frgirard a écrit:Je suis persuadé que l'antagonisme abx/écoute traditionnelle ne serait aussi développé si l'aspect financier n'était pas aussi fantaisiste et prégnant.
C'est l'histoire de l'oeuf et de la poule... je pense que les deux aspects se sont développés de concert. Les enjeux marketings et financiers étaient tout aussi grands dans le domaine de l'image et l'on n'y a pourtant pas vu la même attitude des fabricants, journalistes et hobbyistes. Qu'on y ait servi de la soupe marketing, bien sûr, c'est le cas de tous les domaines de consommation sans exception. Que certaines revues mentent, au moins par omission, afin de maintenir leurs budgets publicitaires, c'est tout aussi évident. Qu'il y ait des incompétents à tous les niveaux, y compris chez des professionnels, comment l'éviter ? Néanmoins, la hi-fi, ou du moins ce qu'elle est devenue, c'est-à-dire l'audiophilie, est le seul domaine hobbyiste où le délire irrationnel est monnaie courante, qu'il soit calculé ou sincère, motivé par l'appât du gain ou les illusions (psycho-)acoustiques.
Cela n'a jamais été aussi évident que ces dernières années, alors qu'un nombre non négligeable des audiophiles les plus pointus bascule en partie dans l'informatique personnelle pour la reproduction de leurs medias. Là, il n'est même plus besoin d'ABX (je salue Pio au passage

) ou d'expertise en électricité et électronique (je salue Roberto au passage

). Tout le monde peut constater, à demi incrédule, que certains audiophiles vivent sur une autre planète.
Quel photographe hobbyiste, aussi passionné et fortuné soit-il, irait croire (et a fortiori prétendre publiquement) que la nature du câble USB utilisé pour transférer ses photos sur PC/Mac ou les afficher sur son écran de salon influe sur la qualité d'image ? Qui plus est en attribuant des qualités ou défauts précis selon le câble : tel modèle débouche les ombres et augmente le piqué, tel autre a une meilleure colorimétrie et diminue un peu la profondeur de champ etc. Ce serait complètement loufoque : des milliards de gens ont fait des transferts entre appareils USB depuis 15 ans, sans que jamais une seule fois la nature du câble USB influe en quoi que ce soit sur l'intégrité des fichiers transférés. Et je parle bien de la nature du câble, de ses composants. Il est bien évident qu'un câble USB, comme n'importe quel câble, peut être défectueux ou en panne. Et il est tout aussi évident qu'un chipset et/ou son driver dans l'appareil émetteur et/ou récepteur peut être buggé ou défectueux.
Et soudain, ce petit câble (minuscule, même, dans le cas de ceux utilisés avec les appareils photo et baladeurs numériques) dont le caractère "bit-perfect" a pu être constaté au quotidien par un milliard de personnes pendant 15 ans, ce petit câble, donc, débarque dans le monde de l'audiophilie, avec l'essor de la dématérialisation et la mode en conséquence des DAC externes. Et patatras ! Il n'est plus bit-perfect ! Pire encore : pour 500 € ou plus, il sait faire le tri dans les données pour y favoriser le codage des hautes fréquences d'un fichier FLAC ou améliorer la scène sonore d'un .wav (comment diable fait-il ? A-t-il un processeur intégré ?). On en reste coi.
On a là à ma connaissance un phénomène unique dans tout l'univers hobbyiste. Puisqu'Haskil évoquait Edgar Morin, peut-être faudrait-il repartir de "La rumeur d'Orleans" pour comprendre comment le monde de la hi-fi a pu devenir, pour paraphraser J. Gordon Holt, une triste farce.
Et tiens, puisque je paraphrase celui qui fut le fondateur de Stereophile et son directeur jusqu'en 1986, quelques extraits d'un mail de 2007 lors d'un échange avec John Atkinson, à qui on peut au moins reconnaître le mérite de l'avoir publié (traduction maison, avec ses inhérents défauts) :
Penses-tu toujours que l'industrie de l'audio HDG s'est perdue en route, comme tu le décrivais il y a 15 ans ?
Pas de la même manière; il n'y a plus aucun espoir, maintenant. L'audio avait autrefois un but : la parfaite reproduction sonore de musique réelle dans un espace réel. Cela s'avéra difficile à accomplir, et fut abandonné quand la plupart des amoureux de musique, qui de toute façon n'ont quasiment jamais entendu que de la musique amplifiée, a oublié comment la musique "réelle" sonnait. Aujourd'hui, le "bon" son, c'est selon ce que chacun aime. Comme l'a dit Art Dudley si succintement, la fidélité n'a plus de rapport avec la musique.
Depuis que la seule mesure de qualité du son est ce qu'aime l'auditeur, il n'y a plus d'avancées en matière de reproduction puisque des personnes différentes sont rarement d'accord sur ce qu'est la qualité du son. L'abandon du standard de l'instrument acoustique et l'acceptation évervelée de la pseudo-science vaudou n'ont jamais fait partie de ma vision originelle.
(...)
Vois-tu des signes de future vitalité dans l'audio HDG ?
Vitalité ? Tu veux rire ? L'audio en tant que hobby est mourant, largement par sa faute. Aux yeux de ceux qui pourraient s'y intéresser dans le monde réel, le HDG a perdu sa crédibilité pendant les 80's, quand il a simplement refusé de se soumettre au type de contrôle d'honnêteté basique (le test en double aveugle, par exemple) qui a légitimé tout autre domaine scientifique sérieux depuis Pascal. [Ce refus] est une source d'amusement sans fin pour les gens rationnels et une gêne perpétuelle pour moi parce que beaucoup de gens m'associent à ce gâchis provoqué par mes disciples en répandant ma Parole. Pour info, je n'ai jamais, jamais prétendu que les mesures ne comptaient pas. Ce que j'ai dit (et souvent, d'ailleurs), c'est qu'elles ne permettent pas toujours de faire le tour du sujet. Ce n'est pas tout-à-fait la même chose.
Tu te souviens de ces tests d'écoute d'enceintes que nous avions l'habitude de conduire à notre rassemblement annuel de journalistes à Santa Fe ? Les cas fréquents où des auteurs choisissaient de manière répétée la même paire d'enceintes comme étant leur préférée (ou la moins préférée) ? Pas besoin d'autre preuve pour savoir que les test en aveugle fonctionnent, outre qu'ils restent à ce jour les seuls types de tests honnêtes. On pouvait aussi en déduire qu'un simple entraînement de l'oreille, avec confirmation en double aveugle, aurait pu bâtir chez les journalistes de talent le type de confiance d'écoute qui aurait pu changer complètement l'évolution de l'audio HDG.