Un Nouvel Espoir ou comment la BO est devenue la force vive de la musique classique

Un Nouvel Espoir ou comment la BO est devenue la force vive de la musique classique

nouvel espoir
Par Cylon
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Les débats liés à la mort du « classique » , et à son avenir ces dernières années ont apporté, notamment, deux pistes de réflexion. L’une concernant le répertoire, l’autre concernant l’éducation. C’est à la première que je m’intéresse ici, et qu’en tant que béophile, tente d’y apporter une pierre. Ou un gravier, au moins.

A l’heure où les formations orchestrales en occident sont malmenées voire menacées par les crises et les différentes politiques culturelles, le succès et la popularité d’événements liés aux bandes originales, comme la tournée du Seigneur des Anneaux ou le concert des jeux vidéo au Royal Albert Hall, attirent l’attention, à la vue de leur sold-out et de l’inhabituel public qu’ils ont déplacé. Les orchestres traditionnels qui consacrent toujours ponctuellement une part de leur temps à la musique populaire, le font sans la joie et l’entrain de certaines sphères culturelles, inquiètes (et c’est en un sens leur rôle) d’une perte de prestige, percevant cet usage comme une régression.

 

I. Un peu d’histoire
II. Des transversalités permanentes
avec John Williams, Danny Elfman, John Barry, James Horner, Philip Glass, Max Richter et Gustavo Dudamel
III. Médias sans frontières
avec Michael Giacchino, Bear McCreary, Olivier Derivière,Hans Zimmer, Joe Hisaishi et Christopher Tin
IV. Enfin bref…

I. Un peu d’histoire

L’histoire de la musique classique et de la musique de film n’est pas l’objet de ce billet, qui tente de s’adresser tant aux novices qu’aux amateurs, mais il en faut un minimum pour contextualiser ce qui va suivre.

Au commencement…

La musique occidentale savante s’est toujours nourrie de la musique populaire, dès les traditions profanes médiévales. Le concept de « musique classique » étant lui-même relativement récent, né au milieu du XIXème siècle par la volonté de compositeurs et académiciens romantiques de classifier et intellectualiser leur art, à l’image de Liszt et son musée musical, ou le développement de la notion de capital esthétique (le répertoire, sacralisé par la création (première) de l’œuvre et la différenciation compositeur / interprète).

Cette volonté de mémoire et de perfectionnement trouva parfaitement écho dans les écoles nationales de la fin de siècle, mais le folklore (de Brahms et Dvořák à Sibelius ou Albéniz), la mémoire profonde (par exemple l’utilisation de la musique militaire et judaïque chez Mahler, mêlant origine et souvenirs d’enfance), les influences populaires en général (le jazz chez Ravel et évidemment Gershwin), et enfin les apports des ethnomusicologues comme Bartók ou Kodály, ne cessèrent pas pour autant d’irriguer cette musique « supérieure » d’influences extérieures omniprésentes.

Dieu.
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Après les théâtres et les églises, la musique se met au service du cinéma.


Au début du XXème siècle, la naissance du cinéma créa un nouveau besoin, de la même ampleur que l’opéra ou la musique liturgique quelques siècles auparavant, et l’arrivée de l’enregistrement permit d’atteindre une conservation et une diffusion durable et donc, une recherche d’excellence.

Alors que le classique explorait les frontières de la tonalité – et au-delà -, la musique hollywoodienne se démarqua quelque peu de l’avant-garde, cherchant plutôt une cohérence mélodique et thématique forte, souvent nécessaire à l’écran (mais pas toujours), et pourvue d’une influence plus importante du jazz et de la musique patriotique américaine (comme John Philip Sousa). Mais ce qui peut être vu par certains comme un manque d’audace ou d’innovation n’enlève rien au talent de ces compositeurs ou à la qualité de leurs œuvres, et encore moins à leur filiation légitime.

