(Spoiler sur un film de plus de 30 ans)
Il faut remettre en plus les choses dans leur contexte.
Quand La Colère de Khan est tourné, le public a toutes les raisons de penser que ça serait la dernière apparition de Spock. Ça fait plus de 15 ans que la série d'origine avait commencé et Leonard Nimoy voulait prendre ses distances avec le personnage. Il ne devait même pas être au générique de Star Trek : Phase II (une tentative de revival qui avait capoté au milieu des années 70) et il avait été extrêmement déçu par l'ambiance sur le tournage du premier film. Donc il accepte de tourner dans la suite, à la seule condition que son personnage meure. Ça devait rester secret, évidemment il y a eu des fuites et ils ont rajouté pour cela la scène du Kobayashi Maru pour mettre le spectateur sur une fausse piste.
Donc, quand Spock meurt à la fin du film, c'est un moment poignant pour les fans, parce que c'est un adieu à un personnage que le public avait suivi depuis 15 ans au travers de 90 épisodes, d'une série animée et d'un premier film. C'est un sacrifice rationnel et logique, en rapport avec ce que l'on connaît du personnage, mais sous la réserve et le calme, il y a tout de même une pointe d'émotion qui affleure en lui, parce que Spock
choisit d'en manifester pour une fois. C'est ça ce qui rend le moment poignant.
Après, évidemment, comme Nimoy avait bien plus apprécié de faire ce film et qu'on lui a proposé des conditions très favorables (comme réaliser les suivants), pendant le tournage Harvey Bennett et lui ont décidé de rajouter la scène où il s'isole mystérieusement avec McCoy juste avant son sacrifice et de clore le film sur un plan de son cercueil sur Genesis. Mais Nicholas Meyer a tourné le film convaincu que Spock mourait définitivement (c'est pour ça qu'il a refusé de s'occuper de Star Trek III) et l'éloge funèbre de Kirk est donc prononcé devant des acteurs qui pensent également que c'en est fini avec Spock.
Et donc dans Into Darkness, l'hommage m'a donné pratiquement envie de hurler dans la salle "Abraaaaaaaaaaaaaaaaaaaams !" (ou "Kurtzmann/Orci/Lindelof !!!!!!").
Je l'ai dit, je ne suis pas trekkie ou accro à la S-F. Je n'ai commencé à regarder la série et les films qu'avec le Blu-ray (j'attaque maintenant la saison 3 de TNG). J'avais vu quand j'étais ado les films 1 à 4 à la télé mais ils ne m'avaient pas fait beaucoup d'effet. Je ne prends pas l'univers Star Trek comme un tout particulièrement cohérent (façon Fondation d'Asimov), j'aime bien les côtés kitsch dedans (volontaires ou involontaires) et à vrai dire le Star Trek ultime pour moi, ça serait Galaxy Quest.
Spoilers sur un film de quelques mois
Mais la fin de STID est une abomination pour moi. Ça peut passer quand on n'a pas vu La Colère de Khan ou quand on ne connaît que la scène de la mort de Spock, mais c'est hélas emblématique du côté "Invasion des profanateurs de sépulture" de JJ Abrams : on reprend la forme extérieure d'un truc qui existe déjà et qu'on copie (pour rendre "hommage") mais on néglige ce qui en faisait le poids, l'âme. On finit avec assez de scènes palpitantes pour qu'on bouffe convulsivement du popcorn mais l'émotion n'y existe que par procuration. Abrams est bon quand il est dans le domaine de l'action, où effectivement il y a toujours des tropes, des clichés qu'il a le mérite d'assumer (le coup de Kirk qui tombe dans un précipice et qui se raccroche à une main) et de rendre souvent intéressants. Mais tout n'est pas à reprendre et à se réapproprier comme si de rien n'était. La "mort" de Kirk dans STID n'a aucun poids. C'est le personnage principal du film et de la série Star Trek, il "ne peut pas" mourir, comme James Bond ne peut pas mourir (sauf éventuellement à la toute fin de ses aventures). De plus, l'acteur est sous contrat et donne satisfaction à à peu près tout le monde et sa mort survient vingt minutes avant le générique de fin. Si quelqu'un connaît en plus La Colère de Khan, on sait bien que vu que Spock a ressuscité dans le film suivant, Kirk va bien évidemment revenir à la vie d'une façon ou d'une autre dans celui-ci. Et ça n'a pas le même impact quand c'est un personnage qu'on a suivi 16 ans dans ses aventures pendant une centaine d'heures, dont on imagine qu'il a dû connaître mille autres aventures et quand c'est le héros d'un blockbuster contemporain, d'un reboot qui plus est, et de sa suite.
Et ensuite, il y a la réaction de Spock. Chez Abrams, Spock n'existe que par ses pétages de plomb qui rappellent qu'il est également humain. Ça tourne quasiment au sketch. Une scène sur deux avec Spock consiste à réussir à le faire sortir de ses gonds. Donc, quand il sort de sa réserve de Vulcain à la fin du film, ça n'a rien de poignant, on peut juste faire un 16ème trait sur la feuille de papier si on a joué à compter les scènes.
C'est la faute à Abrams, qui tente toujours d'en faire plus. Quant à Zachary Quinto, il est certainement un bon acteur, mais il lui manque un truc que Nimoy avait : une vision d'ensemble du personnage, qui lui permettait de dire aux scénaristes et aux réalisateurs successifs (qui ne connaissent pas forcément le personnage en détail) que cette idée ne collait pas à ce que fait Spock d'habitude, qu'il ne pouvait pas le jouer comme ça, etc. C'est Nimoy qui a quand même développé les principaux aspects de la pensée vulcaine en s'inspirant de la sagesse juive.
Quinto n'a pas ces références et quand Abrams fait un contresens total sur Spock, il n'est pas capable de le ramener dans le droit chemin.
Pour reprendre ma comparaison, c'est la même chose qui pour moi fait la différence entre Daniel Craig et Sean Connery avec des James Bond comme Moore ou Brosnan. Même dans leurs épisodes médiocres, Craig et Connery ont une idée claire de ce qu'ils veulent faire et ne pas faire de "leur" Bond, leur jeu est cohérent. Moore ou Brosnan peuvent être bons acteurs, mais ça n'est que quand ils ont eu un script abouti, tirant parti de leurs forces, et un bon réalisateur qu'ils ont fait de bons films. Quand leurs épisodes se mettent à tourner au n'importe quoi, ils accompagnent la tendance à fond et ça fait particulièrement pitié là où Connery et Craig limitent la casse.