EB87 a écrit:C'est sur qu'il faut un long et difficile parcours initiatique pour intégrer l'univers de Léo, comprendre ce qu'est l'Anarchie et l'Amour
«je suis d'un autre pays que le vôtre
d'un autre quartier
d'une autre solitude
je m'invente aujourd'hui des chemins de traverse
je ne suis plus de chez vous
j'attends des mutants
biologiquement, je m'arrange avec l'idée que je me fais de la biologie
je pisse
j'éjacule
je pleure
il est de toute première instance que nous façonnions nos idées comme s'il s'agissait d'objets manufacturés
je suis prêt à vous procurer les moules
mais…
la solitude!
les moules sont d'une texture nouvelle
je vous avertis
ils ont été coulés demain matin
si vous n'avez pas dès ce jour
le sentiment relatif de votre durée
il est inutile de vous transmettre
il est inutile de regarder devant vous car
devant c'est derrière
la nuit c'est le jour
et…
la solitude!
il est de toute première instance que les laveries automatiques
aux coins des rues
soient aussi imperturbables
que les feux d'arrêt d'une voie libre
les flics du détersif
vous indiqueront la case
où il vous sera loisible de laver
ce que vous croyez être votre conscience
et qui n'est qu'une dépendance de l'ordinateur neurophile
qui vous sert de cerveau
et…
pourtant…
la solitude!
le désespoir est une forme supérieure de la critique
pour le moment
nous l'appellerons bonheur
les mots que vous employez
n'étant plus les mots
mais une sorte de conduit
à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience
mais…
la solitude!
le code civil
nous en parlerons plus tard
pour le moment
je voudrais codifier l'incodifiable
je voudrais mesurer vos danaïdes démocraties
je voudrais m'insérer dans le vide absolu
et devenir le non dit
le non avenu
le non vierge
par manque de lucidité
la lucidité se tient dans mon froc
dans mon froc!»
Tout cela est finalement assez simple et assez facile à comprendre:
je suis contre tout, y compris contre le fait d'être contre pour être contre, pour le plaisir d'être lucide,
car tout cela est vraiment trop facile.
Ça me paraît plus clair que certains textes de Fersen - et un poil plus dérangeant aussi, peut-être.
Curieusement, ça passe quand même beaucoup mieux quand on l'entend que quand on le lit — et on peut se demander si Léo Ferré peut être chanté par quelqu'un d'autre.
Pour les Tziganne ou pour Pépée, sans doute que oui.
Mais là, c'est plutôt non à mon sens:
l'artiste s'identifie à son oeuvre qui est sa performance à un moment donné.
Ce qui, je trouve, est un autre aspect chez lui: celui du dandysme — le personnage cultive la provoc la plus radicale:
«je suis un immense provocateur» dit-il ailleurs
D'où d'ailleurs l'agacement de beaucoup: il en fait des tonnes!! Ben oui…
En fait, je dois dire que tout cela me paraît très sain et très rabelaisien.
Ce qui me gène plus dans ces textes, ce sont les facilités de style comme ici
"il est de toute première instance" (deux fois)
comme un collage de morceau de politburo décontextualisé et ainsi rechargé de sa puissance bureaucratique de poésie…
Mouaih!……… j'avoue des doutes.
Cdlt