Depuis un bon moment déjà, j'ai en projet de ressortir ma platine vinyle des cartons pour poursuivre la copie sur PC de mes 33 et 45 tours. Parce que les cassettes audio, à la longue, c'est fatigant à copier : il faut aligner la tête de lecture et contrôler la vitesse de défilement par rapport à un étalon à chaque fois, quand il ne faut pas sortir les bobines pour les faire tourner dans un boîtier avec moins de pleurage / scintillement.
Avec le vinyle il suffit juste de centrer manuellement le disque après avoir éventuellement défoncé le trou central, qui est systématiquement percé à côté du milieu, et après l'enregistrement, il n'y a plus qu'à interpoler un par un tous les craquements pour les faire disparaître... du gâteau

Mais je trouvais il y a quelques années que mon diamant avait un son un peu distordu. Comme chaque enregistrement est définitif (je ne compte plus ressortir le disque par la suite), il allait me falloir réparer cela. J'ai commencé par réunir le matériel dont je dispose :
1 platine Technics SL-3100
1 platine Luxman PD-282
1 Cellule Stanton Trackmaster avec deux diamants interchangeables : sphérique et elliptique.
1 cellule Grado ZC+
Les deux platines datent des années 1970, bras en S, entraînement direct. Aucune idée de la gamme de prix. La finition de la Luxman est nettement plus luxueuse, avec le dessus en métal brossé et les côtés en bois. Mais je ne pense pas qu'à l'époque, mes parents aient acheté quelque chose de très cher.
Les cellules sont très différentes. La Grado est une bas de gamme datant de 1989 à peu près. La Stanton est de la fin des années 90. Cellule monobloc pour DJ (fixation directe au bras) avec 2 à 5 grammes de force d'appui. Elle est néanmoins plus onéreuse que la Grado : 1200 francs, si mes souvenirs sont bons (et comme ça, de tête, 1400 avec diamant elliptique au lieu de sphérique). Les deux sont MM.
Je teste donc toutes les combinaisons sur un disque que je sais avoir une gravure parfaitement propre : Behind the Eye compilation - Energy 52 - Cafe del Mar, en prenant soin d'enregistrer le résultat sur PC.
D'emblée, quelque chose cloche à mes oreilles : l'aigu n'est pas propre. Il y a une certaine différence entre les deux platines : la Grado semble marcher moins bien avec la Technics. L'inverse pour la Stanton, mais la différence est moindre. Mais dans tous les cas, l'aigu est "sale", et ce avec les deux diamants de la Stanton, qui n'offrent pas une grande différence sonore.
Pourtant, les cellules n'ont pas servi depuis 10 ans et j'ai nettoyé les diamants juste avant le test. Un peu déstabilisé, je laisse la Stanton sur la Technics, et commence par un disque qu'il me tardait de réécouter.
Catastrophe : l'aigu n'est plus "sale", mais complètement distordu ! Je tente de baisser le force d'appui à 2 grammes seulement. Cataclysme : le diamant n'est plus tenu dans le sillon. Le grave est totalement écrété.
Je décide donc de commencer par racheter une cellule neuve. J'aime le son des Stanton, mais je rencontre une première difficulté : la cellule Stanton ayant remplacé la Trackmaster EL est la Groovemaster, et elle ne se vend que par paire. Impossible de l'acheter à l'unité !
Après avoir contacté le groupe Stanton, j'ai confirmation qu'on peut sans problème adapter un diamant de Groovemaster sur une Trackmaster v3, disponible à l'unité, elle, mais seulement avec diamant sphérique. Je commence donc par commander une Trackmaster V3, pour voir. Si cela me convient, j'upgraderai ensuite avec le diamant elliptique.
Deuxième difficulté : le revendeur sur Lyon (Corama) m'indique que la commande est annulée : Stanton ne fabrique plus de cellules !
Direction le magasin de hifi (Musikit). Une bonne surprise, il est bien fourni en cellules hifi. Vu mes platines, il me conseille de m'orienter sur Grado, car selon lui, leur compliance est bien adaptée aux vieux bras japonais en S qui sont lourds. Mais il me conseille de ne pas dépasser la Grado Gold, car avec de tels bras, cela n'apportera rien de monter plus haut en gamme. J'avais un bon souvenir de la Grado ZC+, donc j'achète la Grado Gold. Je ressors les deux platines et recommence les essais.
Bingo : l'aigu est propre. Le disque de Redeye, illisible avec la Stanton, fonctionne parfaitement. Je confirme donc que les cellules vieillissent, même non utilisées.