De formation classique et héritiers du post-romantisme européen, les compositeurs du Golden Age issus d’horizons très divers comptent dans leur rang Dimitri Tiomkin (apportant de Saint Pétersbourg ce qu’il a appris d’Alexandre Glazounov), Max Steiner (élève de Brahms et Mahler), Alfred Newman ou Franz Waxman. Quant à Bernard Herrmann, ami de Charles Ives et Edward Elgar, influencé tant par Berlioz que Ravel ou Debussy, il illustre parfaitement cette génération, qui comptait aussi sur des noms plus éloignés de l’écran – mais pas pour autant absents – comme Leonard Bernstein ou Aaron Copland, incarnant cette précieuse polyvalence et cette multiplicité culturelle.

Bernard Herrmann, Franz Waxman et Dimitri Tiomkin

Au silver age, leurs  enfants spirituels, tels qu’Elmer Bernstein (le protégé d’Aaron Copland), Jerry Goldsmith ou Leonard Rosenman, portèrent un flambeau pérenne dans ses procédés, achevèrent d’en affirmer les codes, même si le péril des modes pouvait faire craindre une fin de règne.

En Europe de l’Ouest, le genre prospère tout autant, notamment en Italie, marqué par la popularité d’Ennio Morricone et Nino Rota (qui s’est illustré aussi sur la scène « classique » avec ses 11 opéras, 9 concertos et 4 symphonies).

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Dans le bloc d’en face, l’Union soviétique a ses propres géants, tout aussi polyvalents, comme Dmitri Chostakovitch qui a également écrit plus d’une trentaine de bandes originales dont La Chute de Berlin et La Nouvelle Babylone, ou Sergueï Prokofiev, avec Ivan le terrible et Alexandre Nevski. L’impact phénoménal sur le paysage musical contemporain de ces deux noms se retrouve évidemment sur les compositeurs de musique de film, qu’ils ont autant influencés que leurs homologues de l’âge d’or hollywoodien.

 



  

II. Des transversalités permanentes

avec John Williams, Danny Elfman, John Barry, Philip Glass, Max Richter et Gustavo Dudamel.

 

John Williams

Élève de Mario Castelnuovo-Tedesco, autant bercé par le classique que le jazz (il en joua), il est inutile de revenir sur sa démentielle carrière pour le cinéma, tant elle est ancrée dans la culture populaire, et fréquemment intégrée aux programmes d’orchestres du monde entier, de la Liste de Schindler à Jurassic Park, de Star Wars à Indiana Jones, de Superman à Harry Potter.

Celui-qui-allait-devenir-le-plus-grand-compositeur-américain-du-siècle

Mais il est aussi un excellent chef d’orchestre, archétype même de ce que la démocratisation intelligente peut être : directeur de 1980 à 1995 du Boston Pops Orchestra, il enregistra des dizaines d’œuvres, dans le but de perpétuer la tradition de son ensemble fondé en 1885 « d’apporter la musique classique à une audience plus large ». En y soignant tant l’image de Broadway que de son goût pour la musique militaire…

…et il ne se priva pas de jouer des compositeurs moins connus, comme Reinhold Glière.

Cet exemple de Glière n’est pas un hasard. Dans les Cosaques Zaporogues, un des motifs du compositeur russe (extrait 1, pendant les 10 premières secondes, le reste est là pour le plaisir) semble avoir eu une influence, sur une des pièces Williams les plus populaires (extrait 2) –  pas obligatoirement consciente.

Là est bien une des grandes forces de Williams : son esprit de synthèse, pour la création d’une identité musicale forte qui aura marqué et modifié durablement le cours de l’histoire de la musique. A la source du revival de l’âge d’or hollywoodien, il a su non seulement se montrer l’héritier le plus fascinant de ses pairs américains, de Herrmann à Newman, mais il a su flirter régulièrement avec l’atonalité, et se servir de nombreuses références européennes, tels que Chostakovitch, Sibelius, Stravinsky, Prokofiev ou Saint-Saëns, tout en s’entourant d’instrumentistes d’exception (tels qu’Itzhak Perlman, Yo-Yo Ma ou Isaac Stern).

