Antibiotiques et antibiorésistanceQuatre-vingt-onze ans après la découverte de la pénicilline, l’essor rapide des antibiorésistances oblige à relancer des recherches sur ces médicaments indispensables. Par Anne-Laure Lebrun | Publié le 06/11/2019 | Le Figaro
Il n’aura pas fallu longtemps aux bactéries pour contre-attaquer. À peine cinq ans après la mise sur le marché de la pénicilline (1942), le staphylocoque doré faisait de la résistance à ce premier traitement. Et alors que le grand triomphe des antibiotiques sur les maladies infectieuses ne faisait que commencer, déjà l’antibiorésistance menaçait de faire des ravages.
Mais à l’époque, ce phénomène n’inquiète pas. La recherche est prolifique et produit des médicaments toujours plus efficaces. «Des années 1940 aux années 1960, c’était l’âge d’or de la découverte d’antibiotiques. Les scientifiques ont étudié des dizaines et des dizaines de champignons, et extraient différentes molécules antimicrobiennes. Ils ont fait naître presque toutes les familles d’antibiotiques qu’on connaît aujourd’hui», raconte le Pr Olivier Épaulard, infectiologue au CHU de Grenoble.
Ces médicaments puissants font disparaître des maladies infectieuses mortelles, et façonnent la médecine moderne. Confiants dans ces molécules redoutables, les soignants ont la main lourde et ne les utilisent pas toujours à bon escient, mais les patients sont demandeurs. Or, à chaque fois que les bactéries sont exposées à un antibiotique, elles apprennent à y résister. Un mécanisme de survie qu’elles maîtrisent à la perfection depuis des millénaires. «Les antibiotiques sont les armes avec lesquelles les champignons mènent une guerre microbiologique contre les bactéries depuis des millions d’années. Ces armes chimiques ne sont donc pas nouvelles pour elles. Il est donc facile pour les bactéries d’apprendre à se défendre et de résister aux antibiotiques.»
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Lorsque le phénomène de l’antibiorésistance éclate dans les années 1990, la médecine se retrouve impuissante. Les antibiotiques commercialisés depuis un demi-siècle ne peuvent venir à bout des bactéries multirésistantes. En France, on estime que chaque année 150.000 personnes contractent une infection à bactérie résistante, et 12.500 en meurent. Mais les laboratoires avaient peu à peu abandonné le développement de nouveaux antibiotiques. «
Les firmes s’en sont détournées pour des raisons économiques, décrit le Pr Antoine Andremont, ancien chef de service de bactériologie de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (AP-HP). Les antibiotiques sont des médicaments peu rentables: ils coûtent chers à développer, mais sont vendus à des prix bas. En outre, la durée des traitements est courte, et on restreint leur emploi, à juste titre, pour retarder l’apparition de résistances. Le retour sur investissement est donc faible.»
Mais aujourd’hui, la menace d’un retour à l’ère préantibiotiques crée de nouveaux besoins. Pour guider la recherche, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi une liste de douze bactéries contre lesquelles il est urgent d’avoir de nouvelles molécules. En parallèle, plusieurs États ont augmenté leur budget alloué à cette recherche. La France a notamment débloqué 40 millions d’euros supplémentaires l’an dernier.
L’arrivée de nouveaux antibiotiques ne nous tirera pas d’affaireSoixante-dix ans après la découverte des antibiotiques, une course contre la montre s’est alors enclenchée. Mais trouver des molécules capables de contourner les résistances est un casse-tête. Et lorsque de nouveaux antibiotiques sont découverts, les échecs sont parfois retentissants. «Ces dernières années, plusieurs laboratoires et start-up de biotechnologie ont fait faillite après la commercialisation de leur produit», indique le Pr Andremont.
Mais, de l’aveu même de tous les experts, l’arrivée de nouveaux antibiotiques ne nous tirera pas d’affaire. La recherche d’alternatives est donc une autre piste à explorer. Des équipes développent ainsi des molécules antibactériennes non antibiotiques, explorent les perspectives des phages (des virus qui infectent les bactéries), mettent au point des produits capables de protéger la flore intestinale pour prévenir l’émergence de résistances ou étudient les bénéfices de la transplantation fécale.
Néanmoins, l’aboutissement de tous ces projets est encore incertain. Il faut donc préserver ce qui existe déjà. «S’il est bien évident qu’il faut encourager la recherche de nouveaux antibiotiques et l’innovation, maintenir notre arsenal thérapeutique est essentiel pour lutter contre l’antibiorésistance», assure le Pr Céline Pulcini, infectiologue au CHRU de Nancy et chef de projet national à l’antibiorésistance au sein du ministère de la Santé. Les anciennes molécules ont de belles années devant elles, à condition qu’elles soient utilisées avec parcimonie en médecine humaine, mais aussi vétérinaire. Car lorsque les bactéries ne sont plus exposées aux antibiotiques, elles redeviennent sensibles!
Source :
https://www.lefigaro.fr/sciences/pourqu ... s-20191106
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