Boc21 a écrit:Non je crois que la situation est bien plus grave que cela.
Il y a plus que la crainte d'une dégradation à venir, il y a surtout la soumission à des codes imposés infantiles, violents, regressifs, une inaptitude à envisager la différence, une incapacité à penser les possibles, une fainéantise et passivité absolue devant le "spectacle" attendu...
Je ne sais rien des "pourquoi" et des "comment" : je me contente juste de noter une triste dégradation et uniformisation de la sf.
J'approuve totalement, c'est un film fait par un comité pour ne pas déplaire et ensuite relativement bien exécuté par JJ Abrams.
Mais ça n'est pas un film de S-F, c'est juste un film d'action dans un cadre futuriste (donc cool) tiré d'une série rétro années 60 (donc cool).
Pour moi, le cœur de la S-F, c'est la projection et l'accentuation dans le futur de questions et de sujets déjà présents en germe dans notre époque.
Tu as raison de dire que Star Trek était optimiste et que c'était la vision utopique de Gene Roddenberry.
Mais il y a un autre élément majeur à prendre en compte, c'est que c'est un avatar du mythe américain de la Frontière, de l'exploration de l'espace qui s'offre aux gens et dans lesquels il y a plein de découvertes et d'aventures à faire. C'est le truc sous-jacent à la mythologie du western (quand la colonisation allait vers l'ouest et découvrait d'immenses prairies vierges) et le truc que Kennedy avait réorienté vers l'espace au moment de la course à la Lune dans les années 60. (Et c'est pour moi le thème fondamental que Kubrick creuse dans 2001).
Roddenberry a d'ailleurs vendu aux studios Star Trek comme un western dans l'espace (parce que c'était plus vendeur) mais ça imprègne en profondeur l'esprit de la série et des films. Et pour le spectateur anglophone, la "final frontier" du début, c'est donc particulièrement évocateur.
Au fond, un épisode de Star Trek, c'est l'Enterprise qui détecte une anomalie sur une planète inconnue ou peu explorée, ou bien qui tombe sur un vaisseau à l'abandon, qui va étudier ça, souvent de façon imprudente, et qui finit par sortir de cette crise instruit par des connaissances nouvelles avec justes quelques chemises rouges de tuées. Et ce sont ces connaissances, le contact avec les civilisations qui ont permis à l'humanité de progresser et de surmonter ses crises.
Et parfois, il y a les Soviétiques (alias les Klingons) avec lesquels la Fédération est en guerre froide ou les mystérieux Romulains aux intentions difficiles à percer (les Chinois) ou des créatures aux pouvoirs divins.
Heureusement pour que ça ne soit pas trop aride, il y a des passages où les scénaristes ont réussi à introduire du pathos ("The City on the Edge of Forever", "La colère de Khan") mais tout en restant dans cette perspective toujours très optimiste.
Maintenant, qu'en est-il dans Into Darkness ?
Le truc hyper-révélateur, c'est que du côté des scènes qui se passent en dehors de l'Enterprise, on a droit à un prologue sur une planète inconnue, un passage au QG des Klingons mais que tout le reste se passe soit sur Terre soit sur un autre vaisseau de la Fédération où un comploteur veut déclencher à distance une guerre. Voilà pour le côté exploration et mystères...
Là où Star Trek était orienté vers le futur, l'évolution et la découverte, Into Darkness est centré sur la révélation de l'ampleur d'un complot passé, celui passé entre Marcus et Khan. Une des conséquences de la brouille entre les deux, c'est la destruction d'une partie majeure d'une grande métropole américaine par un ancien allié des militaires passé depuis à son propre compte, façon 11 Septembre.
Au passage, Roberto Orci (co-scénariste des nouveaux films à côté des Transformers) est un partisan déclaré des théories du complot (11 Septembre, marathon de Boston) et de la manipulation de l'opinion publique par le gouvernement.
Je comprends bien que l'idéalisme des années 60 (d'ailleurs déjà daté quand Roddenberry essayait d'en mettre sur The Next Generation) ne soit plus forcément de mise aujourd'hui. Mais tout ce qui est côté "Ultime Frontière", exploration, passe à la trappe alors que c'était un élément encore plus essentiel, ce qui permettait à Roddenberry et aux autres de bâtir ce message optimiste et humaniste.
Au lieu de ça on a un simple divertissement "escapist" à la fois futuriste (des gadgets, des vaisseaux qui vont vite) et rétro (des fringues et des couleurs années 60, un remake d'une série "cool" et culte) sans qu'il y ait vraiment de fond.
Or Star Trek ne "parlait" pas de l'assassinat de Kennedy ou du Vietnam. Ça ne transposait pas de façon transparente des sujets contemporains. Ça regardait vers l'avenir pour nous montrer que nous avions du chemin à faire et nous donner envie de le faire.
Le regard d'Into Darkness est simplement vide.
Et si vous voulez des œuvres récentes de SF où on retrouve ce côté frontière...
- Firefly/Serenity de Joss Whedon, plus dans une optique western spaghetti
- Avatar (avec le refus de l'exploitation économique mais un personnage principal qui va de découverte en découverte)
- la trilogie Mass Effect en jeu vidéo (l'intrigue tourne autour d'une menace pour la Terre et la Voie Lactée mais tous ceux qui y ont joué pourront confirmer que le cœur du jeu c'est de mieux connaître de nouvelles planètes et races extra-terrestres)
Au passage, Roberto Orci vient de se ridiculiser en s'en prenant aux fans de Star Trek qui avaient des suggestions à faire sur un forum :
http://thedissolve.com/news/401-bob-orc ... ekker-sin/Grosso modo :
1- "C'est moi qui écris les films, pas des gamins comme vous"
2- "Ces films ont hyper-bien marché commercialement, alors vos gueules"
3- "Je suis pote avec Harrison Ford et il serait d'accord avec moi."