La popularité de son répertoire et son aura de chef d’orchestre – il est invité à diriger tant le London Symphony Orchestra que le New York Philharmonic – en sont presque venus à occulter ses œuvres concertantes (pour flûte, violon, hautbois…), ses poèmes symphoniques et suites, ses pièces lyriques et ses opus composés pour des occasions spécifiques (dont un quatuor), des jeux olympiques à l’investiture de Barack Obama.

Un dernier extrait, sa Devil’s Dance, interprétée par Gil Shaham et Jonathan Feldman au piano, dans cette compilation éponyme éditée par Deutsche Grammophon.

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Tout ça pour en venir où ? Au fait que les compositeurs « de musique de film » qui depuis les origines se sont illustrés en dehors de l’écran; que ce soit dans des adaptations de leurs œuvres pour le concert qu’avec des compositions originales, l’ont fait le plus souvent dans une indifférence générale… Les exemples ne manquent pas, en voici 2 pour la route : Danny Elfman et sa brillante Serenada Schizophrana,

 

et feu John Barry, avec son poème symphonique « The Beyondness of Things » et sa suite « Eternal Echoes ».

 

 

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James Horner

Le cas de James Horner est utile à cet article à plusieurs titres. D’une part car il composa il y a quelques mois un double concerto pour violon et violoncelle, dont la création fut exécutée par le Liverpool Philharmonic, et qui sera édité prochainement par Mercury Classics… En plus de la sortie il y a quelques jours de son score pour « Le Dernier Loup » (ci-dessous, 2 extraits).

D’autre part car le compositeur néo-romantique, adulé pour l’émotion et la poésie qui se dégagent de ses scores, et la qualité de la construction de ses thèmes et de sa narration, est souvent – mais gentiment – brocardé pour ses « plagiats ». Deux illustrations rapides avec Willow versus Schumann,

Music Hosting – Audio Hosting – James Horner – Willow (Theme)

et Willow versus Prokofiev.

Upload Music – Upload Audio – James Horner – Willow (Escap…
Play Music – Upload Audio – Sergueï Prokofiev – Roméo …

Sergueï Rachmaninov, Aram Khatchatourian et Richard Strauss sont des sources fréquemment utilisées par le compositeur, en plus de celles de ses contemporains (Goldsmith, Glass), de l’influence légère à la réutilisation thématique plus visible. Mais ce faisant, il contribue à former inconsciemment l’oreille d’un auditoire pas spécialement mélomane (exemple de Willow), en sus évidemment d’apporter beaucoup avec sa propre personnalité, élaborant sa carrière comme un perfectionnement continu de ce qu’il assimile et crée, avec un talent fou. Il est ainsi « réputé » pour ses « auto-plagiats », comme ici, avec Titanic et Stalingrad…

Free Music – Audio Hosting – James Horner – Stalingrad (T…

…ou là, l’évolution d’un thème de Balto (1995) puis Stalingrad (2001) et Or Noir (2011),


Listen Music – Audio Hosting – James Horner – Stalingrad (B…Listen Music Files – Play Audio – James Horner – Black Gold

tout autant que pour l’utilisation de son « danger motif » de 4 notes (B/C/C#/C, dans toutes les tonalités, audible dans le 1er extrait de Stalingrad) présent dans nombre de ses partitions… et de celles de compositeurs depuis Wagner. Ces pratiques permettent non seulement de faire facilement un pont entre Horner et ses inspirations, mais aussi d’identifier ses habitudes, rappelant les pastiches des périodes baroques et classiques, tout comme l’usage d’un motif tel que BACH et les lettres qui composent son nom ou Chostakovitch avec les 4 notes issues du sien (DSCH).

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Et la communication entre la musique savante et la musique de film fonctionne évidemment dans les deux sens.

