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INLAND EMPIRE de David Lynch

Message » 07 Fév 2007 20:00

Le moins que l'on puisse dire à la vision de INLAND EMPIRE c'est que la fracture entre les pro-lynch et les anti-lynch va se creuser encore davantage. Car Lost Highway et Mulholland Drive n'étaient que des amuse-gueules en comparaison du trip que s'est offert Lynch avec ce nouveau long-métrage. A l'entrée du cinéma, on aimerait y voir écrit les mots de Dante : "Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance" ou être accueilli par le break on through des Doors.

De quoi parle INLAND EMPIRE ? Pour faire vite et simple : une actrice (jouée par Laura Dern) obtient le premier rôle dans un film qui est en fait un remake d'un autre film qui n'a jamais été achevé et dont les deux comédiens principaux ont été assassinés. A partir de là, ça s'agite dans le lynchland : en vrac, des types parlant polonais cherche un "accès", une sitcom avec des personnages à tête de lapin se joue devant nos yeux, une inquiétante voisine fait des prédictions non moins inquiétantes, un choeur antique de prostituées donne dans la comédie musicale, des portes s'ouvrent, se ferment, des lumières s'allument et s'éteignent, des couloirs n'en finissent pas. Et au milieu de tout ça, la psyché d'une actrice à cerveau ouvert.

Là où Lynch fait fort, complètement libéré par la DV, c'est qu'il ne se contente plus de doubler les figures comme dans Lost Highway ou Mulholland Drive, il les multiplie à l'infini comme autant de reflets dans un miroir. Quand Mulholland Drive se retournait et revenait facilement à l'endroit, INLAND EMPIRE se démultiplie pour filer dans toutes les directions ; Lynch avance, ne regarde pas derrière lui, ni ne revient sur ses pas. Car la grande force de INLAND EMPIRE, c'est d'abolir toute idée de lieu : on ne sait jamais vraiment où se situe l'action, ni géographiquement ni psychologiquement (même si l'opposition intérieur/extérieur reste toujours aussi présente chez Lynch). Le film ressemble à une succession de tableaux labyrinthiques, beaux, bizarres et grotesques (c'est de loin le film le plus "drôle" de Lynch) sans lien apparent entre eux. Chaque scène constitue un déclic comme une série de lampes qui s'allumeraient les unes à la suite des autres, dans un ordre précis et exclusif. Lynch dope son film aux signes : ampoules, lampes, miroirs, écrans, brûlures de cigarette, portes et embrasures, fenêtres et rideaux ; une maison de poupée minuscule à l'extérieur et gigantesque, torve, alambiquée et cauchemardesque à l'intérieur.

INLAND EMPIRE est un film aussi exigeant sur la forme que sur le fond : une DV crasse et granuleuse qui épouse les fantasmes retors de(s) l'héroïne(s), haine, sexe, amour, meurtre, gloire... La caméra bouge, s'approche aussi près des ténèbres que de la lumière, du sombre que du lumineux, pour arriver à la même conclusion : d'aussi près on n'y voit rien. Si INLAND EMPIRE parvient à faire sens, ce n'est qu'une fois contemplé tous ses tableaux, avec un peu de distance, le film continuant de se jouer longtemps dans notre cerveau.

Alors que le cinéma s'aseptise dangereusement, cadenassé par les producteurs et les projections test, réduit au rang de sympathique divertissement, Lynch ose un film codifié d'une indécente liberté, qui prend le risque de perdre ses spectateurs en route et de ne jamais revenir les chercher. Les autres seront déjà loin, tout au fond du terrier...
Un spectateur interrogeait : "Pourquoi y a des lapins ???". On ne peut plus rien faire pour lui.
sopor
 
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Message » 07 Fév 2007 20:08

Bon sincèrement j'ai adoré et plustôt compris "Mullholand drive".

J'ai un peu l'impression que là, trop c'est trop....

J'ai peur que celà me donne mal de tête, même sans DLP!
Indieke
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Message » 08 Fév 2007 10:36

Jolie critique sopor, ca donne envie d'aller le voir! :P
Dawid
 
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Message » 08 Fév 2007 11:52

Dawid a écrit:Jolie critique sopor, ca donne envie d'aller le voir! :P


Sopor... ifique. :mdr:
tupeutla
 
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Message » 08 Fév 2007 12:49

tu ressors tes classiques tupeutla, sûrement un hommage à feu Bézu :roll:
sopor
 
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Message » 08 Fév 2007 15:35

même moi j'ai pas osé la faire :lol:
Dawid
 
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Message » 09 Fév 2007 19:40

sopor a écrit:Un spectateur interrogeait : "Pourquoi y a des lapins ???". On ne peut plus rien faire pour lui.


