Ce que je trouve étonnant dans ta position John : c'est qu'elle est nettement plus univoque que tu ne le dis.
Tu écris très souvent sur ce forum que Furtwängler est plus grand que tous les autres dans Beethoven... et tu rejette systématiquement tous les baroqueux et 99 % des interprètes dans ces oeuvres.
Nous sommes quelques-uns à prôner une attitude plus ouverte et défendons l'idée que ce chef ne peut représenter la vérité de ses oeuvres qui connaissent de nombreuses interprétations plus justes que tu ne l'affirmes.
Dans le domaine politique, tu es de ceux qui rejettent toute idée d'un comportement qui peut être tenu pour flou de la part de chef. Or, l'attitude de ce chef, changeante au cours des années, est l'objet d'études, de documentaires, à lui seul consacré ou à d'autres, de livres. Ce qui, a tout le moins, indique qu'il pose problème...
Tu écris que ce documentaire d'Arte est vain. L'écrirais-tu si ce documentaire était un plaidoyer pro Furt ? Le fait que ce documentaire soit allemand n'est pas inintéressant : ils ont le courage de se pencher sur leur histoire et sur les liens de la culture et de la politique. Nous pourrions du reste en prendre de la graine.
Tu proposes d'autres sujets de documentaires : oui, mais bon quelqu'un a voulu faire un docu sur Furtwängler...
Pourquoi, par exemple dire, que le musicologue du documentaire est tendancieux ? Parce qu'il dit le comportement flou, indécis, changeant de ce chef ?
Ma position, et j'ai étudié d'assez près la question, ainsi que la façon dont le discours a changé avec les années qui s'éloignent, est plus difficultueuse : tout est mis en oeuvre, avec Furt et avec d'autres artistes du reste, pour tenter d'accréditer l'idée qu'ils n'ont eu rien à voir avec l'époque dont ils ont été les témoins agissants. Tandis que l'on concentre les "critiques" sur deux ou trois musiciens. cf. Karajan : il a concentré sur ces seules épaules ces reproches à partir des années 1970.
L'histoire de l'édition des enregistrements de guerre de Furt avec photos antidatées (c'est un fait incontestable) est assez instructive, comme l'est le nettoyage des bandes afin d'en éliminer les applaudissements. Il faut dire qu'écouter le public applaudir à tout rompre, à Berlin, à la fin d'une interprétation donnée pendant la seconde guerre mondiale n'est pas comme écouter un concert public capté dans les pays libres et combattant la barbarie.
Ceux qui proclament que ce chef était une victime, voire un opposant au régime nazi simplifient le problème d'une façon tendancieuse et ils ne le jugent pas moins que ceux qui n'admettent pas cette position qu'ils jugent simplificatrice.
Quand au comportement maladivement jaloux et manipulateur sur le plan humain et de la carrière de Furt envers ceux qui pouvaient ou lui ont fait de l'ombre : il est attesté. Je n'y peux rien, c'est comme ça. Ce n'est pas pour ça qu'il n'est pas un grand chef !
Ce qui est curieux et est propre à la musique : c'est l'idée qu'un artiste admirable quand il fait de la musique ne puisse être rien d'autre qu'un homme, qu'un individu admirable. C'est un système de vases communiquants assez faible.
Enfin, il me parait plus que singulier qu'on puisse acheter dans le commerce, sans que cela soit dit dans les textes accompagnant le CD, une interprétation de la Neuvième de Beethoven, oeuvre hautement symbolique puisque son finale est devenu l'hymne européen, enregistrée lors d'un concert célébrant l'anniversaire d'Adolphe Hitler.
Cette propension à l'oubli, à masquer les conditions historiques (changer les photos, effacer les bruits de salle...) d'un enregistrement est en tout cas symbolique d'une volonté de détacher les enregistrements captés pendant la guerre de ce chef pour en faire des enregistrements comme les autres. Ce qu'ils ne sont pas.
J'ai enfin conscience que d'écrire des choses désagréables sur une idole me donne une position inconfortable. Mais je préfère cet inconfort à l'idée que la musique et la politique évoluerait dans des sphéres qui ne se rencontrent ni ne se nourrissent l'une l'autre.
Alain