Philip Glass, le pilier de la musique répétitive, l’étudiant de Nadia Boulanger, l’initié au dodécaphonisme, fit couler tant d’encre depuis les années 70 que je ne vais pas m’étendre sur ses 9 symphonies, ses opéras (il en est le compositeur vivant le plus joué au monde), et son vaste répertoire de musique instrumentale et concertante. Juste rappeler à l’honorable assemblée qu’entre ses liens (avec David Bowie et Brian Eno), sa réceptivité à la musique du monde (indienne), et le fait que tout un pan de son fonds de commerce soit de la musique de film – une cinquantaine d’œuvres -, il est un compositeur au parcours d’un hétéroclisme unique, qui a su être populaire autant qu’il a pu acquérir la reconnaissance de ses contemporains, et exercer une influence qui ira bien au-delà des acteurs du minimalisme. Minimalisme, terme dont la paternité revient d’ailleurs à Michael Nyman, musicologue et… compositeur de bandes originales (La leçon de piano, Bienvenue à Gattaca…).

Un exemple frappant de succès classique européen récent, l’allemand post-minimaliste Max Richter, étudiant de Luciano Berio, influencé tant par Arvo Pärt que Iannis Xenakis. Deutsche Grammophon en a fait un élément majeur de sa communication, avec les différentes sorties de sa réécriture des 4 saisons, dans la série recomposed.

Il est devenu la figure de proue d’une musique contemporaine à la fois fidèle à son legs intellectuel, avisée dans son utilisation de l’électronique, et équilibrée au niveau de son rayonnement dans les différentes disciplines (aussi bien en solo qu’en concert ou au cinéma, qui domine son répertoire). Cette polyvalence et cette maîtrise de l’image en fait un bien bel exemple d’évolution positive. En extrait, une pièce du recueil « Memory House ».

Un dernier nom pour clore cette partie : Gustavo Dudamel. Chef incontournable et figure emblématique d’El Sistema dont il est issu (pédagogie en plein essor au niveau mondial, et souvent perçue comme un espoir autant social que culturel au bénéfice de la jeunesse), il a composé sa première bande-originale en 2014, et reçu auprès des béophiles un accueil plus qu’enthousiaste.

III. Médias sans frontières

avec Michael Giacchino, Bear McCreary, Olivier Derivière, Christopher Tin, Hans Zimmer et Joe Hisaishi

Le cinéma, mais pas seulement

Les jeux vidéo, aujourd’hui première industrie culturelle dans le monde, ont su capter grâce à leur diversité de sujets traités, de directions artistiques, de styles et de genres, un nombre considérable de talents créatifs dans les domaines qu’ils touchent, dont la musique. Et l’évolution fulgurante du premier art du 21ème siècle aura apporté à une génération de compositeurs de nouvelles méthodes et de nouvelles opportunités. Il en va de même pour les enjeux et l’impact des séries TV, l’autre médium qui a connu en près d’une décennie une vraie révolution, et se trouve toujours en plein âge d’or.

Michael Giacchino est un parfait exemple de la pulvérisation de certaines barrières. Débutant dans l’industrie vidéoludique, de The Lost World à son monumental travail sur la franchise Medal of Honor,

il s’est révélé à un public plus large en entrant dans l’univers télévisuel grâce à sa complicité avec J. J. Abrams,

 

à en devenir aujourd’hui un des héritiers de la résurgence du golden age à la Williams, intégrant tout aussi bien les codes minimalistes que l’expression directe du post-romantisme européen. La sortie toute fraîche de Jupiter Ascending, édité sous forme de double album chez Sony Classical, et unanimement salué par les critiques, mettra certainement tout le monde d’accord. De par l’ampleur et la qualité de la partition, mais aussi par sa genèse : il composa et enregistra près de 80 minutes de musique avant même qu’une seule image du film ne soit tournée, dont un poème symphonique en 4 mouvements. Des méthodes de travail plus courantes il y a quelques décennies, qui rappellent comment un artiste libère son plein potentiel lorsqu’il jouit d’une liberté d’écriture totale (ici, 2 extraits).



