Jecklin Float
Parmi les amours douteuses que les amateurs d’écoute au casque peuvent éprouver, il y a, sans conteste, le “cas Jecklin”, plus précisément du modèle “Float electrostat”. Les avis sur la question oscillent entre “formidable” et “détestable”, et je n’ai pas l’intention (ni la prétention) de trancher le débat. Autant le dire tout de suite, je me limiterai à une opinion qui tient en deux points: j’aime énormément ce casque, dont j’entends très bien les défauts… Tu vas me dire: mais sacrebleu, à quoi ça sert-il alors tout ce baratin si je dois encore me débrouiller tout seul pour savoir ce que j’en pense? À quoi je répondrais volontiers que ça n’est pas parce que mon voisin de palier n’aimerait pas les escargots et préférerait l’omelette aux truffes que je peux conclure avoir raison (ou tort) d’aimer les huîtres et la cancoillotte. La question des qualités et des défauts objectifs ne recoupe pas exactement celle des préférences et amours, ni celle des dégoûts et des détestations (sans quoi, ça se saurait, personne ne tomberait amoureux de quoi ou qui que ce soit).
Il n’empêche que la première fois, il y a bien longtemps (dans un pays lointain situé plus au nord de mon actuelle position géographique), que j’ai entendu un Float électrostatique (sur une chaîne “tout Quad”, panneaux, tubes, préampli, etc.), je me suis dit: “un jour, je l’aurai”. Mais avant d’aller dans cette direction, quelques mots sur les différents modèles – et quelques précautions à prendre, aussi, dans une éventuelle quête au Jecklin.
Les casques mis au point par Jörg Jecklin sont au nombre de quatre:
- Le Jecklin “Float’ electrostat”, qui va m’occuper par la suite: c’est un électrostatique, comme son nom l’indique, mais dont les spécifications sont différentes de celles de Stax (ou des Koss) – donc, pas la peine d’espérer le brancher sur un ampli Stax;
(le mien, branché via son “Power Supply” sur mes blocs à tubes)
- Le Jecklin “Float’ model one”, modèle électrodynamique, à brancher sur une prise casque habituelle – j’en ai eu un, il y a une petite dizaine d’années, que j’ai ensuite revendu:
Cet exemplaire est le mien, et il manquait les mousses de protection intérieures.
- Le Jecklin “Float’ model two”, électrodynamique, aussi:
- Et, last but not Liszt, comme disait George Sand, le nouveau “Float QA”, disponible pour le prix d’un Audeze LCD-2f ou d’un Stax SRL700:
http://www.quad-musik.com/html/float.htmlhttp://www.quad-musik-shop.com/epages/6 ... at%20QA%22Les possibilités d’amplification ont varié avec le temps – il y a plusieurs “PS” (power supply):
- Le modèle PS-0, que je n’ai, pour ma part, jamais vu – mais j’ai aperçu des modèles de PS, tantôt blancs, tantôt noirs, avec l’interrupteur en bouton pressoir à gauche, sur le dessus du boîtier;
- Le modèle PS-1 (le branchement arrière permet, via un interrupteur, de se brancher sur n’importe quel ampli ou de faire pass through vers une paire d’enceintes; il se fait sur des borniers à pinces guillotines):

[centre]
- Le modèle PS-2 (même principe, mais qui existe avec 2 types d’interrupteurs, bouton pressoir à droite ou à bascule au centre):
[centre]

certains à branchement via pinces guillotines:
d’autres, à branchement via borniers sur le panneau arrière:
De face, le dispositif donne ça:
Il a également existé un ampli à tubes conçu pour le Float’ electrostat (par Friedrich Dürrenmatt), qui arborait en nom, sur la façade: “Ergo” (j’ai essayé, à deux reprises, d’en acheter un, mais à chaque fois, j’ai raté le coche).
EDIT — ratage réparé depuis, car j'ai fini par en trouver un:
post179382886.html#p179382886De quoi, évidemment, entretenir des confusions (que j’ai partagées à une certaine époque): quoi que Precide (
http://www.precide.ch/francais/fheil/fheil.htm) ait vendu les Jecklin Float à une certaine époque, et vendent maintenant les casques Ergo (Ergo 1, Ergo 2 et Ergo AMT, l’importateur en France étant TecSart), il s’agit de deux choses bien différentes (le transducteur AMT d’O. Heill n’est pas électrostatique).
