haskil a écrit:Davestarwalker écrit : Rien à voir donc : c'est une tension immanente qui soudain se libère et amène une vraie transcendance incandescente. Pour être la réincarnation de Liszt... il faut sans doute être hongrois, déjà quelque part, et sans doute complètement !
Liszt était si peu hongrois qu'il ne parlait pas le hongrois... mais l'allemand et le français ! Ce que les nationalistes hongrois lui ont d'ailleurs reproché. Il n'était pas davantage tzigane et sa musique hongroise ne l'est pas, elle est plutôt tzigane... et donc appatride.
Et Liszt interprète, comme Liszt compositeur ne peut être limité à cet aspect nationaliste dans lequel, hélas !, par facilité une partie de la critique musicale se fourvoie.
Ce qui donne parfois des résultats comiques.
Exemples.
Il a été écrit maintes et maintes fois que le pianiste américain William Kapell était le premier pianiste américain natif à avoir été reconnu internationalement comme grand héritier de l'école de piano russe à travers son professeur Olga Samaroff.
Or, cette dame, née américaine au Texas, s'appelait Hickenlooper et avait été le premier américain a avoir été accepté au Conservatoire de Paris où elle avait élève d'un élève de Chopin... si nationaliste lui-même qu'il n'a pas voulu d'elle dans sa classe dans un premier temps au motif qu'un Américain ne pouvait rien comprendre à la musique. Ensuite, elle est partie pour Berlin, pour Vienne (ou elle s'est liée avec Mahler). Avant de rentrer aux Etats Unis.
Tout récemment, les pianistes Bronfmann et Ax ont été qualifiés dans
Diapason de "pianistes typiquement américains" pour leur disque des suites de Rachmaninov pour deux pianos.
Or, voila ti pas que Bronfmann est Israelien et n'a mis les pieds aux Etats Unis qu'à l'âge de 19 ans pour devenir l'élève de Rudolf Serkin et qu'Emmanuel Ax est polonais et à été l'èlève, après son émigration au Canada, de Mieczyslav Munz, un vieux juif polonais on ne peut plus culturellement enraciné dans la vieille europe...
La pianiste Jeanne Marie Darré, qualifiée dans Diapason de la pianiste typiquement française n'ayant pas reçu d'autre influence... a pourtant, sitot son prix obtenu à Paris... dans la classe de Philipp (un bon hongrois lui !) et sur ces conseils.... fait un séjour de deux ans à l'Académie Franz Liszt de Budapest où elle a perfectionné sa technique pianistique !
Il faut repousser au loin toute tentation de vase communicant dans l'interprétation de la musique instrumentale, particulièrement du piano, où les écoles et les nations sont à prendre avec des pincettes.
Quand l'Italien Michelangeli a remporté le prix de Genève, Cortot membre du jury s'est exprimé "le nouveau Liszt est arrivé".
Cziffra, tout comme Michelangeli n'étaient pas plus la réincarnation de Liszt qu'un autre des nombreux pianistes qui, au cours de l'histoire de l'interprétation pianistique, ont été ainsi qualifiés.
Il était Cziffra : pianiste unique, inimitable dans l'essence de son jeu comme dans l'apparence de son jeu.
Tout comme Michelangeli, tout comme Liszt. Tout comme tous les grands pianistes.
Alain
Tu sais aussi bien que moi que Cziffra a été maintes fois qualifié la "réincarnation de Liszt", aussi parce qu'il était d'origine hongroise et mettait (a mis) le feu au clavier comme personne ou presque (à l'instar de ce que devait faire Liszt ; d'ailleurs les compte-rendus de son jeu sont très intéressants : quel dommage que nous n'ayons aucun document sonore, hélas !), dans les oeuvres de lisztiennes en particulier.
Et que cela fut (et est toujours) une sorte de slogan publicitaire, autant qu'un sobriquet (plus ou moins pertinent, selon les oeuvres) qui lui est facilement accolé. Slogan que j'ai repris pour souligner une boutade (je croyais que c'était suffisamment clair
).
Un parallèle, apparent mais d'essence patronymique, entre les deux grands hommes est d'ailleurs intéressant : Geörgy est devenu "Georges", de même que Ferenc... "Franz". Les (pianistes et compositeurs) hongrois doivent aimer la France (boutade) !
Après, par rapport à cette histoire de nationalisme ridicule, Liszt était d'abord l'homme de sa musique, pas d'une nation. Comme Cziffra du reste.
Mais là on s'éloigne de Rachmaninoff.
Par coutume, on affirme qu'il y a des écoles de piano, c'est sûr, déjà géographiquement et même plutôt topographiquement (élément irréductible lié à l'endroit où l'on se pose et reste !
) : la française, la russe, l'allemande, l'américaine (façon de parler). Bon je schématise, mais c'est l'idée généralement partagée... comme un truisme (c'est même le problème).
Il y a donc, théoriquement, de grands courants stylistiques, ou plutôt des approches plus ou moins tranchées de l'instrument (de la posture physique, qui déterminera une sonorité, un son, soi-disant typique, jusqu'à des directions d'interprétation : retenues, acrobatiques, nettes, etc. tu connais bien sûr ce genre d'épithètes, la liste est longue et souvent imaginative ; dès qu'il s'agit d'inventer des cases...) et de la manière de produire de la musique avec. Cependant, comme l'a écrit Adorno, "les archétypes sont des structures, les stéréotypes sont structurants". Le tout est de s'en rendre compte et de savoir les dépasser (l'essence même de l'Ecole de Francfort).
Mais il y a surtout de grands interprètes qui, même issus de tels ou tels systèmes, dont la détermination est la plupart du temps ultra-caricaturale, même marqués par tel ou tel professeur génial... ou juste influent, ne sont qu'eux-mêmes, ou plutôt sont eux-mêmes puis (et?) établissent la rencontre, voire la connection entre leur personnalité exceptionnelle et des oeuvres qui ne le sont pas moins (et plutôt plus d'ailleurs, l'humain n'étant qu'un moyen interprétatif de les faire vivre : transcendance ou immanence du génie de l'écriture, de l'art ?).
Pour moi Cziffra (puisque l'on parlait beaucoup de lui), c'est ça. Dohnanyi s'en est d'ailleurs rapidement rendu compte : en grande partie, Cziffra a fait "Cziffra", c'est certain. Par contre, est-ce que Geörgy a fait "Georges" ? C'est une question. On peut tenter des réponses. La mienne : "oui, sans doute, mais pas nécessairement". Et ce n'est pas là une boutade ni un trait purement rhétorique.
En résumé, "on" (en tout cas moi, et je pense toi également) se moque de ces histoires de drapeau, sauf pour les évoquer avec la distance que donne l'humour et la connaissance des situations réelles. Sinon on tombe dans le schématisme le plus total !
Je pense notamment à cette histoire, quand Richter a explosé sur la scène internationale, pour rapidement être catalogué de "pianiste champion de l'URSS" par les américains - certains américains, choqués par son génie -, et ceux-ci de littéralement mobiliser John Odgon comme porte-drapeau de leurs valeurs, pianistiques et autres, surtout "autres" !
Cordialement,
David.