Bear McCreary, élève d’Elmer Bernstein, élabora de ses 25 à 30 ans un monument acclamé, Battlestar Galactica, qui définit de nouveaux standards pour ce médium. En 6 disques, il alla au bout de sa démarche créatrice, explorant ses nombreux thèmes lors de longues pièces admirablement construites, exposant ses influences, utilisant des instruments anciens et exotiques dont il est toujours friand (biwa, shamisen, yaylı tambur, bansurî, harmonium, vielle à roue, zurna…).

Le compositeur, particulièrement marqué par des genres plus éloignés de son bagage classique (dont le rock progressif), est aussi un exemple de communication et d’accessibilité, que ce soit avec son public et les musiciens qui reproduisent son œuvre, ou par le biais de son site, Bearmccreary.com cité par la presse comme un modèle du genre, inspirant, véritable journal d’un « Composer for Film, Television and Games » tel qu’il se décrit.

 

Olivier Derivière, Michael Giacchino et Bear McCreary accompagné de Gustavo Dudamel,dont il dirigea avec le philharmonique de Los Angeles la « Suite from Battlestar Galactica ».

Olivier Derivière (cocorico) est aussi une des icônes de cette nouvelle génération. Après ses études au conservatoire de Nice, suivies par un passage à Berklee et au Boston Symphony Orchestra, il cultive autant un goût du travail instrumental qu’une passion pour l’électronique, alliant Chostakovitch et Aphex Twin (qu’il cite lui-même). Ses visions du rôle que doit jouer la musique intégrée au gameplay, de l’avenir de l’orchestre, des différences fondamentales avec les autres disciplines et de l’implication dans le développement, ne lui ont pas empêché d’écrire une musique qui existe pour elle-même : c’est avec cette audace que la bande originale primée de « Remember me » cristallise cet effort, où le Philharmonia Orchestra se retrouve, comment dire, décomposé.

(Et tant qu’à rester dans le cocorico, cette parenthèse est dédiée à Alexandre Desplat pour son Oscar tant mérité. Voilà.)

Alexandre Desplat et Christopher Tin.

Un dernier exemple de cross-over, Christopher Tin. Le compositeur américain, qui vit sa carrière propulsée par le jeu Civilization IV, et dont le thème principal, « Baba Yetu », raisonne dans les chorales du monde entier, a pu se consacrer, avec 2 grammy awards en poche, à 2 cycles symphoniques de chants du monde : « Calling all Dawns » (2012) et « The Drop That Contained the Sea » (2014) où swahili, bulgare, mongole, xhosa, grec ancien, polonais, mandarin, turc, hébreu, sanskrit, vieux norrois, cohabitent dans une touchante communion. En-dessous, un extrait de la pièce en japonais, qui comme tous les extraits présentés ici, ne donne qu’un aperçu minime, loin de représenter ce que ces compositeurs accomplissent.

 

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Hans Zimmer

Certainement un des plus influents compositeurs du siècle, Hans Zimmer aura vu son style tellement repris, copié et banalisé jusqu’à l’excès, qu’il en a macrophagé toute une partie de la création musicale actuelle. Des critiques se permettent aussi de souligner son côté manager et chef d’entreprise, avec Media Ventures puis Remote Control, et sa domination sur son « écurie », alors qu’il a contribué à faire émerger et prospérer les immenses talents issus de celle-ci (John Powell, Harry Gregson-Williams, Klaus Badelt, Lorne Balfe, Steve Jablonsky…), sans en écraser leur personnalité musicale – mais plutôt en les stimulant.

