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Musique enregistrée : BLURAY, CD & DVD musicaux, interprètes...

chef orchestre Harnoncourt?

Message » 03 Aoû 2002 18:33

Oui passionnant !

Dans ton avis sur la question, il me semble qu'il y a une donnée que tu écartes : l'inconscient. la composition n'est pas un acte qui ne serait que conscient, lui aussi obéit à l'inconscient, au refoulement, repasse par le pré-conscient-conscient (comme disent les psychanalistes), de façon que certains pans de l'oeuvre échappent à son créateur (voire, faciles à repérer, la langue est signifiante les métaphores sexuelles dans la critique musicale et dans tous les écrits : si les auteurs s'en rendaient compte, ils rougiraient.). Dutilleux m'a dit ne s'est pas rendu compte d'une auto-citation dans son oeuvre dédiée à Anne Franck... Qq la lui a faite remarquer, il n'y a pas longtemps...

Comme l'a dit justement le pianiste américain William Kapell : "si les gens comprenaient ce qu'Horowitz réveille quand il joue, il lui serait immédiatement interdit de s'assoir devant un piano."
.

Penser que l'on puisse avoir l'entendement, c'est l'idée que j'exprimais, d'oeuvres comme l'Héroïque ou l'Opus 111 dépasse mon entendement, en tout cas! :wink:

Ce qui est le propre d'une oeuvre musicale est qu'elle n'a pas de signification, ne peut être réduite à ce qu'elle est : des feuilles de papier couvertes de signes incapables d'en fixer tous les paramètres. ce qu'il y a derrière les notes. la musique, n'a d'existence que quand elle est lue (entendue dans le cerveau de qui la lit) et jouée. Il existe dans les archives de l'INA, une conférence passionnante d'Honegger où il démontre en partant de la Cinquième de Beethoven qu'il analyse de façon formelle que cette analyse n'est rien, ne veut rien dire en ce qu'elle reste étrangère à l'oeuvre et ne la distingue en rien d'une autre pièce nulle qui, cependant, obéirait aux même règles de construction. Et il avoue qu'il ne sait pas pourquoi.

L'opposition faite par Furt entre diriger les notes et diriger ce qu'il appelait l'âme de la musique est valide. Lui pensait avoir un entendement supérieur de la musique allemande qu'il t'a communiqué (sans ironie!). Ce qui n'est pas faux, sauf quand il pense être le seul et dénigre les autres chefs. Quand ce n'était qu'un état de cette compréhension qu'il exprimait dans ses concerts, par ailleurs changeante en fonction des jours, du moment et des différentes périodes de son propre développement artistico-humain. Comprenait-il tout ce qu'il faisait, quand il le faisait où faut-il croire qu'une partie non négligeable de ce qu'il faisait quand il dirigeait lui échappait : cette relation si particulière entre les musiciens et lui et le public, si empreinte d'irrationnel?

En quoi, peux-tu être certain qu'il a mieux compris l'Héroïque ou La Pastorale que Toscanini ou Harnoncourt? Ce n'est même pas en se penchant sur le texte et en le comparant avec le résultat que l'on peut s'en assurer... Les trois prennent des distances avec, pas les mêmes, comme tous les interprètes. Y compris quand l'interprète est son composituer, qu'il a les moyens de jouer sa musique (rachmaninov fait ainsi des octava bassa et supra dans sa propre musique et il ne respecte pas toutes les indications écrites par lui). On pourrait paradoxalement en dire qu'il la corrige en la jouant, processus de création licite et continu : l'oeuvre continue d'exister dans sa conscience et son inconscient... car les doigts précèdent la tête qu'ils inspirent : voir les improvisateurs à la fois conscients (les organistes apprennent à improviser et une fugue à cinq sujet, bonjour!), à la fois inconscients de ce qu'ils font (ils sont emportés dans une mécanique qui fait appel à des ressources qu'ils ont en eux et qui sortent toutes seules et les étonnent!). A tel point que certains, quand ils ont noté par écrit leurs improvisations d'après une bande doivent apprendre leur improvisation, travailler leur technique pour pouvoir la rejouer sans y arriver aussi bien.


Fauré qui n'avait pas deviné tout ce que l'on pouvait mettre dans sa musique? Mettre dans sa musique, le mot est de lui. QUi ne soupçonnait pas qu'elle contenait autant de musique? Voilà aussi un mot, musique, d'un coup séparé de l'oeuvre qui embrouille tout, car si la petite histoire a retenu son exclamation, il n'est pas impossible que cela se soit produit plusieurs fois avec d'autres interprètes bien différent d'Haskil... Ravel disant que son Boléro n'est pas de la musique...