Qui plus est, comme je l’ai dit, le nouveau Jecklin Float QA, est distribué par quad, et 3 modes d’amplification sont disponibles:
- le Float QA Power Supply “passif” à brancher en sortie d’amplificateur – au même tarif que le Float QA;
- le Float QA Power Supply “actif”, qui embarque un ampli et à brancher en sortie de préampli (1000€ de plus);
- Le Float QA Power Supply “Transdyn”, le même que le précédent plus le système transdyn, permettant d’alimenter soit une paire de HP électrostatiques, soit une paire de HP électrodynamiques (encore 1500€ de plus).
http://www.quad-musik-shop.com/epages/6 ... cialOffersMalheureusement, je n’ai pas pu en approcher et je pense même que cela n’est pas importé régulièrement en France (mais sans doute, à la demande, via les revendeurs quad). Il me semble en revanche que le nouveau QA peut se brancher sur les anciens PS (à vérifier en écrivant chez Quad) — et l’autre “bonne nouvelle”, c’est que Quad assure la maintenance de tous les Floats: changement des mousses, des cellules, révision des PS, etc. Car, si on se décide à se lancer dans la course au Float, il faut tout de même savoir être prudent: les mousses se désagrègent avec le temps (grand classique du genre), mais, en particulier avec le modèle électrostatique, le démontage/remontage nécessite beaucoup de précautions et un certain savoir-faire. En gros, il est très facile de créer un faux contact et griller la cellule. De même, les interventions faites sur les PS peuvent faire plus de bien que de mal. Certains vendeurs que je qualifierais, pour ma part, de malhonnêtes prétendent que leur exemplaire a été “remis à neuf”, alors qu’ils l’ont fait eux-mêmes, sans précaution, voire sachant très bien au moment de la vente qu’il y a un problème. Certes, on peut toujours renvoyer son set chez Quad pour réparation, mais cela s’ajoute au prix. Mieux vaut donc choisir un modèle révisé par Quad (les exemplaires ainsi proposés le sont par des personnes qui n’hésitent pas fournir la facture correspondante) – ou bien, un exemplaire disponible près de chez soi et pouvant faire l’objet d’un essai. Les tarifs, pour ce que j’en sais sont autour de 5/600€ (anciens PS) jusqu’à 7/800€ (PS2) — et évidemment parfois beaucoup plus, sans qu’il y ait de réelles justifications à certains tarifs. Donc, c’est un jeu de patience (j’ai mis 6/7 ans avant de trouver ce que je voulais, mais il est assez connu que je suis très “lent”).
C’est pas le tout de ça, mais vu que j’écris tout ça en écoutant de la musique – sur le Float évidemment, il y a la question la plus attendue: “hêkomankisönn”? Alors d’abord, le principal “défaut” du Float, autant le dire d’emblée, c’est le manque net d’assise dans le grave. Ça commence nettement à chuter à partir, à la louche, de 70/80Hz (je n’ai jamais trouvé de mesure là-dessus, mais ça s’entend assez nettement en passant des bruits de test par fréquences): inutile, donc, de s’imaginer qu’on va se passer de la musique de danse de jeunes de boîte de nuit à donf” à décoller les gencives à mémé… C’est un constat qui est — presque — aussi vieux que le casque lui-même. Un peu de lecture par exemple:
https://www.stereophile.com/content/jec ... headphones — (entre parenthèses: voilà une très belle descente en règle, le Float “prend cher”, comme disent les djeunzs — il a “morflé”, dirais-je en bon vieux croulant).
Mais d’un autre côté, à moins que je me trompe fort, c’est exceptionnellement linéaire sur le reste du spectre, au moins jusqu’à 16kHz (au-delà, désolé, je n’ai plus 15 ans), avec, peut-être, juste un poil d’insistance vers 4 ou 5kHz. Je dis bien: peut-être, car j’ai eu aussi l’impression que ça dépendait de l’ampli ou l’intégré sur lequel on le branche — à moins que ça ne soit une illusion de ma part. Non respect de la loi des 400000, donc: mais j’aimerais un jour qu’on me présente un casque qui respecte ladite loi (et ne présente par ailleurs aucun autre défaut), car, même côté enceintes, ça ne court pas les rues (et en général, ça n’est pas “pour rien”).
On est donc très proche d’un AKG K1000, me semble-t-il, mais avec des timbres plus pleins et plus somptueux côté Float, et une aération dans le haut du spectre encore plus accomplie, de l’autre côté. Si l’on écoute des choses pas trop chargées en grave, mettons, du quatuor à cordes (le violoncelle est un peu écourté sur sa note la plus grave, mais ça passe), du petit ensemble baroque, du jazz intimiste, de la voix, pas de doute pour moi: c’est superbe de précision et de consistance. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’on ne peut pas passer “le reste”: seulement qu’il faudra pouvoir accepter le trucage — lequel àmha passe bien, dans la mesure où le Float ne prétend pas, à l’aide de tel ou tel trucage, faire ce qu’il ne fait pas: la coupure m’a toujours paru franche (donc, pas de bouillasse en bas, dont on se demanderait ce que c’est en fronçant du museau).