Cette omniprésence et son image commerciale, et le fait qu’il assume la transversalité des genres populaires, s’ajoutent à diverses raisons qui arguent pour une faiblesse de sa légitimité classique : parce qu’il est autodidacte, et qu’il vient d’un univers plus éloigné. Parce que 2 semaines de leçons de piano furent sa seule formation formelle. Parce que son style pompier, son génie mélodique (bien meilleur qu’orchestrateur) et sa recherche déclarée de « simplification » permettent la caricature facile. Parce qu’il lutte depuis 30 ans pour « combler le fossé entre musique classique et électronique« . Parce qu’il considère que le mot « jouer », dans tous les sens du terme, est « l’ingrédient magique de la musique » – cette philosophie ludique ne plaide pas en faveur de son intellectualisation…

Pourtant, le compositeur allemand, qui cite Bach, Beethoven et Brahms comme ses admirations majeures, a tant œuvré pour démocratiser la musique symphonique et la culture classique, et lutté pour « garder vivante la musique orchestrale » comme il le dit… Et c’est justement sa popularité auprès des plus jeunes et sa présence enthousiaste dans l’industrie des jeux vidéo (« ils sont les films du futur ») qui en fait sa force, permettant une diffusion large, et suscite un optimisme pour la génération qui évolue dans son sillage et son inspiration.Après plus de 30 ans de carrière, et grâce à la liberté de travail qu’il a acquise notamment sur certaines collaborations (avec Christopher Nolan, par exemple), il n’a cessé de se renouveler, d’expérimenter, de conceptualiser… A l’image d’Interstellar, une des pépites de 2014, où l’orgue Harrison & Harrison de 1926 de l’église du Temple de Londres, joué par Roger Sayer (le directeur musical de l’église), devient l’élément principal de la partition et la signature sonore du film, adjoint de 34 instruments à cordes, 24 bois, et 4 pianos. Ici, 2 extraits (Stay et Mountains).
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Dans le monde

La musique classique n’a pas seulement réussi son évolution et sa mutation au travers des différents médias, elle a su s’adapter à la mondialisation fulgurante du siècle passé, sans pour autant bêtement s’uniformiser. De l’Amérique latine à l’Asie, son exportation, toujours par le biais de la formation au système occidental (voir ce qu’a pu accomplir à son contact Tan Dun, par exemple), a permis d’apporter un nouveau public, qui se compte potentiellement en milliards, mais aussi une nouvelle richesse en y incorporant les spécificités et traditions locales.

Un exemple évident, Joe Hisaishi, qui agrégea à la culture nippone les courants classiques occidentaux, du romantisme à la musique expérimentale et au minimalisme (et c’est bien souvent le cas des autres compositeurs de sa génération tels que Kenji Kawai, Masamichi Amano, Ryuichi Sakamoto, ou Kow Otani), et des influences populaires majeures (dont le jazz).

Et son œuvre pour Hayao Miyazaki ou Takeshi Kitano, si elle est la partie la plus visible et la plus acclamée de sa carrière, ne doit pas faire oublier son implication de chef d’orchestre et pianiste, notamment avec « sa » formation issue du New Japan Philharmonic, et ses différents ensembles de chambre, ni le développement de son écriture hors de l’écran (Études, Encore, Piano stories…). En illustration, le monumental concert au Budokan, et une pièce pour piano et 9 violoncelles.

IV. Enfin bref…

Il y a 10 ans, alors jeune vendeur classique à la FNAC, le catalogue Diapason qui me servait de référence ne mentionnait pas les compositeurs dont le cœur de carrière était le cinéma, y compris leurs œuvres « classiques » éditées par des labels classiques… à l’inverse de son équivalent britannique, qui listait celles de John Williams entre Kurt Weill et Hugo Wolf. Plus généralement, la gestion de la musique classique dans l’hexagone tient à sa spécificité culturelle depuis 40 ans encore plus que ses voisins, et les ouvertures, tant dans le répertoire que la pédagogie, se font à pas feutrés. Logiquement, ce qui permet d’un côté notre rayonnement, est aussi une des causes d’un difficile changement des mœurs… Même si à côté, pour rester sur les livres, « La Musique Classique » chez Gründ, entre autres, met dès ses premières pages du Howard Shore en avant.

