Je trouve bien qu'il l'ait laissé. Tout d'abord parce que ce n'est pas faux !
Qu'elle avait les dents pourries ? Elle n'était pas aussi en dehors de la vie que Richter, donc...
Mais surtout parce que Monsaingon prend la peine de la présenter (et que l'on comprend tout de même très vite qui elle est et ce qu'elle représente) et qu'au final, cela dessert surtout Richter...
Et, dans ce cas là, c'est dommage car Richter ne pensait pas ça d'elle... pour en avoir causé avec lui... Et comme tout est monté, on ne sait pas ce qu'il a dit réllement, s'il s'est repris trois minutes plus tard ou le lendemain...
Richter qui me parlant d'horowitz le traitait de putain de luxe, puis de putain de bas étage et qui voyant mes sourcils se froncer ajouta : "vous raison, lui grand, grand artiste..."...
Il faut parfois aller un peu plus loin que l'apparence d'un discours...
J'ai interviewé un pianiste spécialiste du dégoisage des autres... je l'ai piégé. Il avait osé dire du mal de Clara Haskil...
Alors je lui ai raconté une demi heure plus tard une anecdote racontée par Nikolaeva...
J'y vais ?
Donc la tatiana Petrovna Nikolaeva va à Salzbourg jouer un concerto de Mozart avec Vienne et Schuricht en 1956... Tout le monde en russie lui dit : "va écouter Karajan, c'est le nouveau Toscanini !".
Bon, elle y va...
Au programme 40e de Mozart et ré mineur KV 466 de Mozart...
Le concert commence par la symphonie : Nikolaeva trouve ça magnifique... mais pas Toscanini.
Elle veut partir à l'entracte : elle ne connait pas la pianiste et doit jouer le lendemain...
Et elle reste...
Elle m'a raconté que quand elle a vu Haskil entrer sur scène et être ovationnée elle s'est demandée ce qu'elle allait entendre du jeu d'une femme de rien du tout, cassée en deux, bossue, les cheveux en bataille...
"J'ai eu envie de sortir, mais je ne pouvais pas au milieu d'un rang..."
L'orchestre commence à jouer, "magnifique, mais pas Toscanini"...
Puis la vieille Haskil pose les mains sur le piano et joue l'entrée...
Et Nikolaeva me dit "j'ai immédiatement fondu en larmes, ce jeu était d'une telle évidente simplicité, celle que nous cherchons tous et ne trouvont jamais..."
Et elle continue, l'orchestre rentre : Toscanini était au pupitre...
Le chef c'était elle, son naturel, sa force spirituelle, son phrasé commandaient tout...
Donc je raconte ca à Pogorelich qui une demie heure avant dégoisait haskil... et il me dit, un peu ému quand même :
" Mais c'est normal, c'était... Clara.... haskil" ralentissant son débit car comprenant que je l'avais piégé...
Et il a éclaté de rire et a changé du tout au tout... Du c.onnard plein de morgue et de dérision pour les autres, il est devenu un type adorable plein de sollicitudes pour les autres artistes, intelligent, sensible allant jusqu'à me parler de ses problèmes de tendinites et de me montrer ses avants bras avec des lignes rouges... et me disant qu'il souffait énormément et avait peur...
Qui est le vrai Pogo ? celui qui se protège de ses interlocuteurs et joue le rôle du génie faisant la moue sur tout ?
Ou le gars normal, abordable et sensible ?
Le vrai Richter, c'est celui qui dégoise en un mot Entrement (en réalité il ne le dégoise pas, mais chacun est renvoyé à ce qu'il pense et sait d'Entremont en interprétant les paroles énigmatiques de Richter... mais pour qui ne sait rien d'Entremont le cas est réglé : c'est un nul !).
Le vrai Richter, c'est celu qui dit que Yudina avat les dents pourries ou celui qui avoue in fine que cette femme avait un courage physique et spirituel qui a tenu debolut des milliers de gens pendant les années les plus terribles de la répression stalinienne ? Choses qu'il m'a dites...
Et quand il trouve ridicule qu'elle lui réponde qu'elle joue un Schubert ou un Bach de façon violente parce que c'est la guerre...
Qui est ridicule : en apparence, elle, car les nazis n'ont rien à voir avec l'oeuvre de Bach ou de Schubert...
Mais en fait, celui qui est ridicule, mais il faut faire un effort de pensée pour le saisir, c'est Richter dont Monsaingeon nous dit qu'il a préparé la 7e de Prokofiev en restant chez lui sans voir que la guerre faisait rage dehors...
Mais est-ce seulement vrai car bien retranscrit : personne ne le saura jamais.
Ce film, à mon sens très mauvais, et je pèse mes mots, n'est pas maitrisé sur le sens de ce qu'il raconte et nous montre d'un pianiste et d'un homme qui gardent, et c'est fort bien, son mystère mais dont on nous présente un visage erroné.. auquel il participe plus ou moins volontairement... car il n'a pas fait le montage...
Richter n'est pas que poésie, virilité et intelligence sur scène, il pouvait aussi se révéler tout le contraire dans la vie courante. Il y a souvent cette dualité chez les artistes, le tout est de savoir ce qui sert de contrepoids : la poèsie ou la connerie ? C'est peut-être cela "L'ENIGME"
Si le film montrait cela on serait content : quel film se serait !
Mais il ne montre cela qu'à ceux qui savent... et la cible est donc ratée, car ce film ne fait pas de sens.
Alain