Donc ce problème souvent évoqué, jamais résolu, d’une chaîne susceptible de reproduire en écoute domestique un orchestre symphonique dans la plénitude de sa dynamique se heurte, entre autres, aux problèmes suivants qui ne sont quasi jamais évoqués dans les revues de haute fidélité :
De quel orchestre parle-t-on ?
Un fortissimo d’une symphonie de Mozart n’est pas le fortissimo du Poème de l’extase de Scriabine ou du Sacre du printemps de Stravinsky, pas davantage celui de la Symphonie « des mille » de Mahler qui, en plus de l'orchestre, a des solistes et un choeur.
De qu’elle dynamique parle-t-on ?
D’une œuvre qui fait se succéder de forts impacts sonores et des pianos ou pianissimos qui permettent à l’oreille de se reposer (ainsi qu’aux enceintes !) ou des œuvres qui pendant de longs passages sonnent très très fort et à d’autres très très doux ?
L’Orchestre mozartien entre Salle Gaveau (1000 places), ou là l’Opéra-Comique (1300 environ), pas le Scriabine qui fait déjà saturer le Théâtre des champs-Elysées (1900 places). Le Stravinsky y entre quand l’orchestre est dans la fosse pour accompagner le ballet et que le chef « calme » le jeu en diminuant les écarts dynamiques, ce qu’il ne ferait pas si son orchestre était en vedette sur le plateau.
On pourrait aussi parler de la dynamique par paliers d’une symphonie de Bruckner et citer Bernard Haïtink qui venait de le diriger au Théâtre des Champs-Elysées, avec la Philharmonie de Vienne. Il déclarait dans un entretien :
« on ne peut pas diriger cette œuvre de façon satisfaisante dans cette salle, car elle est trop petite et son acoustique manque de réverbération. On ne peut pas graduer la dynamique et les fortissimos saturent. »
Les mêmes œuvres ne sonnent pas beaucoup à Bastille (2800 places) car l’acoustique y a été conçue pour privilégier le son direct au détriment du son réfléchi, pour que le chant garde son intelligibilité en permanence. J’ai entendu Bruckner, dirigé par Celibidache, Stravinski par Janowski, à Bastille, en plus de nombreux opéras : même avec la conque pour orchestre symphonique quand l’orchestre est sur le plateau, le niveau sonore de l’orchestre y est trop faible, les fortissimos peinent à se déployer.
Cependant, si l’on est surpris par le manque de niveau, dans la salle à Bastille (immense) il faut savoir que le chef l’entend lui aussi et qu’il règle différemment les nuances dynamiques : ses pianissimos seront joués plus fort par les musiciens (ce qui influence… le timbre) et ses fortissimos ne pourront pas être plus fort que ce que les musiciens peuvent donner sans dommage… pour le timbre, pour leur souffle, pour les cordes des instruments !
Le plus intriguant reste que l’on est gêné dans une salle comme celle-là pendant les premières minutes… jusqu’au moment où l’oreille compense. Elle a la faculté de relever le niveau des sons pianos… quand on sort de Bastille, on a l’impression que le niveau était fort !
Cependant une symphonie de Mozart sonne plus fort à Gaveau qu’à Bastille… même si à Bastille on la joue avec un orchestre de 100 musiciens au lieu de 50… L’orchestre y remplit la salle qu’il ne peut remplir à Bastille..
Comment en effet séparer le niveau sonore exprimé en décibels et l’enveloppe sonore, comme séparer le niveau sonore du lieu, de l’acoustique, du timbre et de l’enveloppe sonore ?
Le même chef, dirigeant la même œuvre, avec le même orchestre adaptera la balance (rapports de volume sonore entre les pupitres de l’orchestre et par là aussi du « grave » et de « l’aigu ») et ses nuances dynamiques de façon que le son de son orchestre se déploie dans la salle de la façon la plus harmonieuse possible. Il ne peut pas toujours quand la salle est inadaptée. Il y a de mauvaises salles de concert ! L'auditorium Maurice Ravel de Lyon par exemple ! Rien n'y sonnait... Martyre pour les musiciens et les chefs.
Les revues prennent des exemples théoriques : la dynamique d’un orchestre, y lit-on, veut que l’on puisse reproduire un fortissimo de 120 dB ou plus… or cela ne veut strictement rien dire en écoute domestique… et à peine quelque chose en écoute live !
Car selon la salle, selon la place que l’on occupe dans la salle, selon l’œuvre, le chef, l’orchestre le résultat sera différent. Il y a des chefs qui, en toute circonstance, gardent à l’orchestre une texture transparente (ex. Maazel), quand d’autres beaucoup moins précis ou moins attirés par cela font sonner plus gros, un peu plus fouillis (ex. Barenboim). Exemple célèbre : Pleyel a une acoustique mauvaise… curieusement un génie comme Karajan la faisait oublier…il l’intégrait : il avait un TACT et un Beringher dans le cerveau… Jamais je n'ai entendu un autre chef, à part Maazel, dompter ainsi une acoustique trop réverbérante celle là, avec des fréquences en double.... Avec Karajan, ça sonnait !
Quand les revues passent aux TP, elles prennent des disques : qu’elles prennent le disque d’un chef qui contrôle en permanence tous les paramètres du son, de nombreuses enceintes permettront d’aller au bout, au prix d’un volume sonore difficilement supportable dans une petite pièce...