:mdr: (qu'il aille voir le lapin-garou...) :mdr:
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Message » 09 Fév 2007 20:49

d'ailleurs personne n'a posé la question aux créateurs de wallace & gromitt du pourquoi du comment de la présence de lapins (et garou de surcroit) dans leur film :roll:
sopor
 
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Message » 13 Fév 2007 14:34

sopor a écrit:Le moins que l'on puisse dire à la vision de INLAND EMPIRE c'est que la fracture entre les pro-lynch et les anti-lynch va se creuser encore davantage. Car Lost Highway et Mulholland Drive n'étaient que des amuse-gueules en comparaison du trip que s'est offert Lynch avec ce nouveau long-métrage. A l'entrée du cinéma, on aimerait y voir écrit les mots de Dante : "Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance" ou être accueilli par le break on through des Doors.


Même si "Lost Highway" et "Mulholland drive" étaient pour la majorité des spectateurs des films déjà très bizarres, il ne faut pas oublier que Lynch a depuis toujours fait ce type de cinéma. Et même c'était encore plus bizarre à ces débuts avec ce second (et extraordinaire !... dans tous les sens du terme) film qu'était "Eraserhead" (1976) !
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=183.html

D'après l'interview que j'ai lu récemment de Lynch, l'utilisation de la DV pour "Inland empire" (on est toujours dans l'introspection !) semble bien lui avoir redonné cet élan qu'il avait eu à ses débuts avec cet "Eraserhead" que les adeptes du cinéaste considère comme son chef d'oeuvre.

En tout cas, ce qui est sûr, c'est que Lynch, déjà très isolé dans le milieu du cinéma, va s'isoler encore davantage avec son dernier film. Mais comme tu l'as déjà signalé Sopor, à l'heure où l'on assiste à un désespérant formatage du cinéma, cet expérience artistique ne manque pas de courage - ou de folie - et s'apparenterait presque à une forme de résistance !

Même si, loin s'en faut, Lynch n'est pas l'unique représentant d'un cinéma "autre" ou "décalé", le cinéma expérimental vivant cette situation depuis toujours... Lynch est seulement l'un des rares cinéastes différents à toucher un large public de par sa notoriété, d'autant qu'il est très apprécié du public français,... sans doute davantage qu'outre atlantique.

Fred
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Message » 14 Fév 2007 0:55

INLAND EMPIRE est à rapprocher d'Eraserhead principalement pour la façon dont les deux films ont été crées et fabriqués ; lynch a passé 5 ans à tourner Eraserhead, le tournage ayant très souvent été interrompu pour des raisons financières, sans autre projet à côté ; et 3 ans à tourner INLAND EMPIRE, pas en continu bien sûr, laura dern ayant même eu le temps d'accoucher. Pendant ces périodes, lynch a vécu dans ces mondes, il a pu les habiter sans être rattrapé par l'urgence avec laquelle on fait les films aujourd'hui. dans le très beau livre d'entretiens accordés par lynch à chris rodley, le cinéaste déclare : "tout va tellement vite quand on fait un film aujourd'hui qu'on n'est pas capable de donner assez au monde - lui donner ce qu'il mérite. Il exige qu'on y habite un peu, il a tellement à offrir et on va si vite. c'est tellement triste." pour lynch ces 5 ans passés à faire Eraserhead sont comme un âge d'or, une période de liberté créatrice totale, il déchantera bien vite quand il s'attellera à Dune, son gros raté, et se promettra de ne plus jamais cédé le final cut. sur INLAND EMPIRE, il a retrouvé cette liberté du début, facilitée par la souplesse de l'utilisation de la DV qui lui permet de tourner 40 min en continu, pour un coût et une logistique bien moindres.

Mais dans ses thèmes, INLAND EMPIRE se rapproche davantage de Mulholland Drive (ce que concède lynch lui-même - il parle même de films jumeaux), là où il rejoint Eraserhead, c'est dans la radicalité du geste artistique : ce sont deux films exigeants, inconfortables et difficiles. Eraserhead est vraiment un film à part, je ne trouve pas d'ailleurs que ce soit son chef d'oeuvre, imparfait mais vraiment marquant.
sopor
 
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Message » 19 Fév 2007 15:29

Je l'ai vu hier soir et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est déroutant et jouissif. On est malmené, balloté dans les travers de la psyché de Laura Dern qui nous renvoit à nos propres peurs et nos propres pulsions. A mon sens, jamais un réalisateur n'était allé aussi loin dans l'exploration de la psyché féminine depuis le Persona de Bergman. C'est une expérience à vivre. C'est un voyage de 3h et bon voyage à ceux qui vont aler le (re)voir...
Nick Cave
 
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Message » 19 Fév 2007 18:00

J'ai hâte :D
chonum
 
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Message » 20 Fév 2007 11:11

En tout cas, on peut dire que le film est très controversé...

