TODD-AO a écrit:La pianiste dont j'ai emprunté le nom pour mon pseudo en est un exemple fameux. Peut-être le plus fameux de tous. Début de carrière flamboyant. Traversée du désert pendant 30 ans. Soudain le triomphe.
Merveilleuse pianiste (Schumann !) : sa "traversée du désert" n'avait elle pas pour cause des problèmes de santé ?
Elle a eu des problèmes de santé de 1914 à 1918. Puis a repris sa carrière. Partout ou elle jouait elle était acclamée, mais on ne le réinvitait pas ou rarement sauf en Suisse. Elle avait une personnalité difficile, n'était jamais contente d'elle et était un peu rude et d'une timidité maladive. En 1926, elle a fait un trîomphe à Philadelphie avec Stokowski, puis plus rien... Quelques rares concerts chaque année, mais pas grand chose.
Vers 1938, d'un coup sa carrière démarre... Mais la guerre arrive. Elle passe en Suisse. Après la guerre, un imprésario néeerlandais s'occupe d'elle. Il organise une tournée aux Pays Bas et là tout d'un coup Boumbadaboum : la gloire soudaine, inexplicable. 15 ans d'une carrière que l'on a connu à aucun autre pianiste par l'attachement du public et la stupéfaction des musiciens.
Pour son dernier concert public à Paris, il a fallu rajouter des chaises sur la scène du TCE...
Elle a eu des alertes cardiaques vers 57-58, mais a continué à jouer et est morte des suites d'une chute dans l'escalier de la gare du Midi à Bruxelles.
Tatiana Nikolaeva m'a raconté une histoire :
"""La première fois que je suis sortie d'Union soviétique pour aller à l'Ouest, c'était pour jouer le 22 e de Mozart avec Vienne et Schuricht à Salzbourg. On m'a dit en Russie, "si Karajan dirige, vas l'écouter c'est le nouveau Toscanini".
Arrivée à Salzbourg, il y avait un concert avec Karajan et une pianiste dont je n'avais jamais entendu parler. C'était Clara haskil. Le concert était bizarre : on jouait d'abord la 41e symphonie de Mozart, puis le 20e concerto pour piano.
Tres bel orchestre, très belle direction mais pas de nouveau Toscanini...
A l'entracte, je voulais partir, car mon concert était le lendemain et je devais me reposer et comme je ne connaissais pas cette pianiste... Mais je suis restée quand même...
Arrive la pianiste. J'ai eu peur qu'elle n'arrive pas au piano. Elle traine les pieds. Elle est pliée en deux, une masse de cheveux cache son visage tourné vers le fond de scène. Mon Dieu, elle ne pourra pas jouer ! Je voulais fuir. Mais comme j'étais au milieu du rang...
L'orchestre commence à jouer. Très beau, magnifique. Poujours pas de nouveau Toscanini au pupitre.
Et la sorcière, la tête près des touches, immobile... elle se redresse à peine, pose ses mains sur le piano, joue son entrée et je fonds en larmes immédiatement.... l
L'orchestre entre... et tout d'un coup le nouveau Toscanini était au pupitre... et il l'est resté par le seul pouvoir du jeu de cette femme jusqu'à la fin du concerto. Plus jamais de ma vie je n'ai eu une telle émotion musicale.
Et moi qui devait jouer le lendemain un concerto de Mozart au même endroit... Je me disais "pourvu qu'elle ne vienne pas m'écouter". """
On a raconté, son biographe notamment, que si Haskil avait eu du mal à faire carrière avant guerre, c'est parce que son jeu était trop épuré, trop peu virtuose... trop rigoureux.
C'esr faux !
On sait par des documents sonores qu'il n'en est rien du tout. Au piano, Haskil avant guerre c'était une sorte d'Argerich.
Et aussi par des témoignages de musiciens. J'en ai interrogé beaucoup à ce sujet et tous disent qu'elle jouait avec une technique pharamineuse (Horowitz du reste en avait gardé un souvenir ému lui qui avait joué avec elle à Paris dans le salon de la Polignac) et un répertoire axé sur le romantisme et le XXe siècle.
Perlemuter l'avait bien connue ainsi que Jacques Février et Magaloffi : tous trois m'ont raconté que ces vingt ans de trou entre 1918 et 1938 n'était explicable que par la personnalité d'Haskil...
Les pianistes la vénéraient, et elle passait son temps à dire qu'elle jouait mal, qu'il fallait pas l'inviter, que de toute façon elle viendrait pas.
Elle venait, mais passait son temps à dire, pendant la répétition, que ça marchait pas, qu'elle pourrait pas jouer le soir.
Bien sur, elle jouait. Et après se sauvait et se cachait
après avoir copieusement engueulé tout le monde
Alain