Le vendeur à Musikit m'a indiqué que ce sont les suspensions qui maintiennent le stylet qui se durcissent, et que l'on conseille de changer le corps de la cellule tous les 10 à 15 ans.
Une petite déception, tout de même : la Grado Gold a l'aigu très en avant, et cela me gêne un peu. Je décide donc de faire des analyses spectrales comparées, pour voir si je n'affabule pas, et même, si je ne pourrais pas estimer sa courbe de réponse et me trouver une petite égalisation pour retirer de l'aigu.
Il y a quelques années de cela, j'avais numérisé des extraits, avec la Stanton Trackmaster, que je possédais à la fois sur CD et vinyle. Je les avais d'ailleurs proposés en aveugle sur les forums. J'ai donc repris exactement les mêmes disques. J'ai retiré de la liste ceux dont les masters étaient différents, et ceux qui présentaient des défauts marqués (gravure ratée, 45 tours 7 pouces...), et conservé quatre couples ou le vinyle et le CD sont en principe assez proches (voir plus bas).
Je disposais déjà d'enregistrements réalisés avec la Stanton du temps où elle marchait bien, ainsi que des extraits correspondants issus du CD rippé. Il ne me restait plus qu'à faire de même avec la Grado Gold et à comparer les spectres.
Pour chaque couple, j'ai tracé les trois spectres de l'extrait dans son ensemble : celui du CD (rippé directement sur le PC), celui obtenu avec la cellule Stanton, et celui obtenu avec la cellule Grado. Les deux étaient montées sur la platine Technics. Le système d'acquisition a une courbe de réponse, mesurée à part, plate.
Enfin, j'ai superposé les spectres dans un logiciel de retouche photo afin de faire apparaître les écarts entre vinyle et CD pour chaque cellule. Ainsi, j'ai une sorte de courbe de réponse de la cellule, mais conditionnée à la neutralité supposée du vinyle et du CD choisis. Une courbe de réponse de l'ensemble platine-cellule-prépré, en fait, mais seule la cellule a un effet significatif.
Tous les résultats sont réunis ici : http://3141592.pio2001.online.fr/pictur ... tanton.zip
Verticalement, les graphes ont une résolution visible de 1 dB. On peut facilement identifier les paliers correspondant en regardant les données voisines, et donc "compter les décibels".
Horizontalement, l'échelle s'arrête à 16 kHz, car je n'ai malheureusement plus les originaux pour la Stanton et les CD, seulement les fichiers compressés en Musepack (codec lossy) et tronqués au-dessus de 16 kHz.
Le premier constat est qu'une grande tendance, toujours la même, se dessine pour chaque cellule : les écarts sont semblables quel que soit le disque utilisé, à une exception près. Cette exception correspond à la fin d'une face où est enregistré un extrait avec une grande dynamique dans les hautes fréquences.
Voici un exemple représentatif des quatre extraits dessinant la tendance générale :


Et voici l'exception :


Ce dernier extrait montre une chute exceptionnelle dans l'aigu par rapport à ce qui se trouve sur le CD. Environ -8 dB. Il est intéressant de noter que les graphes affichés ci-dessus proviennent du même disque ! Le premier correspond au second morceau de la face A, et le deuxième au dernier morceau de la face B.
Il y a deux explications possibles.
La chute de vitesse linéaire à la fin de la face a peut-être conduit à une chute de la bande passante. Cependant, l'examen des autres fichiers, issus de positions diverses sur des 33 et 45 tours 30 cm, montre un résultat constant, au lieu d'une progression avec une chute des hautes fréquences qui serait plus ou moins marquée en fonction de la vitesse linéaire.
Ce qui conduit à une deuxième hypothèse : les hautes fréquences auraient été volontairement réduites à la gravure du vinyle afin d'éviter de provoquer de la distorsion en fin de face. D'ailleurs, à l'écoute le résultat est tout à fait correct. On n'a pas l'impression que le signal a été dégradé.
Ce cas de figure mis à part, l'examen des autres spectres montre une excellente corrélation entre écoutes et mesures. On retrouve sur les graphes l'excès de hautes fréquences de la Grado, qui passe en moyenne de -2.5 dB à 5000 Hz à +2.5 dB à 16000 Hz par rapport au CD.
La Stanton a la même tendance, mais en moins marqué.
Pour le medium-grave, les deux cellules ont la même tendance par rapport au CD : plus de grave et moins de médium, ce qui correspond également à l'écoute.
L'utilisation des mesures est très utile pour déterminer la répartition d'une égalisation à appliquer en fonction de la fréquence. A l'oreille, on peut facilement déterminer l'amplitude de la correction, mais pas la fréquence à laquelle commencer à corriger, ni à quelle rythme augmenter la correction, au fur et à mesure que la fréquence augmente.
