fini à la décharge, en bonne place à côté des réplicants qui viendront le rejoindre dans plusieurs strates de déchets.
Ce générique de fin, son retentissement brutal sur les images de fin, l'ouverture au noir du générique a véritablement amorcé le processus de réflexion que j'ai entamé après le film.
A noter un hors série de Mad Movies dédié au film Blade Runner est sorti le mois dernier en kiosque, peut être encore trouvable en invendus (un prix un poil dans la sphère haute pour de la littérature presse donc peut être encore dispo...), très instructif et riche d'illustrations et commentaires.
Et je recommande la lecture
de ce blog intelligent (et oui, ça existe aussi) sur les possibilités d'interprétations qu'offrent le film, une page qui cessera d'exister un jour lorsque le disque dur qui la contient aura été "retiré" de la circulation, un discours pas toujours vérifiable et incontestable (les commentaires qui suivent et les réponses de l'auteur sont tout aussi riches de pistes à explorer) mais très intéressant pour ceux qui veulent poursuivre la réflexion autour du film, à lire avant le jour où ce texte disparaitra et tombera dans l'oubli, comme les larmes dans la pluie... !
Matériel de visionnage : Téléviseur 70" Sharp Quattron. Système sonore 5.1 JmLab Electra des années 80. Salon télé dédié en sous-sol.
Version DVD : Denon DV-3910
Version Bluray : Oppo BD-93 sans Darbee