Ringardisée par les impostures à la André Rieu, ou par des compilations du style « Je n’aime pas le classique mais ça j’aime bien » (rien que le titre….) qui n’ont eu pour seule conséquence que de l’enfermer dans une image dépassée et moribonde, « le classique » est pourtant au-delà de çà. Et en trouvant un équilibre entre un élitisme trop protectionniste et un populisme démagogique, il y a une marge, une vision plus large, avec le nivellement par le haut en ligne de mire. La musique classique d’aujourd’hui, polymorphe et globalisée, n’est pas seulement dans le sérialisme de Boulez et les labos de l’IRCAM, elle est omniprésente, et le cinéma en est un des véhicules les plus puissants, potentielle source d’une démocratisation encore plus grande.

Conjugué aux nouveaux moyens de communication, aux évolutions technologiques, et doublé de l’abolition des frontières (souvent psychologiques) avec les autres médias, le répertoire classique tient une piste pour l’avenir… A condition que ces directions soient prises de manière volontaire et assumée, y compris par ses agents conservateurs, qui, à force de laisser des distances pour s’abriter des effets de mode (à raison), risquent d’en venir à rater le sens de l’histoire (tout comme Chostakovitch et Sibelius furent laissés trop longtemps en dehors du cercle).

C’est pour le Noël de mes 8 ans que je commandai la K7 de Jurassic Park (John Williams), après une révélation en salle. Et Stargate (David Arnold) fut le premier CD que j’achetai l’année suivante. Je n’ai aucun doute sur le fait que les notions de « formation inconsciente de l’oreille » (l’exemple d’Horner), d’universalité (l’exemple de Williams) et de continuité (l’héritage et la légitimité, évoqués dans les autres parties), m’ont permis de chercher et d’avaler adolescent les symphonies de Mahler, Brahms ou de Chostak’, et d’en tomber amoureux.

Et je suis tout aussi persuadé que si les orchestres – que ce soit les petites formations d’harmonie, ou les gros ensembles à rayonnement régional – programmaient en saison plus souvent qu’ils ne le font déjà, et surtout avec fierté, des concerts dédiés à ce vaste répertoire – y compris le plus récent -, cela résoudrait bien des problèmes de fréquentation et de transmission de culture… Sans pour autant tomber dans un jeunisme qui serait caricatural ou une régression intellectuelle néfaste.

Ici, Gustavo Dudamel est entouré de John Williams (qu’il qualifie dans ce domaine de « mentor » et « pure inspiration ») et d’Itzhak Perlman, à l’occasion du grand concert d’ouverture de la saison 2014/2015 du Los Angeles Philharmonic, dont le programme était entièrement consacré aux œuvres de Williams. Et le jeune directeur musical s’emploie autant à la question du répertoire que celle de l’éducation (notamment avec le YOLA)… La bande originale est aujourd’hui bien loin de son cliché de cousine bâtarde de la musique classique ou de « light classical », tout comme le cinéma n’est plus une attraction d’illusionnistes de foire. Cette industrie désormais centenaire et pérenne est autant un vivier de jeunes compositeurs que de futurs auditeurs.

Et en guise d’épilogue, un court montage de la « Symphonie des deux rives » de 2014 (pour avoir un son correct, l’intégrale est ici). Sur scène, le philharmonique de Strasbourg, dirigé par Marko Letonja. En programme, notamment du Williams (3 fois), Ravel, Márquez et Bernstein (Leonard) avec Richard Galliano en guest-star… Et si ce type d’initiative populaire ne permet pas encore, hélas, de se traduire par un remplissage des salles de concert classique en saison, nul doute que ce public multi-générationnel peut vouloir accéder, avec les bons leviers, à cette catégorie de culture.

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