Alain, il te salue, et bien qu'il connaissait à peu près toutes tes anecdotes sur ces particulatités de mémoire, il ne connaissait pas celle de Tatiana !
Christian Merlin a écrit:Parmi les chefs qui non seulement dirigeaient mais répétaient par coeur, il y avait aussi Sergiu Celibidache, et Nello Santi, un chef italien spéclalisé dans l'opéra qui non seulement connaissait tous les repères dans la partition mais chantait tous les rôles...
Et un jour où mon ami Macarez le timbalier a demandé à Paavo Järvi s'il avait des préférences pour les morceaux imposés lors d'un prochain concours de recrutement de timbalier, Paavo lui a dit "Le Chevalier à la rose au chiffre 54", et en a cité plusieurs autres comme ça.
Pour les fautes, il y a aussi Victor de Sabata: il a fait le premier enregistrement mondial de Jeux, de Debussy, l'orchestre n'avait visiblement pas une édition fiable, il a fait jouer la pièce une fois en entier sans interrompre ni prendre de notes, et ensuite il a signalé toutes les fautes d'édition à corriger, pour le hautbois, pour le cor, etc.
J'ai aussi parlé avec un baryton allemand qui devait chanter une oeuvre assez rare de Zemlinsky sous la direction de Seiji Ozawa à Berlin. A la répétition avec piano, Ozawa s'est excusé de suivre sur la partition en lui disant "désolé mais j'avoue que je ne connaissais pas du tout cette oeuvre et je n'ai pas eu le temps de l'apprendre". Le lendemain, à la première répétition avec l'orchestre, Ozawa n'avait plus de partition.
Une fois Lenny Bernstein était à une réception où il y avait le compositeur Samuel Barber et il avait nettement l'impression qu'il le battait froid. Bernstein finit par aller le voir et lui demande s'il a fait ou dit quelque chose qu'il ne fallait pas, et Barber lui dit "non ce n'est pas ça, mais c'est quand vous avez dirigé mon concerto pour violon, il y a deux ans, on voyait bien que vous ne connaissiez pas bien la partition", et là dessus Bernstein lui dit "ah oui, votre concerto pour violon", et il va se mettre au piano et le joue de mémoire en réduisant la partie d'orchestre pour deux mains.
Et puis anecdote personnelle et inoubliable: au Festival Messiaen de La Meije, dans les Alpes, un grand concert d'orchestre est prévu en plein air le soir, or le temps menaçant depuis le matin devient le déluge, l'orchestre plie bagage, les gens filent se protéger ou retournent à leur voiture. Et là le pianiste Roger Muraro, grand spécialiste de Messiaen, qui devait jouer avec l'orchestre, dit: "c'est trop triste, pour les gens qui peuvent rester je propose d'improviser un petit récital dans l'église du village, mais je n'ai pas de partitions!"Et là, une fois dans l'église, Muraro salue et annonce qu'il propose de jouer les Vingt regards sur l'enfant Jésus... en entier. 2h10 de musique de Messiaen! Par coeur!
Et puis il y a le compositeur Penderecki qui a envoyé une partition commandée par un concours ou un festival international (je ne sais plus), ça s'est perdu, or à l'époque il n'y avait pas de photocopies et c'était son seul exemplaire. Il l'a récrite de mémoire, mais bon, c'est lui qui l'avait composée, et puis rien ne dit qu'il n'a pas changé des trucs dans l'intervalle (ça aurait été intéressant de retrouver le premier manuscrit et de comparer les variantes!).