Mettons que l’on écoute du Pink Floyd (Dark Side Of The Moon): on se dira que ça manque d’ampleur et d’assise dans le bas, mais pas forcément avec frustration, tant le reste est dynamique, vivant, sans une once de crispation… J’ai réessayé ce disque, après avoir écouté les quatuors 1 et 2 de Bartok par les Vegh:
http://www.qobuz.com/fr-fr/album/bartok ... 8490048702 — puis La Folia de Savall:
http://www.qobuz.com/fr-fr/album/1490-1 ... 9410080262. Sur ce second disque, la limite dans ce que j’entends tient plus à la sensation d’une salle d’une “taille” moins grande (les percussions et les réverbérations sont moins amples qu’avec un ou deux autres de mes casques), alors que, sur le premier, j’adhère directement à ce que j’entends. De même, sur du Pink Floyd, il y a évidemment moins d’ampleur et d’assise, mais là encore, le reste est tellement agréable que “ça fait passer” l’ensemble.
Il faut simplement accepter une écoute de type “monitoring BBC”: après tout, je serais curieux de savoir combien d’entre nous parviennent déjà à ce résultat louable, d’une restitution pas trop accidentée/colorée entre ~80Hz et ~16kHz ou plus. Chacun sait qu’il existe de très célèbres enceintes – LS3/5, Spendor, Harbeth, Kef, Rogers, etc. – et très appréciées encore aujourd’hui: certains de ces monitors pouvaient être couplés à un ou deux subs (par ex., chez Rogers: un de chaque côté, servant de pied à chacune des enceintes 2 voies), mais leur but était ce que l’on appelle une “écoute BBC”. Et si de nombreux amateurs de musique les aiment autant, il se pourrait qu’ils ne soient pas tous fous… Pour ma part, à l’écoute du Float, j’ai les mêmes impressions qu’avec ce type d’écoute. C’est intimiste, à l’opposé des écoutes “gros son” et hyper démonstratives (qui d’ailleurs font parfois faire “woah!” dès les premières secondes — et “pfff…” sur la durée).
L’autre avantage potentiel du Float, c’est “l’image” procurée par ce casque. Mais j’ai bien dit potentiel — ce qui réclame un petit mot d’explication. Si j’ai bien compris, l’un des paramètres qui nous permettent de localiser l’origine des sons dans l’espace, c’est l’angle formé avec chacune des oreilles (un autre est le pavillon de l’oreille elle-même, un autre, le fait que le son entendu d’un côté l’est aussi de l’autre avec un certain décalage temporel). L’ergonomie du Float est censément pensée pour que les cellules soient “suspendues” en face des oreilles, et non pas collées contre elle, et selon un angle qui les écartent de plus en plus en allant vers l’arrière. La légende raconte que J. Jecklin aurait, pour fabriquer son prototype, ramolli une plaque de plexiglas avant de l’incurver aux dimensions de sa tête (je doute qu’il ait procédé à un moulage direct, car la méthode aurait sans doute été trop radicale, mais cela indique que la taille est standard et non modifiable).
Autrement dit, à la différence de l’AKG K1000, il n’est pas possible de faire varier l’angle de chaque transducteur par rapport à l’oreille: la position du Jecklin est fixe. Du coup, tout dépend aussi — et même surtout — de la taille de tête de l’auditeur. Sur une tête trop petite (mais le cas doit être rare), ça sera trop instable ; sur une tête trop grande (sans doute plus fréquente), ça sera trop collé et donc on n’aura pas d’angle. Pour ma part, c’est limite (il faudrait que j’envisage de me faire réduire le portrait: j’en connais qui se feraient un plaisir…): j’ai malgré une “esquisse” d’image, correctement latéralisée (de gauche à droite et inversement) et, si j’écoute en fermant les yeux, j’ai l’impression que c’est “juste devant les yeux”. Ce qui n’est déjà pas mal. J’aurais l’occasion d’en reparler une autre fois, à propos de l’AMT. Quoi qu’il en soit, par exemple sur un quatuor à cordes (sur un enregistrement stéréo correctement fait, évidemment), on localise bien (de gauche à droite), le premier violon, le second, l’alto et le violoncelle (ce qui, d’ailleurs n’est pas toujours le cas au concert, surtout si l’on préfère se placer en milieu de salle, voire plus loin et que la salle est assez grande). Et évidemment, si l’on passe un disque comportant des effets spectaculaires (par ex.
Amused to Death de Roger Waters, récemment ressorti en 33t/SACD/BR/CD), on aura quelque chose qui s’approche de ce que procure une bonne paire de deux voies bien placées, dans une pièce pas trop accidentée.
Donc oui, j’aime énormément ce casque, dont j’entends les défauts, là où certains entendent énormément les défauts de ce même casque, qu’ils n’aiment pas. Pour ma part, il fait partie des quelques casques (HD600, K1000, Odin, K340) qui, sur la durée, continuent à chaque fois à me séduire, me laissent à chaque fois un petit goût de reviens-y et déposent dans ma mémoire des souvenirs attendris.
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