Après avoir ainsi caractérisé ma nouvelle cellule, j'ai voulu conclure par un test en double aveugle entre les deux platines. La cellule Grado distord en effet nettement plus sur la Technics que sur la Luxman.
La différence est audible sur les fichiers enregistrés, ce qui facilite la tâche. Pour préparer le test, je commence par aligner séparément le niveau des canaux gauche et droit sur les enregistrements.
Puis, je me pose la question de la vitesse de défilement : une infime différence entre les deux, qui ne serait pas préjudiciable à la qualité sonore, ne risque-t-elle pas de trahir les échantillons écoutés ? Je mesure alors la durée exacte séparant deux points de repère très éloignés, je divise l'une par l'autre et je convertis le résultat en intervalle musical. Je sais en effet qu'une différence de 1/20e de ton est parfaitement audible pour moi. 1/50e de ton quasi inaudible. Et 1/100e de ton mon record en ABX, au prix d'une écoute bien particulière et que je serais incapable de reproduire sur un extrait musical.
La différence entre les extraits est de 1/50e de ton. Je décide de conserver les échantillons tels quels, une telle différence étant probablement inaudible pour moi sur ce genre de signal, et, de surcroît, du même ordre de grandeur que la dégradation que pourrait causer une correction de vitesse en numérique.
Je rencontre ensuite une petite difficulté : la Luxman a plus de pleurage que la Technics. La faute à ses boutons de réglage de vitesse qui ne fonctionnent plus comme il faut et n'arrêtent pas de perdre le contact.
Il m'a fallu isoler un passage très court sur lequel la vitesse de la Luxman était stable.
J'ai pu alors commencer les essais en aveugle. Et là, impossible de trouver le moindre iota de poil de mouche de différence !
Je me suis demandé si je ne m'étais pas trompé de fichier. Non, la distorsion m'est apparue en écoutant ces mêmes fichiers. Elle portait sur la position stéréo des hautes fréquences. Bien distincte sur l'un des quatre fichiers (Technics Grado ZC, Technics Stanton, Luxman Grado ZC, et Luxman Stanton).
Elle était tellement nette que je me demande si je n'ai pas fait une fausse manip quelque part, et supprimé le fichier original, qui aurait pu être une prise avec la Stanton réglée à 2 grammes au lieu de 5, par exemple.
En tout cas, à aujourd'hui, pour moi, la seule différence nette entre les deux platines est le pleurage.
Matériel utilisé :
Prépré intégré à l'ampli Arcam A85
ADC intégré à la platine DAT Sony DTC 55ES
Carte son Marian Marc 2 pour l'acquisition bit-exact par liaison S/Pdif avec la DAT.
Ecoute : même matériel en sens inverse.
Casque Sennheiser HD600 sur la prise casque de l'Arcam.
Disques utilisés :
The Legendary Pink Dots - The Maria Dimension. vinyle et CD sortis simultanément sur le même label (PIAS), sur le même marché (Europe). De toute évidence, les masters sont identiques, et d'ailleurs, c'est le couple sur lequel la différence vinyle / CD est la plus petite.
Extrait "Somewhere" : vitesse linéaire 42 cm/s
Extrait "Evolution" : vitesse linéaire 26 cm/s
Depeche Mode - Music for the Masses. Vinyle distribué par Mute records en Angleterre (une seule référence au catalogue depuis la sortie du LP en 1987, commençant par STUMM). CD français produit par Virgin (3e édition, par "Virgin Labels", après les éditions par Vogue et Virgin tout court). Album non remasterisé (les premiers remasters, calamiteux, ont eu lieu en 1998, et ce CD date d'environ 1993).
Extrait "Strangelove" : vitesse linéaire 36 cm/s
Cocteau Twins - Echoes in a Shallow Bay. Maxi-45 tours original contre CD réédité, tous deux distribués en Angleterre par 4AD. Le CD porte une référence commençant par GAD, qui indique normalement une remasterisation, mais je crois me souvenir que d'après les fans, les reprises de maxi n'ont pas été remasterisées. Seuls les albums l'ont été. Bref, il n'est pas sûr que les masters soient strictement identiques.
Extrait "Great" : vitesse linéaire 57 cm/s
Xymox - Twist of Shadows. Vinyle et CD Polygram datant tous deux de la sortie de l'album.
Extrait "Evelyn" : vitesse linéaire 49 cm/s
Les résultats détaillés de l'ancienne comparaison en aveugle, avec les commentaires des forumeurs, et des résultats ABX : http://forum.hardware.fr/hfr/VideoSon/H ... 7812_1.htm