Bon. Je suis un peu en retard pour rendre ma copie — mais je voulais avoir le temps d’écouter plusieurs fois et de comparer les deux versions sélectionnées l’une après l’autre.
1/ Il Giardino Armonico. Dès le début le tournoiement des violons et les alternances de « coup d’éclairs » et de « coups de vent » sont très expressives. L’entrée en scène à 0’47” du violon solo fait l’effet d’une libération en même temps que se déploie sous les yeux la scène attendue : les gouttes tombent — drues et grosses. L’effet est d’autant plus saisissant que le timbre de l’instrument, un beau violon du 17° siècle, me paraît exceptionnel : chaud et vibrant — le crin frappant la corde en produisant un effet charnel à la surface de la peau. Le phrasé est extrêmement nerveux (même chose qu’à la plage 4 à 1’40” !) et en même temps très expressif. C’est une version très « rapide » — qui donne un effet d’emportement et de vitesse beaucoup plus grand que la version de T. Pinnock : ce qui n’est pas une question de tempo, puisque, à 2’40” pour la première contre 2’49” (soient 7%) de différence, on ne peut pas dire qu’il y ait une grosse différence. Tout est ici plus « Strum und Drang », si l’on peut dire et me fait l’effet d’une façon « subjective » de peindre l’emportement et le tourment de l’âme face au déchaînement des éléments.
2/ Trevor Pinnock. Par opposition la scène sonore est ici plus vaste (un peu moins précise à mon goût, d’ailleurs) et surtout donne une impression d’espace ample et de majesté : le ciel et les nuages, noirs, massifs et menaçant, s’ouvrent devant le regard — avant de se déchirer (0’48” : le’ tempo est donc identique à 1’’ près) enfin. Tout est joué ici de façon plus équanime et comme pour éviter intentionnellement tout effet d’expressivité ou de sentimentalité. Non point totuefois que l’instrument sonne avec rondeur (à 1’40’’ il prend des accents tout autant déchirants). La manière qu’a le violon solo de laisser chacune des notes ponctuant ses phrases comme un instant en suspens, accompagné d’un clavecin qui me paraît plus soutenu renforce cet effet, de peindre l’âme comme saisie par le sentiment du sublime face à la nature sans borne. Bref, cela me donne l’impression d’une version pour ainsi dire plus « objective », tendant à restituer si l’on veut l’amplitude des phénomènes naturels pour en susciter la présence en l’auditeur.
Comme j’étais un peu curieux de cet effet — à mon goût très sensible – d’impression de vitesse dans la version 1 et d’impression de retenue dans la version 2, je me suis repassé la version d’Europe Galante : 2’22’’ au compteur… Le tempo est cette fois réellement plus rapide (avec un peu plus de réverbération à l’enregistrement me semble-t-il). À 0’43’’ surgit le violon, très virtuose en même temps qu’il prend des accents très déchirants. L’ensemble également soutenu par le clavecin (plus en avant vers 1’50’’-1’55’’) donne un sentiment d’urgence et d’irréversibilité des phénomènes. La conclusion – dans laquelle la dernière note reste un instant retenue — semble sceller un inévitable destin. Ce qui me paraît plus proche de la version 1. De même, j'ai réécouté la version de Yehudi Menuhin (tempo plus lent et violon plus appuyé et encore plus expressif).
Bref, je me garderais bien de donner une conclusion de style « and the winner is… ». Mais il me semble que l’opposition entre ce que j’ai désigné par les termes maladroits de version subjective Strum und Drang et de version objective de type sentiment du sublime offre une alternative intéressante à l’écoute. Je pense préférer la première quoi qu’elle me paraisse peut-être en un sens relever d’une sorte d'anachronisme — sans pourtant parvenir à éviter la seconde (que j'ai achetée pour l'occasion).
Cdlt