Voilà ce que j'avais mis en réponse dans un autre forum, ou les principaux défauts selon l'avis général étaie,t "on ne comprends pas l'histoire"et "Lynch fait du Lynch pour faire du Lynch" :

Et si l'intérêt du film n'était pas le scénario ?
Si c'était plutôt la réaction des spectateurs, qui croient comprendre, mais qui ne comprennent pas.
Qui croient saisir, mais ne saisissent nullement.

Si l'intérêt du film était le questionnement qu'il sucite, avec des images fortes, des scènes étranges, la façon de filmer (ou de ne pas filmer), les dialogues déroutants et les énigmes verbales. Dès qu'on croit prendre pieds, c'est pour mieux tomber dans le gouffre.

Il est clair que c'est un Lynch qui regarde du Lynch. Les premiers mots (la question du temps, la demande de la porte d'accès) nous mettent déjà dans l'ambiance : Lynch écrit un film pratiquement onaniste. Onaniste et inquiétant, comme les méandres du conscient et de l'inconscient. Car il s'agit là d'un film agoissant.

Ce film nous pose la question : Qu'est-ce qu'un film ? (a noter la mise en abime déjà effectué dans Mulholland Drive)... La question reste ouverte

Après, je n'ai pas dit que Inland empire était le meilleur film, ni même que je l'aimais. Mais voilà une oeuvre en soi qui est intéressante.
...
grifield
 
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Message » 05 Nov 2007 12:58

vu ce WE.

j'avais pris ce DVD quand il est sorti mais j'attendais d'avoir 3h tranquille avec l'esprit parfaitement ouvert à ce film énigmatique.
Même si je n'avais rien lu sur ce film avant de le visioner et surtout pas sur ce forum(j'avais choisi de le prendre juste sur le nom: David Lynch), je savais que l'expérience Mulholland Drive était déjà une épreuve quand je l'avais vu, j'imginais donc qu'avec un titre aussi Lynch, jallais en prendre plein la tête.

et bien , on n'est pas déçu !
Après un 1er nov à visionner Mala Noche, Elephant et Paranoid Park, j'étais déjà bien conditionné pour attaquer le monument.
Mais rien ne prépare assez au choc "Inland".

Tout y passe: superbe, esthétique, laid, mal filmé, superbe cadrage, une histoire cohérente, des morceaux de film sans lien, ...
Pendant qu'on visionne on a largement le temps de se poser des questions:
Qu'est ce que c'est ce truc ?
Pourquoi je regarde ça ?
Superbe ce contrast on dirait que c'est fait à dessein, mais ... l'est-ce vraiment ?
c'est un film ou un dessin animé ?
tient !! On boucle !!
Ha enfin, on comprend 9h45 ! Heuuuu .... non y a bien 9h45 mais JE comprends rien !
Superbe la guitare électrique, ça faisait longtemps que la bande son était VIDE, pourquoi ?

etc etc etc ...

mais 3h de questions sans queue ni tête c'est trop long, donc après un temps (pour moi genre 1h30, 2h) il ne reste que 2 solutions:
soit on arrete tout et on va prendre une cigarette avec un verre de coca pour passer à l'activité suivante.
Soit on vide le cerveau, on se laisse faire, on ne s'oriente plus, on ne cherche rien, juste s'imprégner de ce tableau vivant.

J'ai choisi la seconde possibilté: mais le film est sur la fin, il ne reste "que" 50 min ... c'est bien insuffisant car c'est là qu'on voit le film, sans chercher, sans s'interroger, sans interroger le film, juste en se laissant guider, l'esprit, les oreilles et les yeux ouverts.
Sans rien comprendre pour autant, le film se change en sensation, il devient matière, il interragit avec notre corps via nos sens, il est comme une pate à modeler qui a son odeur de pate à modeler, comme un chanson de jazz qui a sa couleur jazz.

je n'ai plus qu'une envie: revoir ce film depuis le début. Car il est très clair que je n'avais pas pendant les 2 premières heures la bonne "technique" pour aborder cette montagne, je n'ai donc pas gravi les paliers qui m'étaient proposé, je suis passé à coté, sans les voir. Parcqu'il ne faut pas les voir en les cherchant, il faut les ressentir, juste en ouvrant l'esprit et en se laissant GUIDER !

Mais voilà, Lynch est-il un BON guide de Haute Montagne ?

Pour moi: OUI !


à suivre, dans un mois, après un second visionage...
WhyHey
 
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Message » 06 Nov 2007 17:31

je plussoie sur cet excellent billet de whyhey. j'adore :P des arguments, des paradoxes, de la beauté, de la laideur. du cinéma, de l'art, quoi.
le début du film est volontairement déceptif, on avance à tatons, on marche dans le noir, puis dans la dernière heure tout s'éclaire.
comme d'être amoureux, on se pose la question puis on ne se la pose plus du tout.
viva lynch, même pour ta tour en carton pâte / papier mâché, je te suis 8)
sopor
 
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