blue dream a écrit:Gilles R a écrit:blue dream a écrit:Gilles, veux-tu parler de la manière d'enchaîner ces mouvements ?
Oui Bernard, la dernière minute du 3e mouvement (ou les 2 dernières minutes, cela n'a pas d'importance) la pause et la première minute du 4e mouvement.
Il est aussi question de contraste… (c'est une piste posible).
Tu as l'air d'attendre quelque chose de précis... je donne ma langue aux chats.
Evidemment, la fin du mouvement 3 ressemble à une fin "tout court", puis le mouvement 4 est par contraste extrêmement tendre (tendresse et souffrance mélangées comme le bonheur du retour au foyer après une bataille perdue).
Mais tu suggères quelque chose de plus précis ? Je me trompe ? ... Un adagio après un scherzo, ça doit pas être si exceptionnel, si ?
Je reviens au forum et vois qu'il y a beaucoup de réponses à donner ici et sur l'autre thread "Les termes…"
Je réponds d'abord à ta question, car je l'ai provoquée…
Bernard, ce que je veux te faire remarquer, c'est le contraste étonnant de la matière sonore entre la fin du 3e mouvement et le début du 4e.
D'autre part pour rebondir sur les propos de ton analyse… il y a, conjugué à ce contraste, un autre effet absolument bouleversant. As-tu remarqué qu'en ayant écouté les 3 premiers mouvements, arrivé à la fin du troisième, on se trouve devant une tension avec une allure très décidée et très martiale jusqu'à la dernière tension extrème avant une conclusion finale qui semble être totalement définitve.
Et immédiatement derrière une courte pause, surgit ce chant tendu des cordes qui est une variation du premier thème, qui revient avec ce profil ondulant et à la tournure interrogative. Ce thème court dans toute l'œuvre avec cette brève figure semblable à une vague. Quelque chose qui se tend et détend immédiatement.
On le trouve dans l'introduction dans le 1er mouvement (à 25") déjà par les cordes puis dans son premier énoncé (1'49") répété en deux fois (1'49" et 1'52") toujours par les cordes. À noter que les premières mesures de la symphonie sont la préparation de l'énoncé de ce thème : une figure en escalier montant et descendant par intervalles conjoints (c'est ce qu'Alain voulait nous faire remarquer en nous parlant de gammes) joué dans le grave par les bassons.
Je trouve très puissant l'effet de cette résurgence, comme un flash-back direct… ce retour en arrière revient comme une irrésistible vague de nostalgie (je ne devrais pas utiliser ce mot) alors que tout semblait dit.
Idée très forte de Tchaikovski, à la fois effet dramatique et maitrise de la forme. Je trouve cette effet de surprise avec cette reprise du thème évoquant le début de l'œuvre avec la nudité des cordes complètement bouleversante. À chaque fois l'effet marche sur moi… (*)
Ce que je veux surtout te faire remarquer, et là c'est plus dans l'exercice de l'écoute réduite, c'est l'opposition de l'animation de la matière sonore qui participe à l'effet.
La fin du 3e mouvement, l'animation est pulsée, rythmiquement très marqué avec prédominance des cuivres (bien que ce soit un tutti) l'espace d'occupation des hauteurs a un ambitus large : du sur-aigu au très grave et le profil de la fin descend vers le grave.
Au contraire le chant lisse des cordes, du 4e mouvement, sans heurts rythmiques a lui un ambitus serré dépassant à peine l'octave (sans les contrebasses) et son site est dans le registre médium aigu.
Ces oppositions : pulsé / lisse - masse très large / serrée - grave / médium aigu, sont là pour accentuer l'effet de surprise donnant une qualité spécifique au timbre des cordes, comme un flux d'énergie concentré et tendue.
Ce thème sera encore présent dans une dernière variation avec encore les cordes (8'03") pour descendre vers le registre grave… et finir… autrement.
Je ne veux donner là aussi aucune interprétation littéraire de ces objets musicaux et de ces principes formels.
Tant pis pour carbo…
Pourtant les registres des hauteurs et les modes ascensionnels ou descendants ont en musique des fonctions dynamiques qui se rattache à des archétypes universels.
Ce que l'on trouve dans toute les civilisations : terre/bas - ciel/haut, grave/gros - aigu/petit,
grave/lourd - aigu/léger, grave/ventre - aigu/esprit
et les translations : ascension = tension ou allégement ou élévation
descente = détente ou pesanteur ou force primaire
forment tout un réseaux de signes plus ou moins conscients de la part du compositeur et reçus du côté de l'auditeur de façon plus inconsciente. Cela participe au langage des sons comme les intonations de la parole et comme (pour me faire comprendre) les traces de notre écriture graphique.
D'autres critères participent à la commuication musicale : les nuances d'intensité, les différences de timbres ou de matières, les ambitus des masses sonores, les profils mélodiques, les fonctions harmoniques (pour la musique tonale)…
En fait quand je dis par provocation que la musique n'est que des sons et du bruit c'est à demi vrai… la musique existe par les variations des sons et des bruits ou par leurs mises en relations.
Voilà pour ce soir une petite piste pour les écoutes suivantes…
Cela te semble t-il pertinent ? ou m'égarge ?
Tu liras ce message probablement demain…
J'espère que ta nuit aura été douce sans les tourments de notre Pietr Ilitch…
À bientôt…
Gilles
PS (*) Cette petite note pour te dire que ce flash-back me fait penser pour la forme, aux dernières images du film de Nikita Mikhalkov : "Quelques jours de la vie d'Oblomov" où l'on voit le jeune fils d'Oblomov (mort depuis un moment) qui court à travers champs au devant de l'arrivée du train où est sa maman et qui crie en l'appelant… le film commence avec une image semblable, mais cette fois il s'agissait d'Oblomov enfant vivant la même émotion à l'arrivée de sa mère.
La similtude des deux scènes après le parcours du film, fait que ces dernières images sont absolument bouleversantes… les larmes coulent sur toutes les joues sans qu'elles soient explicitement narratives. Mais tout le monde comprend de quoi il s'agit… la vie passagère et le recommencement à travers les vies qui se succèdent avec les mêmes émotions simples d'enfant… comme l'amour des petits hommes pour leurs mamans.
Une vision avec peu de chose sur la condition de l'être humain…
Très fort.
Cela n'est pas dit pour expliquer la symphonie de Tchaikovski, mais parce qu'il y a le même effet de reprise…
La-dessus… je vais me coucher… tout ému en repensant à ces images…