Il m'est arrivé de rêver que je jouais au piano, des passages de la première de Mahler que je n'ai jamais vu jouer au piano et mes doigts allaient au bon endroit... j'en suis incapable réveillé sans une réduction de piano sous le nez (et encore en foutant tout à côté)... j'en ai parlé à Arrau, en analyse depuis quarante ans au bas mot à l'époque : si l'on comprenait tout ce que l'on fait et que l'on ne fait pas, le monde ne serait pas et il n'y aurait pas d'art.

Cet entendement dont je parlais est donc multiple, partial et intuitif, si multiple, si partial qu'il se dérobe sans cesse et si intuitif qu'il n'est pas formalisable par des mots.

On dit aussi avoir 'l'intelligence de l'oeuvre', un état de compréhension globale d'un texte très facilement accessible, lui, proche de la compréhension formelle, de la logique de sa réalisation sonore par un interprète, avec un petit plus : le sentiment qui passe, idée qui remonte, sous cette forme, à la fin du XVIIIe. Tiens ce petit est musicien, dit-on dans les concours. Tiens, tel autre ne l'est pas... Difficile à comprendre... et tous les musiciens réunis autour de la table du jury ne sont pas systématiquement d'accord.

La différence entre une donnée objective (la partition n'en n'est pas une, car la notation musicale est sommaire : pas deux musiciens entendent un crescendo de la même façon; pas deux n'entendent le même tempo de la même façon, en poussant le bouchon un peu loin, mais pas si loin que ça; et les partitions d'avant la manie des compositeurs de tout noter quand les interprètes sont devenus peu à peu une entité séparée, ne sont que des canevas!) et des données qui le sont dans un système fixé (1 + 1 = 2 en base 1) tient dans l'irrationnel, la subjectivité et la science qui permettent de multiples interprétations des mêmes signes et données, ou quasi absence de signes. D'où l'impossibilité pour un être humain d'avoir la compréhension totale, l'entendement qui dominerait tous les paramètres d'oeuvres qui n'existent pas, au sens strict du terme, autrement que quand elles sonnent, qui ne sonnent jamais pareil, en fonction de qui les écoutent, qui les jouent, sur tels ou tels instruments. Tant de choses changent qui modifient l'entendement d'une oeuvre qui se dérobe. Furt? Harnoncourt? Deux états de la même oeuvre, aussi partiaux l'un que l'autre..., aussi fragmentaire d'une méta-compréhension, de cet entendement dont je parlais... Les deux comprennent, ça va sans dire! mais l'oeuvre les dépasse un peu... puisqu'ils ne peuvent, de toute façon, réaliser, maîtriser tout ce qu'ils en ont comris qui se partage entre conscience dûe au savoir, inconscient dû à l'intuition...

Aucun pianiste, interprète seul ayant moins de pouvoir à exercer sur les autres qu'un chef, ne te dira qu'il a fait ce qu'il entendait dans sa tête, qu'il projetait... et ce qu'il entend change tout le temps. Gould? Grand et génial escroc qui affirmait maîtriser la totalité de la réalisation d'une oeuvre. Comme Karajan du reste. Comme Celibidache aussi. Chacun à sa façon. Le vieux Perlemuter, né en 1904, me disait il n'y a pas longtemps : "je découvre encore de nouvelles choses dans Chopin et Ravel". Il les joue depuis des décennies et il découvre encore des choses... cependant que j'attends encore un interprète plus convaincant que lui dans la Quatrième Ballade de Chopin et dans les Miroirs ou le Tombeau de Couperin de Ravel... à mon niveau de compréhension... qui est minuscule à côté du sien et des oeuvres...
Il comprend de mieux en mieux, à près de cent ans, une musique qu'il comprend déjà plus en profondeur que les autres pour la fréquenter chaque jour depuis si longtemps. Lui, en tout cas, pense ne pas en avoir l'entendement auquel je fais allusion. Combien de fois m'en a-t-il parlé?! dans un entretien : "j'admire Nikita magaloff qui m'a dit avoit appris toute la musique pour piano de Ravel en trois mois, il y a soixante ans que je l'apprends et qu'elle se dérobe à moi"

