Comme dans l’autre topic, les choses sont concrètement assez simples, et je ne sais pas pourquoi on finit quasi systématiquement à digresser pour finir par un peu tout mélanger.
ForcedGrin a écrit:Je ne parlais pas seulement des droits juridiques habituels qui courent encore, et que des entreprises s'amusent, comme je l'ai dit, à prolonger à coup de pirouettes juridiques. Mais aussi, ben, de l'avis de la personne. L'éthique a aussi une grande part de morale. Sinon, on s'en tiendrait seulement aux considérations techniques, administratives et puis basta.
J’utilise le mot éthique, tu utilises le mot morale, le résultat est le même : celui qui a alimenté les exemples que j’ai mentionné juste avant. On peut ensuite tergiverser sur le quoi qui comment, ou les cas particuliers, le fait est qu’il n’y a pas de cadre juridique empêchant de balancer des grands coups de DNR et d’EE sur les restaurations, et pourtant, quasiment aucune nouvelle restauration ne se fait comme ça. Au-delà de l’éthique/morale, ça s’appelle simplement un consensus technique sur les bonnes pratiques.
ForcedGrin a écrit:Ce n'est pas un bon argument. A Hollywood, c'est la norme de ne pas retenir le travail des gens. Donc ils sont d'accord.
J'irais même plus loin : Jack Cardiff avait remplacé John Ford sur Young Cassidy parce que ce dernier était tombé malade au bout de trois jours. Mais Ford reste malgré tout le réalisateur. Déjà parce qu'il savait que Cardiff connaissait le boulot, et ensuite parce que c'était son ami. Tu ne parles que de ce qui est inclus dans le montage final... qui est décidé par le réalisateur et/ou le producteur (pas exécutif qui est presque un emploi fictif). Donc leur travail est déjà malmené si on part de là. Quant aux récompenses, on sait ce qu'elles valent depuis des décennies. A ce compte-là, il faudrait rétablir les scènes coupées, les acting non-retenus (la voix de David Prowse sur Dark Vador). C'est fait, mais relégué dans les bonus.
Et pourtant, l’immense majorité des restaurations effectuées aux USA ou supervisées par des Américains se font avec les mêmes bonnes pratiques qu’en Europe ou ailleurs. Ce n’est donc pas le levier, et c’est donc un bon argument.
Tout le reste de ton argument, par contre, confond ce qui relève de la création de l’œuvre avec ce qui relève de sa préservation post-création, avec par ailleurs une vision très « politique des auteurs » qui fait que le réalisateur aurait quasiment tout fait tout seul. On a vu ce que ça donne quand le réal’ révisionne dans son coin : le 1er remaster de French Connection, pour lequel Roizman était ravi (ironie inside).
Donc rétablir les scènes coupées, etc etc : non, c’est même exactement le contraire, sinon, quoi, on s’assoit sur le travail de montage de Paul Hirsh, Martha Lucas et Richard Chew sur l’épisode 4 ? J’en doute. Quand Lucas modifie par contre ensuite cela, lui s’assoit dessus.
ForcedGrin a écrit:Sur les ayant-droits, tu refuses de faire la différence entre l'artiste et l'ayant-droit qui ne l'est pas.
Ce n’est pas un refus, mais un constat factuel et juridique. D’une part parce que le réalisateur n’est pas automatiquement l’ayant-droit, d’autre part parce que parfois oui, ensuite parce qu’un film n’est pas le travail que d’une seule personne qui serait L’Artiste et tous les autres une donnée négligeable, enfin parce que c’est comme cela que cela fonctionne juridiquement, y compris quand l’ayant droit fait produire une restauration/un remaster avec les référents techniques servant à encadrer le résultat. Je renvoie par exemple à ce qui a été fait sur Mission Cléopâtre et, ô surprise, le résultat a été très bien reçu et n’a pas du tout subi les traitements artificiels qu’ont reçu les films de Cameron.
ForcedGrin a écrit:C'est tout ce que voulait dire George Lucas en 1988 : rien ne peut être décidé sans l'auteur (sauf quand il est mort).
Mais même quand il est mort, la chaine des ayant droits est censée permettre de prendre des décisions comme il les aurait prises lui. J’ai assisté à une table ronde avec la fondation Wim Wenders, les personnes présentes ont passé pas mal de temps à dire qu’une partie non négligeable de leur travail en terme de préservation de la filmographie de Wenders était de s’imprégner de sa philosophie, sa prise de décisions techniques quand il supervise actuellement des travaux, afin de pouvoir faire perdurer son esprit une fois qu’il ne sera plus parmi nous. Un ayant droit, c’est aussi ça, c’est un gardien du temple et c’est, pour l’immense majorité des cas, une erreur que de les opposer aux Auteurs.
ForcedGrin a écrit:Et tu re-cites des auteurs qui ne se posaient pas la question. Quid de ceux qui se posent la question ? Tolkien a réécrit et ça n'a outré personne. Lucas et Cameron modifient et ça crie au scandale.
Parce que les revisites ne forment pas la norme, parce que les versions précédentes peuvent être mises à disposition, parce qu’elles ne le sont pas (pas en tout cas de façon équivalente) dans le cas des films de Lucas et Cameron, parce que...
(et je prends les exemples que je prends car je les connais, qu’ils sont connus publics et avérés, même si effectivement ils correspondent à des réalisateurs décédés ; il y en a sûrement d’autres, qui ne me reviennent pas à froid, mais qui racontent la même histoire alors que le réal' est vivant)
ForcedGrin a écrit:Là où je veux en venir, c'est qu'à terme, dans le cas où les droits appartiennent aux auteurs et où ceux-ci refusent de laisser leur film figé par une restauration, une conservation ou autre procédé qui tendrait à détruire toute velléité d'évolution, il faudra créer une réglementation juridique.
Encore une fois : préserver, ce n’est pas faire évoluer, ni créer (cf plus bas). C’est là, je crois, que se situe fondamentalement notre écart de compréhension. Une restauration n’est pas un moyen d’expression artistique, ou alors, ce n’est littéralement plus une restauration. Les mots ont un sens. Si Cameron veut réinventer ses films, qu’il le fasse, mais ça ne nous dit pas comment le film est préservé.
ForcedGrin a écrit:Et je ne parle même pas du message que ça renverrait aux artistes devant lutter contre un régime autoritaire.
Quel régime autoritaire quand l’immense majorité des films sont traités pas-comme-Cameron avec leur bénédiction ? Faut arrêter d’imaginer que les gens se font tordre le bras pour ne pas altérer profondément les films sur lesquels leur référence technique est demandée : structurellement, c’est le contraire qui se passe, ils sont ravis d’être consultés, et ce qu’ils recommandent est ce qui génère actuellement ce qui sort (corpus, consensus, norme, bonnes pratiques, tout ça).
ForcedGrin a écrit:J'ai sous les yeux une interview d'un cinéaste ukrainien qui conclut ainsi :
"Un artiste ne fait pas dans la demi-mesure. Qu'on soit d'accord ou pas, il doit pouvoir s'exprimer de manière totalement libre. Sinon, il n'y a plus d'artistes, et une société n'avance plus sans artistes." C'est déjà difficile en temps de paix, ça l'est davantage en temps de guerre."
C’est de la création. On ne parle pas de création. On parle de préservation.
A partir de là, forcément, on parle de deux choses différentes, et donc on risque d’avoir des divergences.