Scytales a écrit:(...)Le cœur de ce qui a fait la spécificité de Cabasse, c'est la confrontation au réel (reproduction du son par les enceintes comparée au son qui vient d'être enregistré dans la même pièce). Cette démarche qui distinguait Cabasse n'a pas encore trouvé d'équivalent et a été l'un des moteurs de son succès, en tout cas l'un des éléments qui permettait de frapper les esprits des personnes éprises de musique dont le seul souhait est d'entendre chez elles ce qu'elles peuvent entendre en allant assister à des concerts. Cette clientèle-là peut-elle aujourd'hui accorder sa confiance à une entreprise pouvant démontrer par A+B qu'elle est capable de restituer fidèlement un événement sonore ?
Le problème qui se pose à Cabasse, qui s'est pourtant fait le chantre de cette confrontation au réel par le passé, c'est que la firme y a renoncé. Je pense que c'est le résultat d'un manque de moyens et de l'incapacité de ses dirigeants récents à comprendre le contenu immatériel de ce qui a fait la valeur de la marque Cabasse et les fondements de son image. D'ailleurs, le déclin de Cabasse (tant sur le plan objectif en terme de pénétration de marché que d'image de marque ou de réputation) est relativement bien corrélé avec la perte des éléments immatériels qui ont forgé sa réputation. C'est en ce sens que le passé de la marque est une source de nostalgie pour beaucoup d'amateurs, qui sont un peu orphelins de la disparition symbolique d'une entreprise qui avait tout misé sur la démonstration de la capacité de sa production à reproduire le réel, ce qui est un peu différent de la capacité à produire ce qu'il y a sur un phonogramme (et ce n'est pas une mince nuance).
Je plussoie cette parfaite synthèse.
Dans les causes, nombreuses, de la perte d’aura, il y a le choix - ancien - d’un réseau de distribution peu valorisant via Darty-Fnac etc, et une faible présence dans les enseignes spécialisées. Mais là encore il faut nuancer. Les écoutes à la Fnac, dans les années 70-80 pouvaient être très soignées et en confrontant avec des matériels top niveau (Montparnasse !). Puis les auditoriums proprement dit ont hélas disparu de cette enseigne pour des écoutes à l’arrache. Darty n’a jamais fait aucun effort en revanche. Je ne sais pas qu’elles ont été les raisons de ce choix redoutable. Le volume ? En même temps, les magasins spécialisés ont peu à peu versé dans l’audiophilie où Cabasse était déjà tricarde. Je me souviens des propos méprisants de deux revendeurs - forts connus, l’un d’eux avec qui j’ai travaillé en outre - alors qu’ils ne représentaient pas Cabasse mais ces marques Audiophile parfois hors de prix et en tout cas de faible rapport fabrication-prix, qui ont pris leur essor dans les années 90 (je ne parle pas de BW mais de marques Anglaises, Suisses, italiennes, et aussi une Française - confidentielle mais célébrée on ne sait pourquoi dans les revues genre Diapason -).
Une remarque a aussi été faite à juste raison :l’assez faible exposition -et pas toujours pour les meilleur (en terme de CR d’ecoute) - dans les revues, dès la fin des années 80, celles où on dissertera parfois sur le son des câbles sans jamais aborder sérieusement les questions acoustiques.
Une autre observation. Le HP concentrique deux ou trois voies SCS, qui constituait pourtant l’ultime intervention de la période Georges Cabasse, lequel y croyait (dixit Philippe Muller, un de ses collaborateur), a coïncidé avec il me semble le déclin de la marque. Il n’y a pas de cause à effet démontré loin s’en faut, même si je n’ai pas été convaincu par mes écoutes de l’epoque du fait d’un équilibre différent, plus sombre, limite coloré et soudainement d’une sensibilité bien plus basse qui, dans mon souvenir affectait la sensation dynamique (écoutes en auditorium ou chez des particuliers). Les mesures - fer de lance de la marque - posaient aussi des problèmes inhabituels chez Cabasse. Or les prix, déjà élevés, ont fait un bond avec ce HP. Je me suis demandé si, au milieu d’autres raisons, les fidèles de la marques n’ont pas simplement commencé à regarder ailleurs, sans que Cabasse y gagne la conquête d’un autre pan du marché. Un syndrome Citroën en quelque sorte. Une innovation moins bien maîtrisée, aggravé par une errance du design, un marketing peu lisible et une politique commerciale parfois à la dérive.