» 17 Mar 2011 16:30
Bonjour,
Suite à votre message sur l’adagio dit d’Albinoni, voici quelques éléments.
Ce célèbre adagio pour orgue et cordes en sol mineur, souvent présenté comme une œuvre de musique baroque composée par Tomaso Albononi, est en fait une œuvre écrite et publiée en 1958 par Rémo Giazotto aux éditions Ricordi en Italie. Selon cette maison d’édition, Giazzoto se serait basé sur le fragment d’un mouvement lent d’une sonate en trio d’Albinoni pour composer cette œuvre qui est aujourd’hui universellement connue. Ce fragment d’Albinoni aurait comporté la ligne de basse du mouvement en question et une amorce de la mélodie sur 6 mesures. Le fragment aurait été retrouvé par Giazzotto, musicologue de son état, dans les ruines de la bibliothèque de Dresde en 1945 alors qu’il effectuait des recherches sur Albinoni.
Voilà pour les faits rapportés.
Pour répondre à votre question, plusieurs éléments :
- D’abord la présentation trop souvent faite de cette œuvre sur les pochettes de disque : Adagio de T. Albinoni, Arrangement R. Giazotto, est évidemment abusive puisque l’œuvre a bien été composée par Giazotto et non par Albinoni, ce que précise sans ambigüité la maison Ricordi, mais en indiquant toutefois que l’adagio est basé sur le fragment d’une œuvre antérieure d’Albinoni.
- Ainsi, la discussion sur cet adagio ne porte pas sur sa paternité, Giazotto en est le compositeur, ce qui n’a jamais été contesté par personne (et de ce fait, cette œuvre n’est pas encore dans le domaine public), mais de savoir si Giazotto a utilisé ou non le fragment d’une œuvre antérieure d’Albinoni pour écrire son célèbre adagio.
Sur cette question difficile, 2 points de vue s’affrontent sans apporter des preuves définitives :
1) Giazotto et la maison Ricordi auraient inventé l’histoire du fragment pour une raison purement commerciale permettant de donner un statut baroque et une notoriété à cette œuvre en y ajoutant la main d’Albinoni. En effet, bien que brillant musicologue en Italie, Giazotto était totalement inconnue à l’extérieur de ce pays et même peu connu en dehors de certains cercles musicaux en Italie. Autre élément, la bibliothèque de Dresde aurait nié avoir possédé l’œuvre ayant servi de base à cet adagio.
2) A l’opposé, certains pensent que l’hypothèse précédente a été construite pour alimenter la légende de cet adagio qui a connu depuis sa publication un succès universel sans précédent dans toute l’histoire de la musique. Leurs arguments se fondent sur le fait que le fragment en question retrouvé par Giazotto n’était qu’un simple brouillon incomplet, mélangé à d’autres notes et que de ce fait, la bibliothèque en question pouvait fort bien ne l’avoir jamais recensé dans le catalogue des œuvres d’Albinoni qu’elle possédait. Autre point troublant avancé ici, il est très étonnant que si Giazotto est strictement le seul compositeur de cet adagio, pourquoi alors ce dernier aurait-il nié jusqu’à sa mort (en 1998) l’évidence en prétendant le contraire comme il l’a fait, alors qu’il n’avait plus rien à perdre ou à gagner. Enfin, un autre point qui est peut-être le plus troublant. Giazotto, s’il a publié plusieurs ouvrages savants sur la musique baroque ou des musiciens comme Albinoni, n’est pas connu (ou reconnu) comme compositeur car il n’a laissé aucune œuvre musicale derrière lui à part cet adagio. On peut alors se demander par quel miracle et quel génie, Giazotto, même brillant musicologue et spécialiste du baroque, partant de rien aurait atteint du premier et seul coup le sublime et l’universel dans le domaine de la composition musicale. Ce fait serait sans précédent dans toute l’histoire de ma musique. Aux orties, les Bach, Händel, Mozart et autre Beethoven ou Chopin qui ont sué sang et eau depuis leur enfance pour arriver à nous léguer de grands chefs d’œuvre. Et donc beaucoup ici pense que Giazotto s’est bien inspiré et appuyé sur un fragment ou peut-être plusieurs de la main d’Albinoni pour écrire son adagio, d’où le terme de pastiche si souvent employé pour désigner cette œuvre.
En conclusion :
Même si je penche fortement pour la 2ème hypothèse qui me parait être la plus vraisemblable et de loin, mon sentiment est qu’il faut rester très prudent avant d’avancer ici telle ou telle affirmation. Il est d’ailleurs peu probable qu’un jour nous sachions l’exacte vérité sur la genèse de cet adagio et l’importance réelle du rôle d’Albinoni dans sa création. Le fragment en question n’aurait jamais été montré ou publié. Giazotto, sans doute l’un des plus grands spécialistes d’Albinoni, aurait-il eu en main grâce à ses recherches des partitions ou autres fragments d’Albinoni jamais révélés et qui auraient pu le servir à écrire cet adagio ? Le mystère demeure. Giazotto, personnage fort discret, a sans doute emporté à jamais son secret avec lui dans la tombe.
Il nous reste de toute façon une œuvre intemporelle, exceptionnelle et attachante dont le succès reste sans précédent depuis sa publication : une des œuvres et peut-être même l’œuvre qui, de toute l’histoire de la musique, est à ce jour la plus enregistrée sur disque, arrangée, réorchestrée, interprétée dans tous les styles (chansons, jazz, blues, pop, rock, techno et autres remix), mais qui recèle un incroyable mystère ...
Très cordialement,
Thierry
Organiste dans le Val de Marne