Mais elle iront au bout sans reproduire la totalité de l’enveloppe sonore… qu’elles en prennent un enregistré en multimicros ou en stéréo de phase (genre Charlin) et ça ne donnera pas le même résultat… même si le niveau maxi en dB est le même mesuré dans la pièce !
Si le disque est enregistré de façon réverbérée ou nettement moins, le résultat sera différent encore, et ainsi de suite.
S’ils prennent un disque enregistré de façon trop réverbérée et par un chef qui contrôle moins bien la précision d’exécution : au même volume sonore reproduit le résultat sera inécoutable…
Sils prennent une symphonie de Bruckner bien enregistrée… ils n’auront pas le même type de problèmes que ceux posés par un orchestre riche en percussions ou écrit de façon plus mobile pour ce qui est des nuances dynamiques. Les saturations s’entendront plus sur le Bruckner que sur… la Sinfonietta de Janacek qui a des pointes soudaines de puissance sonore qui retombent vite… mais pose d’autres problèmes de timbres plus crus, plus durs. Pour le même volume sonore maxi en dB…
Dans les deux cas de figure, c’est de toute façon impossible. Quoi qu’ils en disent éventuellement.
On ne peut pas faire plus entrer Paris dans une bouteille, à moins que la bouteille soit plus grosse que Paris, que faire entrer un orchestre dans un salon plus petit que lui. En niveau sonore maximum pourquoi pas, en densité et enveloppe sonore, en spatialisation sonore : non ! la pièce va saturer. 110 dB d’un orchestre pendant trente secondes d’affilée… n’ont rien à voir avec 110 dB dans la fugue finale de la Sonate « Hammerklavier< de Beethoven…
Ce que l’on peut obtenir c’est une réduction homothétique de tous les paramètres du son ce qui fait que l’on peut ne pas se rendre compte de la réduction : tout est réduit aux proportions… avec qualités et défauts propres aux enregistrements originels qui servent à faire ce type d’écoute. Pas plus…
Bien filmé, avec le bon angle, dans le bon décor un bonsaï est difficilement différentiable d’un grand arbre… tout comme les amateurs de cinéma le savent bien, le trucage visuel sait filmer du tout petit et le faire apparaître très grand… sans qu’on y voit du feu. Tout est affaire de perspective visuelle… comme sonore…
On a une approche parfaite de cette chose chez Philippe Beal : on a l’impression d’être dans le son et d’entendre un orchestre sonner avec plénitude : tout est plus petit qu’en réalité, mais comme tout l’est presque à la fois de façon crédible… on y croit… et le tout écouté avec des crêtes qui ne doivent pas dépasser 95 dB… qui semblent aussi puissantes subjectivement que lors de bien des concerts publics… et pourtant, son ampli est loin de pouvoir assurer la dynamique théorique exigée par ces enceintes Boston Linfield…
Le moins important, à mon sens, dans une écoute domestique est, sans aucun doute, le respect de la vraie dynamique THEORIQUE d’un orchestre… Timbres, spatialisations, bande passante sont plus importants quand ces trois paramètres vont ensemble…. Du reste de nombreux interprètes sont connus pour donner l’impression d’avoir un jeu d’une grande étendue dynamique car ils savent graduer de façon infinitésimales toutes les nuances entre le ppp et le fff… et leur ppp n’en sont pas plus que leurs fff n’en sont. Typique : Kempff et Arrau… souvenir du dernier récital de Gilels à Paris : au début on tendait l’oreille au TCE… la fugue finale de la Hammerklavier de Beethoven donnait l’impression de faire tomber les murs ! Idem de Svetlanov dont les pianissimos obligeaient à tendre l’oreille… et dont les fortissimos assourdissaient en n’étant en réalité pas tonitruant… il savait y faire dans la gradation…
Si les journalistes de hifi français savaient cela, ils n’écriraient pas des choses qui les font soit rester au niveau théorique « bébé » : le niveau le moins fort c’est tant, le plus fort c’est tant : voyons voir… soit prendre des exemples sonores qui n’ont pas fait l’objet d’un choix raisonné et qui me paraît, pour ma part, statistiquement improbable. En tout cas, je ne m’y hasarderait pas. Car cette expérimentation n’a pas d’autre valeur que le disque et la pièce d’écoute retenue…
En revanche on peut faire entrer un clavecin … instrument ayant une dynamique très faible… sans problème chez soi. On peut aussi faire sonner un orgue électronique dans une grande salle… de façon à peu près plausible : Allen fait ça pas mal du tout… dans les œuvres d’orchestre qui en réclament un… m’enfin, c’est un instrument dont la surface émissive n’a rien à voir avec celle d’un orchestre symphonique…elle est plus plate que profonde…
Posez la question de savoir si une enceinte haute fidélité peut reproduire la dynamique d’un orchestre ?
C’est vain et l'on tente de faire croire l'impossible aux audiophiles... Je trouve ça un peu limite et trop récurrent pour ne pas parfois faire sourire. Du reste, on a parlé de ça souvent sur le forum dans le passé !
car on sait déjà que des châteaux de sonorisation n’y arrivent pas vraiment… mais c’est encore un autre problème.
Entre autres, car on pourrait développer, cas par cas, sur de nombreuses pages…
Alain