Ce que dit Rattle du caractère folklorique de J. Strauss est intéressant à ce titre : il comprend parfaitement la lettre de cette musique, mais il pense qu'aucun musicien qui ne l'a pas entendu dans son jeune âge ne peut la jouer de façon pertinente car elle trop circonscrite à une ville, une culture... à la différence de Gerswhin dit-il qui est beaucoup plus universel. Voilà qui nous renvoie à ceci : le premier langage appris quand on est enfant structure l'inconscient. Et l'inconscient est constitué, avec le "refoulement originaire ou après-coup" comme disent les psy... Et plus particulièrement "des désirs de l'enfance qui connaissent une fixation dans l'inconscient... quand ça revient dans le pré-conscient/conscient, c'est déformé par rapport au départ pour que ça puisse sortir de l'inconscient" disent-ils encore : dans l'acte de composition, il y a un peu beaucoup à ça... et dans l'interprétation. Aucun n'interprète n'oserait être aussi impudique, livrer ainsi son intimité par des mots quand il le fait quand il joue. Idem des compositeurs de l'ère romantique, post-romantique...

Or et c'est là que cela devient encore plus passionnant, c'est que plus une oeuvre échappe à son terroir, moins elle devient folklorique, plus elle devient universelle et plus il est possible qu'elle soit reçue par des quidams étrangers à l'endroit où elle est née. Mais ils doivent alors se battre avec un langage insignifiant qui déclenche trop d'émotions pour être dominé et passer dans le domaine de la possession ce qu'il ne parvient jamais à faire. On ne possède jamais la musique...

Certains que les Pygmées qui apprennent à chanter les polyphonies, acte de création collective intégrée dans tous les rituels sociaux, en même temps qu'ils apprennent à parler, qui entendent sur le dos de leur mère dès le lendemain de leur naissance ces chants auxquels ils participent de facto, dominent plus la musique, la leur, que Beethoven ne dominait la sienne. Il n'y a d'ailleurs pas de chanteurs tenus pour meilleurs que d'autres chez eux. Si j'ai bien compris ce qu'un ami anthropologue m'a expliqué... Encore que le phénomène des enfants prodiges, autre phénomène occidental, soit l'un des plus fascinants à étudier de ce point de vue : la connaissance avant l'apprentissage...

Mais voilà, il se trouve et là nous retrouvons Charles Rosen : plus une oeuvre est grande, plus elle a le statut de chef-d'oeuvre, pous elle prétend à l'universel, et je crois que tu seras d'accord pour dire que l'Héroïque de Beethoven est de celle là, plus l'idée d'une interprétation de référence qui serait la meilleure compréhension de cette oeuvre s'éloigne au nom des multiples possibilités d'interprétation, de compréhension qui s'offrent à ceux qui dirigent, qui jouent, qui écoutent. Car elle n'est pas le statut d'une oeuvre collective, n'est pas fonctionnelle (les danses et chants pour la pluie) et qu'elle n'est pas un brimborion (il y en a de splendides) dont le résultat dépend de l'habileté, du charme, d'éléments personnels étrangers à elle qui la font tenir debout : pour sur que sans Horowitz, son jeu génial pianistiquement, sa présence, son moi la sonate de Samuel Barber n'intéresse personne. sans doute, cette sonate, qui n'intéresse plus personne et pas longtemps horowitz, n'a-t-elle pas les arrières plans d'une des grandes symphonies de Beethoven... point de départ de notre discussion. Je l'ai cependant entendue jouer, et fort bien, dans des concours où j'étais jury, par des jeunes pianistes...

Le statut que l'on donne à l'interprétation depuis le XIXe siècle, renforcé par la réitération de l'écoute grâce à l'enregistrement qui permet de la fixer de s'imprimer dans la conscience et l'inconscient, est excessif dès qu'il devient autre chose qu'un document, qu'un état X de l'oeuvre pour devenir l'oeuvre elle même. Or, l'oeuvre est la somme de toutes ses éxécutions bonne ou mauvaise.

Voilà pourquoi, fondamentalement je ne peux admettre (moi et d'autres!) l'idée que Furtwängler (et quelque autre chef du passé, toujours le passé...) puisse être supérieur à tous les autres parce que lui aurait compris.


Bon, je me relis pas. Pardon pour les nombreuses fautes! Et j'aimerais bien continuer cette discussion avec toi, autour d'un verre!

Alain :wink:
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Message » 04 Aoû 2002 18:39

Super Alain, je viens juste de voir que tu avais enchainé et copieusement. Je n'ai pas le temps de le lire maintenant, surtout que ça commence par "l'inconcient" ! Oh la la comment s'en tirer avec ça. Aussi j'imprime ton texte et je l'emène avec moi pour y répondre dans la semaine.
A plus ...
JohnTChance
 
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