Polonsky écrit : Quant à Earl Wild, c'est certainement un grand pianiste (et ses concertos de Rachmaninoff chez Chandos le prouvent), mais je m'avoue un peu perplexe devant sa réputation actuelle. Beaucoup de ses enregistrements me laissent plus que sceptique, c'est un jeu un peu précieux.
Il y a plusieurs époques dans sa carrière. Ses tous derniers disques, par exemple, sont plutôt d'une sobriété et d'une rigueur étonnantes quand on songe, effectivement, à certaines choses un peu chochotes qu'il a pu faire ces vingt dernières années.
Sa réputation actuelle tient au fait qu'il est le doyen des pianistes en activité - 90 ans- et que tout d'un coup on l'a regardé différemment de la façon dont il l'était jusque là, un peu noyé parmi des géants qui pouvaient être tout aussi maniérés que lui, voire plus, mais avec un génie instrumental et une présence scénique qu'il n'avait pas. Au premier rang : Horowitz et Cherkassky. Et dans les années 40, 50 et 60, Novaes, pianiste étrange parfois, mais o combien plus intéressante artistiquement. Et quelques autres qui officiaient aux Etats Unis et étaient des héritiers de l'âge d'or ou membre eux mêmes de cet âge d'or, comme Hoffman, par exemple, ou Levine.
A son meilleur, il a fait quand même de bien beaux disques (notamment ses propres transcriptions de mélodies de Rachmaninov : un chef d'oeuvre de jeu) et d'autres un peu too much dans le genre affectation (Reynaldo Hahn, par exemple
), et d'autres encore trop porté sur le piano et pas assez sur la musique : son Gaspard de la nuit et ses études de chopin, par exemple.
Ou, son finale du 3e Concerto de Rachmaninov qui est stupéfiant d'aisance pianistique, de furie même, mais qui du coup met un peu de côté la dimension musicale de ce mouvement qui doit être aussi porté par une éloquence qui file un peu trop vite, enfin à mon avis. Même si c'est sidérant. Un peu à la Argerich mais sans le génie de cette dernière. ou a la Rachmaninov qui jamais ne donne son piano en spectacle.
C'est ce qui fait que Wild a eu une carrière un peu en creux toute sa vie.
Quelqu'un sur ce fil parle de Katsaris qui est un autre cas.
Une technique phénoménale, une virtuosité qu'aucun pianiste vivant de ma connaissance n'atteint (peut être Hamelin), mais doublé dans le même temps d'un prosaïsme artistique, voire d'une bêtise musicale qui font que malgré un talent sidérant il n'est pas pris au sérieux.
Mille fois Wild que Katsaris !
Exemple de son prosaïsme artistique : Katsaris vient d'enregistrer un disque Mozart avec des transcriptions de la flute enchantée. Il y a a l'air de la reine de la nuit... Il joue les notes aigues sans aucune tension, égales, comme si c'était un p'tit air seriné... et pas du tout en reproduisant la tension née de la difficulté pour la chanteuse d'attraper ses notes suraiguës... Sous ses doigts, ça devient anodin et sans intérêt. Alors qu'un pianiste amateur aurait l'idée de reproduire l'irrégularité et la tension du chant d'une soprano colorature !
Katsaris, il lui faut l'orchestre, car en récital c'est désespérant de platitudes prosaïques. Un océan de beau piano (et quel piano
) et aussi hélas de vulgarité parfois.... Comme à Gaveau récemment.
Etrange pianste qui a si peu de problèmes avec le piano qu'il ne pense pas assez à la musique.
Alain